LES CAPITALISTES : « Leur soif de richesses ne connaît ni scrupules ni limites »
Et si une nouvelle lutte des classes apparaissait sans que l’on s’en rende compte ? Et si le taux de pauvreté français, plus faible qu’ailleurs en Europe, cachait d’autres réalités ? Alors que depuis quinze ans, les inégalités de revenus augmentent en France, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon ont accepté de répondre à quelques questions. Le duo – à la ville comme dans leur labo de recherche – a déjà produit près d’une vingtaine de travaux. Le fil rouge ? La violence des classes aisées et la façon dont elles s’assurent de protéger leur classe et leurs richesses.
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Entre deux trains et trois conférences, l’ancienne directrice de recherche au CNRS et son mari nous ont accordé une heure en décembre dernier. Nouvelle lutte des classes, pression sur les ouvriers, abandon des pouvoirs publics et évasion fiscale, tour d’horizon d’un monde bien malmené depuis trente ans.
Les rapports entre patrons et salariés changent, la France se désindustrialise de façon accélérée depuis la crise de 2008 et les banques sont très présentes dans le devenir des entreprises. Si responsables il y a, qui sont-ils ?
Nous avons l’exemple de l’entreprise Thomé-Génot dans les Ardennes – ancien numéro 1 mondial des pôles d’alternateurs pour automobiles. En refusant les prêts nécessaires au développement de cette usine, les banquiers ont eu une responsabilité énorme dans sa mise en liquidation judiciaire par les juges consulaires. Ces derniers n’ont rien trouvé de mieux à faire que de la faire vendre pour un euro symbolique à Catalina, un fonds d’investissement américain, venu tout droit de l’Etat du Delaware, un véritable paradis fiscal. Plusieurs centaines d’ouvriers ont ainsi perdu leur travail après que Catalina a pillé tous les savoir-faire et les actifs de cette entreprise, dont les friches industrielles crient aujourd’hui la violence des riches.
Aujourd’hui les salariés sont devenus une variable d’ajustement, alors que les patrons et les actionnaires se présentent en créateurs de la richesse et des emplois. En récompense, leurs rémunérations et dividendes ne doivent connaître de limites. Seul le coût du capital est responsable des délocalisations dans les pays où le travail est payé au tarif local, celui de la misère.
Nous travaillons avec l’hypothèse forte et inquiétante d’une guerre de classes menée par les plus riches contre les classes moyennes et les classes populaires, mais elle correspond à la réalité de nos enquêtes.
On assiste à une inversion de la lutte des classes ?
On a une claire inversion de la lutte des classes avec les plus riches d’un côté. De l’autre, les travailleurs ne sont plus que des coûts et des charges. C’est une des armes, ici idéologique, utilisées pour justifier les délocalisations, les millions de chômeurs et empêcher toute velléité de contestation d’un système social et économique soumis à la dictature des actionnaires.
Les conséquences de cette guerre sont innombrables, depuis la souffrance devant la disparition des solidarités nationales jusqu’à la spéculation par les plus riches sur les matières premières et les produits alimentaires de base.
De façon consciente ?
C’est parfaitement conscient. Parfois lors de certains débats, on nous rétorque que nous sommes en plein dans une théorie du complot. Mais, dans nos travaux, nous montrons qu’en effet la classe des nantis est mobilisée pour la défense de ses seuls intérêts particuliers. Cette classe existe en soi, c’est à dire objectivement avec des modes de vie semblables et subjectivement. Aujourd’hui c’est la seule classe qui a conscience d’être une classe. Vous naissez à Neuilly dans une famille fortunée, vous n’y êtes pour rien, mais on vous apprend à devenir un grand bourgeois avec les droits de ceux qui cumulent toutes les formes de richesses. La richesse économique transmise par la famille, permettra, avec la propriété des moyens de production, d’extorquer à son tour de la plus-value en ne payant pas le travail à sa juste valeur.
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