Le CHÔMAGE, l’industrie et l’Euro [par Jacques SAPIR]
Le chômage, l’industrie et l’Euro
par Jacques Sapir · 18 janvier 2016 - Extraits - Lire l'intégralité ici -
La question du chômage est bien aujourd’hui la question essentielle. C’est elle qui motive l’annonce – bien tardive – d’un « plan d’urgence » par le Président de la République. Que l’on regarde d’un point de vue économique, et le coût du chômage tant direct qu’indirect par les opportunités qui sont perdues est un problème majeur pour l’économie française, d’un point de vue social, et les conditions de vie des chômeurs – 4,5 millions en chiffre réel quand on se base sur les 3 catégories A, B et D de la Dares – mais aussi des travailleurs pauvres dont le salaire est tiré à la baisse par l’importance du chômage sont aujourd’hui un véritable drame national, ou que l’on regarde d’un point de vue politique, et il est ici évident que le chômage déstructure notre vie politique, il est clair que la question du chômage est bien la première dans la Nation. Cette question du chômage est fondamentalement le produit d’une insuffisance de la demande solvable face à la montée des gains de productivité. Mais, elle a pris un tournant important avec l’émergence du problème de la compétitivité relative des productions françaises depuis maintenant plus de 25 ans. Elle se concentre sur le phénomène dedésindustrialisation que la France connaît depuis cette époque. Même si l’emploi industriel a toujours été limité en France, il faut savoir que chaque emploi dans l’industrie « nourrit » entre 2,5 et 3 emplois dans les services qui sont associés, directement ou indirectement, à la production industrielle. C’est pourquoi cette dernière est le premier indicateur quand on veut regarder la question du chômage.
Histoire de la production industrielle en France
Si l’on regarde les chiffres de l’INSEE, on est frappé par le constat que la production industrielle, qu’il s’agisse de la production globale ou de la production manufacturière, est aujourd’hui inférieure à son niveau de 1990.
[...] De fait, la production industrielle ne retrouve son niveau de 1990 qu’en janvier 1997. Ce « mieux », certes très relatif, est dû à la mise en œuvre d’une politique volontariste d’exonération des cotisations sociales, qui équivaut à l’effet d’une dépréciation du taux de change pour les entreprises, mais qui serait à la charge de l’Etat.
[...] ces résultats ont été payés au prix fort par un alourdissement et du déficit et de la fiscalité, dans la mesure ou toute exonération des cotisations doit être compensée ; ce que les entreprises ne payent pas, il faut bien le faire payer aux ménages. Mais, le plus dramatique est bien la faiblesse de ces effets. Ils ne font que compenser les effets négatifs massifs de la mise en place de l’Euro [...] Par ailleurs, l’appréciation de l’Euro par rapport au Dollar (et aux monnaies associées au Dollar), appréciation qui se fait sentir depuis l’été 2002, constitue une autre cause de freinage de la production industrielle.
[...] La crise de 2008-2010 entraîne un effondrement de la production industrielle, et une hausse corrélative du chômage. Les politiques d’austérité qui se développent en Europe (Grèce, Espagne, Portugal et Italie) ont pour effet à la fois de diminuer la demande globale et d’accroître de manière considérable la concurrence, en particulier avec l’Italie et l’Espagne. [...] La production industrielle, après avoir connu un léger rebond fin 2009 – début 2010, stagne et décroit à nouveau.
Un problème de spécialisation industrielle ?
De nombreux économistes prétendent que les effets du taux de change (et de l’Euro) sont minimes en comparaison avec les effets dits « de qualité » de la production industrielle. Notons que cette explication est battue en brèche par le dernier rapport du Fond Monétaire International qui, au contraire, montre bien l’importance du taux de change dans les échanges [...]
On constate la très grande similitude de la trajectoire de la branche « machines et équipements » et de celles « moyens de transport » (qui inclut l’aéronautique). Seule, la sous-branche « industrie automobile » montre une certaine différence. Mais, d’une part, la production stagne depuis le début des années 2000 et d’autre part la délocalisation d’une partie des sous-ensembles de cette branche (en Slovaquie, République Tchèque, Roumanie) a permis aux producteurs de maintenir des volumes de production mais au prix de la perte d’emplois en France.
Si l’on sort du domaine de l’industrie mécanique (au sens large) les résultats des autres branches sont assez convergents avec ceux que l’on a déjà constatés.
On constate la très similitude de la trajectoire de l’industrie pharmaceutique avec la moyenne de l’industrie. Pourtant, à priori, on pourrait penser que l’industrie pharmaceutique serait l’un des points forts de l’industrie française à la fois compte tenu du savoir faire dans la recherche mais aussi d’une demande spécifique qui tend normalement à augmenter dans une population qui prend de l’âge. En fait, la seule branche qui connaît une croissance notable, et qui semble échapper aux problèmes de l’industrie est la métallurgie et produits métalliques, autrement dit une branche où les gains de productivités ont été très important mais qui est très loin d’apparaître comme une branche « nouvelle » par la nature des procès technologiques mis en œuvre.
Si l’argument d’un défaut de spécialisation de l’industrie française peut et doit être entendu, il est faux d’y voir la cause principale de la désindustrialisation de la France. Cette cause est et reste l’Euro, qu’il s’agisse de ses effets directs ou de celui des politiques dites « de Franc fort » qui ont été mises en œuvre pour « préparer » la France à l’Euro. La tragédie de l’industrie, et donc du chômage, en France s’inscrit dans le long terme, dans la décision consciemment prise par les gouvernements qui se sont succédés depuis la fin des années 1980, d’inscrire le pays dans une Union monétaire qui ne pouvait (et qui ne peut toujours pas) fonctionner. Ce ne sont pas des mesures ponctuelles qui seront annoncées par le Président de la République, M. François Hollande, qui pourront y changer grand chose.
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Vu sur le site d'Action Communiste Haute-Normandie