Le scandale de la grève oubliée des mineurs de mai-juin 1941
Au printemps 1941, les mineurs du Nord-Pas-de-Calais se mettent en grève. Un acte de résistance fondateur. Fruit d’une mobilisation animée par les communistes. Avec l’aide de la police française et des compagnies des mines, la Feldgendarmerie mène une répression féroce.
Novembre 2014 : sous l’impulsion de Christiane Taubira, garde des Sceaux, l’Assemblée nationale décide de valoriser les engagements et les valeurs des « gueules noires » lors des grèves de 1941, 1948 et 1952. Une commission est pour cela créée. Présidée par le maire de Grenay (Pas-de-Calais), Christian Champiré, elle prendra le nom de « Norbert Gilmez », héros de la lutte opiniâtre des mineurs, victime de la répression lors des grèves de 1948.
Le 27 mai 1941, au matin, le jeune militant syndicaliste et communiste Michel Brûlé fait stopper les compresseurs à la fosse du Dahomey de Montigny-en-Gohelle. Immédiatement, les marteaux-piqueurs s’arrêtent ; les abatteurs relèvent la tête… Puis des cris, l’Internationale, chantée au fond de la mine à gorge déployée, brise le silence. La grève vient de commencer ! Elle durera quinze jours et rassemblera de Bruay-sur-l’Escaut à Bruay-en-Artois, sur les 120 km du sillon minier, plus de 100 000 mineurs. Ce fut la plus importante grève dans l’Europe occupée.
En effet, depuis juin 1940, le nord de la France est occupé par la Wehrmacht. Le Nord-Pas-de-Calais et les Ardennes, devenus Zone interdite, sont directement administrés par les Allemands depuis Bruxelles (Oberfeldkommandantur), même si préfets, sous-préfets et administrations dépendant de Vichy demeurent présents. En juillet 1940, le directeur des mines de Lens est chargé par les Allemands de coordonner l’activité des différentes concessions et d’organiser le pillage du charbon extrait au profit de l’occupant.
En cet été 1940, le chômage est prégnant, la misère est importante, la classe ouvrière est fortement désorganisée après les vagues de répression de l’hiver 1938-1939, puis de septembre et octobre 1939, la mobilisation et l’évacuation devant l’avancée de la Wehrmacht n’ont fait qu’aggraver cette désorganisation. Pourtant, dans le bassin minier, des responsables syndicaux, des délégués mineurs et élus communistes déchus de leurs mandats demeurent sur le terrain. Ils deviendront les pivots d’une Résistance populaire qui, très vite, va naître.
En août 1940, Martha Desrumaux, dirigeante du PCF, réunit clandestinement plusieurs responsables communistes dans le Douaisis. L’objectif est clair : organiser la lutte des mineurs. En effet, le charbon était le pain de l’industrie. Malgré peurs et répressions, la corporation minière, forte de son expérience revendicative, pouvait être mobilisée. Ainsi, dès ce mois d’août, un cahier de revendications est rédigé, susceptible de remobiliser la corporation minière et les populations du bassin minier. Vingt mille exemplaires seront tirés clandestinement. Quinze mille parviendront dans les corons et les fosses. Le retour fin octobre 1940 du dirigeant Auguste Lecœur dans le Pas-de-Calais va accélérer la mobilisation.
Dès septembre 1940, des débrayages avaient eu lieu à la fosse du Dahomey après la mort d’un galibot ; le 11 Novembre est fêté dans le Douaisis. En janvier 1941, la compagnie de l’Escarpelle est en grève : les mineurs refusent l’allongement de la journée de travail sans augmentation de salaire. En février, des débrayages touchent les fosses autour de Lens. Le 1er mai 1941, drapeaux rouges et tricolores pavoisent terrils et chevalements ; faucilles, marteaux et croix de Lorraine ornent les murs… Le 27 mai 1941, c’est la grève ! 100 000 mineurs sur les 143 000 recensés arrêtent le travail.
Elle durera quinze jours. « Tout est calme », signalent les directeurs de compagnie. Refusant toute provocation, évitant d’occuper les carreaux et l’entrée des fosses, les mineurs restent dans les corons. Ce sont leurs femmes qui interpellent les « jaunes » à la sortie des cités pour les inciter à refuser le travail. Très vite, la grève est connue dans l’agglomération lilloise, où chaque matin des femmes venues des mines travaillent dans les filatures… Déjà le charbon manque et la production électrique est restreinte.
Le 4 juin, des centaines de femmes manifestent à Liévin, Sallaumines, Lens et Harnes. Police et gendarmeries françaises sont submergées. L’armée allemande doit intervenir. La répression commence. La Feldgendarmerie utilise des listes de « rouges » remises par les commissariats et les compagnies des mines. Plusieurs centaines de mineurs sont arrêtés et emprisonnés à Lille, Béthune, Douai et Valenciennes.
Le 13 juin, 273 mineurs sont déportés à la citadelle de Huy en Belgique. Le 23 juillet, 244 d’entre eux partent pour le sinistre camp de concentration de Sachsenhausen, le camp modèle des nazis. Cent trente-six mineurs n’en reviendront pas.
Cinq cent mille tonnes de charbon ne seront pas extraites durant cette grève. Après la répression, pour calmer les esprits, les autorités d’occupation décident une légère augmentation des salaires, des rations de viande et de savon supplémentaires ainsi que des vêtements de travail.
Mais cette grève du 27 mai au 9 juin 1941 témoigne de la capacité de la classe ouvrière et du peuple à refuser la violence de l’exploitation et la soumission à l’occupant.
Les mineurs à l’honneur !
Henri Martel, un mineur syndicaliste, élu du peuple. Né en 1898, il adhère avant 1914 à la CGT, et dès 1920, au Parti communiste. Il est élu député en 1936 et en 1940. Sénateur-mineur en 1946, responsable de la CGT dans le Douaisis, secrétaire général de la Fédération du sous-sol et de l’Union internationale du syndicat des mineurs (FSM), ce mineur de fond est devenu un véritable homme d’État (16 euros, franco de port). Magazine d’histoire, Mai-juin 1941, 100 000 mineurs en grève, 64 pages, éditorial de Julien Lauprêtre (4,30 euros, franco de port). S’adresser à l’association Cris, 166, avenue de Bretagne 59000 Lille (associationcris@orange.fr)
Repères
Août 1940 La dirigeante communiste Martha Desrumaux organise une rencontre afin d’engager la lutte.
1er janvier 1941 L’occupant allemand décide d’allonger d’une demi-heure la journée de travail sans augmentation de salaire.
1er mai Des mouvements sociaux s’organisent autour des comités d’unité syndicale et d’action (Cusa).
3 juin 80 % des mineurs du bassin minier cessent le travail.
5 juin On compte déjà plus de 200 arrestations.
SOURCE:
Historien :Pierre OutterYck,
Vendredi 27 Mai 2016
L'Humanité