POUTINE a-t-il tué le cacique eltsinien Boris NEMTSOV ? [Jean-Luc Mélenchon]
Le malheureux a été assassiné Place Rouge devant le Kremlin, la veille de la manifestation à laquelle il avait appelé en compagnie d’une autre grande figure de l’opposition, le raciste et antisémite Alexey Navalny. Des flots d’encens sont aussitôt montés vers le ciel, votivement offerts par tous les médias « éthiques et indépendants ». Le premier d’entre eux, « Le Monde », a pieusement recopié, sans nuance ni recul, la notice de l’ambassade des États-Unis. Il a donc repeint Nemtsov aux couleurs du martyr de la démocratie, de l’Occident et ainsi de suite. Qualité à laquelle n’accédera jamais le blogueur saoudien qui reçoit chaque semaine sa ration des mille coups de fouets qu’il doit endurer sans bénéficier de l’indignation mondialement bruyante d’Obama, de François Hollande, et les autres. Ni, bien sûr, « Le Monde », ni l’ignoble Plantu, titulaire du prix de 10 000 euros « pour la liberté de la presse » que lui ont attribué les riant fouetteurs du Qatar. Sans vergogne, « Le Monde » écrit : « Boris Nemtsov, qui avait 55 ans, n’était pas un héritier du soviétisme. C’était un authentique démocrate, un homme qui croyait en l’universalité des valeurs de liberté et de pluralisme ». Quel besoin d’en rajouter à ce point ? Ne suffit-il que cet homme ait été assassiné pour déplorer sa mort ? Non, bien sûr ! L’apologie de Nemtsov, illustrissime inconnu avant son meurtre, fonctionne comme un piège à naïf pour créer une ambiance de « Sadamisation » contre Poutine. « A-t-on encore le droit de s’opposer en Russie » me demande une journaliste qui ne connait rien ni à cette affaire ni à aucune autre concernant la Russie contemporaine. On devine le sous-entendu. Ce Nemtsov aurait été assassiné par Poutine. Sans le début d’une preuve, l’accusation est instillée. Ces gens-là n’ont aucune subtilité. Et leurs enquêtes sont rondement menées depuis le bar de la rédaction.
Voyons : un opposant est assassiné, Place Rouge. Il combattait Poutine, Poutine habite le Kremlin sur la place rouge ! « Bon sang ! Mais c’est bien sûr ! Poutine l’a tué ! » Hurrah ! Quelle perspicacité ! On ne la fait pas à un journaliste libre d’être d’accord avec l’ambassade des USA ! Que Poutine veuille rendre célèbre un inconnu à la personnalité plus que trouble, qu’il le tue devant sa porte, la veille de la manifestation d’opposants à laquelle celui-ci appelait, ne leur parait pas d’une insigne stupidité. Ni contradictoire avec l’intelligence machiavélique qu’ils prêtent à Poutine le reste du temps. Non. Pourtant, après ce mort et sa malheureuse famille, la première victime politique de cet assassinat est Vladimir Poutine. Car il a été aussitôt traîné dans la boue par toute la presse « libre, éthique et indépendante » du monde entier, dénonciatrice ardente sur ordre des armes de destruction massive de Saddam Hussein, de l’Iran et de tous les autres articles de propagande pré-machée des USA.
Voyons donc la biographie de cet émouvant « authentique démocrate ». Commençons par ses fréquentations les plus récentes dans le cadre de son amour pour les valeurs sans rapport avec « le soviétisme » ! Il appelait à une manifestation le 1er mars contre le gouvernement russe, ce qui est bien son droit. La manifestation a eu lieu et a été traitée moins durement que la manifestation à Sivens le jour ou Remi Fraisse s’y trouvait. Pour convoquer cette manifestation, l’ami de la liberté a joint sa signature à celle d’un autre ami du « Monde », le raciste Alexey Navalny, leader libéral-xénophobe ultra violent. Navalny a créé en 2006, avec des néonazis russes, le mouvement nationaliste des « Marches Russes ». Il est l’inventeur des slogans qui ont entraîné de nombreuses violences contre des immigrés : « la Russie aux Russes », « Arrêtons de nourrir le Caucase ! », « nettoyer la Russie ». Dans une vidéo en marge de ces marches, il qualifiait de « cafards » les habitants du Caucase : « si l'on peut tuer les cafards avec une chaussure, quand il s'agit d'êtres humains, je recommande d'utiliser une arme à feu ». Voilà pour l’ami de « l’authentique démocrate ». Et aussi pour les organisateurs de la manifestation encensée par « le Monde ». Risible dans la fabrication d’une information de convenance, le journal a aussi voulu faire croire qu’elle était organisée en réplique au meurtre. En fait, elle se préparait depuis des semaines sur les thèmes racistes habituels de ces personnages nauséabonds.
Voyons à présent le cas de Boris Nemtsov, « l’ami des libertés », « sans rapport avec le soviétisme » ? En effet, il s’agit d’un voyou politique ordinaire de la période la plus sombre du toujours titubant Boris Eltsine. Ce Nemtsov est le principal artisan des privatisations de la période 1991-1993 qui furent en fait un véritable pillage. L’homme « sans rapport avec le soviétisme » était alors nommé par Eltsine, gouverneur de Nijni-Novgorod. Il se rendit odieux à grande échelle comme ministre de l'énergie d'Eltsine. Ce sont les privatisations décidées et organisées par lui, Nemtsov, qui ont créé l'oligarchie kleptocratique russe, fléau dont ce pays met un temps fou à se débarrasser. En effet, chaque oligarque, généreux donateur, est défendu bec et ongle par la propagande des agences de l’OTAN comme des « amis de la liberté », de « l’économie de marché » et autre habillages rhétoriques de la caste dans le monde entier. D’ailleurs, l’entourage de « l’authentique démocrate» Nemtsov, a fourni un riche contingent de condamnés pour diverses malversations dans les privatisations organisé par l’homme qui « n’avait rien à voir avec le soviétisme ».
Libéral fanatique, ce grand esprit avait été félicité à l'époque par Margaret Thatcher lors d'une visite en Russie. Vice-premier ministre chargé de l'économie en 1997-1998, sa gestion servile à l’égard des injonctions du FMI provoqua le crash russe. Ce fut la plus terrible humiliation de la nation russe depuis l’annexion de l’ancien glacis de l’est dans l’OTAN. Voilà le bilan de monsieur Nemtsov. Cela ne justifie pas qu’on l’assassine. Mais cela devrait nous épargner d’être invités à l’admirer comme le propose grotesquement « le Monde ». Si nous avions une presse indépendante des États-Unis et du conformisme de la dictamolle libérale, personne ne s’aviserait de nous le proposer.
Qui a bien pu tuer Nemtsov ? Naturellement nous n’en savons rien. Si l’on exclut le crime passionnel, et que l’on reste à la politique, on peut diriger l’enquête et les soupçons du côté où il avait le plus d’ennemis. A qui profite le crime ? Certainement pas à Vladimir Poutine : cet assassinat arrive pour lui au plus mauvais moment sur le plan international et au plus mauvais endroit : devant chez lui, au Kremlin. Boris Nemtsov n'était pas une menace pour Poutine compte tenu de sa marginalisation intérieure. En Russie, les amis de l’Ukraine actuelle qui manifestent avec le drapeau de l’ennemi sont très mal vus. Surtout que pour Nemtsov, son soutien à l'Ukraine ultra-nationaliste a commencé en 2004, quand il était déjà conseiller économique du président Ioutchenko, ami d’hier du journal « Le Monde » et ennemi d’aujourd’hui, héros de la dite « révolution » orange. Il est certain que la popularité de Boris Nemtsov n'a pas grandi en Russie du fait son opposition au vote des citoyens de Crimée pour le rattachement à leur patrie russe. Il préférait une Crimée enchainée à l’Ukraine dont les habitants étaient interdits de parler leur langue par ordre des hurluberlus violents de Kiev. L’homme qui n’avait « rien à voir avec le soviétisme » était pourtant dans cette circonstance le défenseur d’une décision personnelle de Nikita Kroutchev, alors tout puissant secrétaire général du Parti Communiste de l’Union soviétique, qui décida, un soir de beuverie dit-on, de rattacher la Crimée à l’Ukraine pour afficher la force de l’attachement de l’Ukraine à la Russie. Un peu comme si un président français décidait de rattacher l’Alsace et la Lorraine à l’Allemagne pour montrer la force du couple franco-allemand ! Car la Crimée est russe depuis toujours, comme l’Alsace et la Lorraine sont françaises, comme l’ont prouvé les millions de morts français tués pour la libérer de l’occupation allemande. Notons, quoiqu’on en pense, qu’un Russe qui se prononce pour Kiev et pour l’intervention de « l’Occident » en Ukraine est un courageux minoritaire parmi les Russes qui vivent mal la présence de nazis au gouvernement de Kiev, l’interdiction de parler russe dans les terres russophones et s’émeuvent des quatre mille civils russophones tués dans le Donbass et du crime sadique contre les quarante syndicalistes brulés vifs ! Sachant cela, je pense que même le plus anti-Poutine et ennemi des Russes peut alors voir sous un autre œil la situation.
Boris Nemtsov était un opposant extrêmement confortable pour Poutine car il était caricaturalement acquis aux ennemis de la Russie. Il était donc sans aucun danger politique et parfaitement inconnu de « l’opinion occidentale » avant sa mort. Je n’en dirais pas autant des milieux de l’extrême droite Russe. Celle-ci est aspirée dans une surenchère permanente et des compétitions mortelles depuis que des « amis de l’Europe » comme l’antisémite Alexey Navalny en rajoutent sans cesse dans l’hystérie xénophobe et ultra nationaliste. Dès lors « l’authentique démocrate», multi pensionné des officines et succursales de la bien-pensance européenne et nord-américaine, ami public du gouvernement ultra anti-russe de Kiev, en pointe dans le rôle de tireur dans le dos de son pays, pourrait avoir été pour eux une cible pleine de sens. Pour ceux-là d’ailleurs, la politique de Poutine est trop équilibrée. Eux sont partisans de la confrontation directe avec l’Ukraine et les USA. C’est eux que le parti américain d’Ukraine veut encourager en les poussant à bout. Le débarquement des troupes américaines fonctionne dans ce sens. Car soyons clairs : si l’armée russe entrait en Ukraine à la suite des provocateurs nord-américaine, les forces qui tenteraient de s’y opposer seraient balayées en moins d’une semaine, parachutistes américains ou pas. 600 Américains ne sont pas davantage invincibles que des milliers d’entre eux. Ce qu’ont montré toutes les guerres perdues par les armadas nord-américaines, à Cuba, au Vietnam, en Somalie, en Afghanistan, en Irak. Les USA savent organiser des complots, des assassinats politiques, acheter des journalistes et des agents d’influence dans tous les pays. Mais militairement, ils ne peuvent vaincre que dans l’ile de la Grenade des gens désarmés, à Panama le chef des trafiquants de drogue, et d’une façon générale des gens incapables de se défendre.
Il est important de se souvenir que la Russie est une très grande puissance militaire, dont le peuple en arme, que n’intimideront pas les bandes de pauvres diables chicanos de l’armée des USA. En tous cas ces 600 parachutistes-là ne peuvent compenser le caractère pitoyable des bandes armées ukrainiennes qui viennent d’être défaites dans l’est du pays en dépit de la sauvagerie de leurs actions. Tout repose donc à présent sur le sang froid de Vladimir Poutine et des dirigeants russes. Pas de guerre ! La patience, l’écroulement de l’économie ukrainienne, la désagrégation de ce pays qui a tant de mal à en être un, tout vient à point a qui sait attendre. La guerre est le pire qui puisse arriver à tout le monde en Europe et dans le monde. La guerre au milieu de sept centrales nucléaires dont la deuxième du monde, devant le sarcophage de Tchernobyl, la guerre serait un désastre dont l’Europe ne se relèverait pas avant des décennies. Les USA doivent rentrer chez eux et laisser les habitants de ce continent régler leurs problèmes.
Jean-Luc MÉLENCHON
le 4 mars 2015
SOURCE: