[Marianne.net] Pourquoi « L’AUTRE GAUCHE » ne parvient pas à s'imposer ?
Marianne : Quel bilan tirez-vous de ce premier tour des régionales pour le bloc à la gauche du PS ?
Jérôme Fourquet : Ce bloc en dehors du Parti socialiste a fait, au niveau national, aux alentours de 11 %, ce qui est loin d’être ridicule. Sauf que d’une région à une autre, il y a de grandes disparités des listes. Dans les régions Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées et PACA, le Front de gauche dans son ensemble et EELV, plus Nouvelle Donne, partaient ensemble. Mais dans la région Nord, le Parti de gauche et EELV se sont retrouvés face à une liste communiste comme dans la région Auvergne-Rhône-Alpes par exemple.
Cette gauche n'est donc pas allée à la bataille sous les mêmes couleurs, ce qui a nui à sa visibilité et à la lecture de ses résultats. On ne sait pas si d’une liste à l’autre, tel résultat est à mettre au profit des écologistes ou de tout ou partie du Front de gauche. C’était exactement le même problème lors des départementales. Donc il y a un véritable problème d’affichage. D’autant que cette alternative au PS, on le voit, est loin d’être stabilisée et prête à l’emploi. Elle est à ce stade en chantier. Et si au niveau national, ce bloc atteint 11 %, le PS est quant à lui à 23 %. Ce n’est pas dans un rapport de force de 20%-15% qui ferait de ce bloc un interlocuteur capable de peser face au PS. Là, avec ce rapport de 23%-11%, les socialistes restent la force principale de la gauche. Enfin, dans certaines régions, les scores de ces listes d’alliances trahissent un échec stratégique terrible de faire barrage au tripartisme comme dans la région Nord où l’on a un FN qui caracole en tête, un PS qui souffre et des listes EELV/PG qui ne sont même pas en capacité de fusionner.
Marianne : Finalement malgré les prévisions des sondages, le PS a mieux résisté que prévu. Ces listes de l'« autre gauche » ont-elle souffert d’une forme de réflexe légitimiste de la part du « peuple de gauche » face à la menace FN et aux attentats de novembre ?
Oui, même si les derniers sondages étaient à peu près dans ces niveaux-là. Effectivement s’il n’y a pas eu d’effet massif post-attentat à la hauteur de la hausse de la côte de popularité de François Hollande pour le PS, il y a une partie de l’électorat de gauche, écologistes ou du Front de gauche, qui ont effectivement eu un réflexe légitimiste et sont aller voter PS dès le premier tour.
Marianne : Comment expliquer que cette gauche radicale n’arrive pas à percer ?
Le problème pour la gauche de la gauche est qu’aujourd’hui, on parle plus de la question de la déchéance de nationalité pour les binationaux que de la valorisation du smic ou de la hausse du chômage. Ces dernières années, les débats économiques ont laissé la place à un retour en force d’autres thématiques où la gauche de la gauche a du mal à exister.
Il y a aussi le contexte économique qui joue évidemment. Pour avoir un Syriza ou un Podemos, il faut que les conditions économiques soient très détériorée. En France, si l’on veut grossir le trait, nous avons le gel du point des fonctionnaires, une mesure que l’on peut appeler austéritaire. Mais ce n’est en rien comparable au choc d’austérité qu’ont vécu la Grèce et l'Espagne avec un chômage qui a atteint 50% des jeunes de moins de 25 ans en Grèce.
Il faut se rappeler de l’élection législative partielle du Doubs début janvier, une circonscription de tradition ouvrière. Nous sommes après les attentats de Charlie Hebdo, avec des débats qui tournaient autour de la laïcité et après l’élection de Syriza. Résultat, la liste de rassemblent du Front de gauche fait moins de 4% et le FN fait un carton.
Autre élément, la séquence Syriza a fait beaucoup de mal à la gauche de la gauche. Cet été, Alexis Tsipras était porté aux nues pour son combat contre l’austérité. Sauf que le Premier ministre grec, finalement, a été contraint d’accepter des conditions très dures de la part de l’ex-troïka. Conséquence dans l’opinion publique, cette impression que le discours que portait Tsipras se serait finalement fracassé contre le mur de la réalité. Un coup rude pour la crédibilité de ceux qui veulent continuer à porter le fer sur ce même registre. Jean-Luc Mélenchon, qui est un fin analyste, l’avait compris et a essayé tout de suite de lutter contre ça en dénonçant les choix de Tsipras, contrairement d’ailleurs au PCF. Mais ça n’a surement pas été suffisant. La manière dont a tourné l’expérience Syriza a fait beaucoup de mal à cette gauche-là.
Marianne : Finalement, si l’on reprend l’idée gramsciste de l’hégémonie culturelle, la gauche radicale serait-elle en passe de perdre la bataille des idées, avec des débats qui se sont progressivement imposés depuis la mandature de Nicolas Sarkozy tournant autour d’obsessions identitaires ?
Oui et non. On voit effectivement monter ces thématiques depuis une dizaine d'années mais elles se sont vraiment imposées depuis deux, trois ans et surtout depuis janvier. C’est ce que je démontrais avec Alain Mercier dans l’essai Janvier 2015 : Le catalyseur. Ces thématiques - l’islamisation, le voile, l’identité - représentent clairement une force propulsive pour la droite et l’extrême-droite. Et elles ont pris un vrai essor depuis janvier.
Mais l’autre élément, et c’est là qu’intervient Antonio Gramsci, est ce qu’a fait la gauche de gouvernement. Si en janvier, le gouvernement n’a pas réagi, après les attentats de novembre, François Hollande, en mettant en place l’Etat d’urgence et en parlant de déchéance de nationalité, est allé très loin. Jean-Luc Mélenchon, un lecteur attentif de Gramsci, avait d’ailleurs parlé d'une « sidérante contribution à l’imaginaire sécuritaire ». Dans ce contexte, difficile pour la gauche de la gauche d’exister dans le débat.
Sur le terrain économique et social, ce gouvernement a aussi créé une forme de résignation sur la possibilité de changement. Ce tournant que l’on a qualifié de social-libéral avec la réforme des retraites, le pacte de responsabilité, le travail du dimanche ou la dénonciation des « carcans » de la société par Emmanuel Macron, a accrédité l’idée que, si c’est un gouvernement de gauche qui fait ça, la mise en place d’une autre politique économique ne serait en fait qu’une utopie, pas possible finalement. Sur ce plan là, François Hollande, au sein de la gauche, a clairement déplacé le curseur par sa politique et le choix des mots. Cela a dessiné le paysage d’une résignation et d’une capitulation idéologique.
Marianne : Justement cette situation d’une gauche en dehors du PS qui a du mal à exister et d’un FN qui s’installe favorise-t-elle François Hollande dans la perspective de 2017 ?
Il faudra voir ça avec les résultats du deuxième tour mais clairement, nous avons une situation où le Front national est implanté et un PS, même s’il souffre, qui réussit tout de même à tenir. Mais ni la droite et le centre, ni la gauche de la gauche ne profitent vraiment de cette situation. Pour François Hollande, cela peut le servir d’abord pour resserrer le parti autour de lui et notamment l’aile gauche du PS en montrant que le créneau « plus à gauche tu meurs » n’a pas de demande électorale. Si le FN arrive à prendre une ou deux régions, le risque pour 2017 se confirmera un peu plus. Jouant sur le souvenir du 21 avril 2002, cela pourrait bien pousser les alliés du PS à favoriser une seule candidature dès le premier tour plutôt que de tenter l’aventure seul. Ils auront, au regard de cette tripolarisation de la politique, surement cette formule de Bismarck en tête : « Dans un jeu à trois, mieux vaut ne pas être le troisième ». C'est indéniablement en élément positif pour François Hollande.