La RUSSIE atteinte au chœur
La disparition tragique du chœur Alexandrov en mer Noire ce 25 décembre 2016 est bien plus qu’une tragédie aérienne. C’est un coup historique et une catastrophe nationale, plus douloureuse encore que la perte du Koursk en l’an 2000. Car cet ensemble de haute volée, connu à l’Ouest comme «les chœurs de l’Armée rouge», était la voix même de la Russie invaincue. Par la magie du chant, il était devenu l’un des piliers d’une miraculeuse réconciliation nationale, entre rouges et blancs, qui a jeté un pont par-dessus des millions de cadavres et conduit en moins d’une génération à la résurrection de l’Empire.
Ce que les commissions de révision, les livres d’histoire, les lois et les tribunaux n’auraient jamais pu accomplir, la musique et la spiritualité l’ont fait, tout naturellement. Ce que recelait le chœur Alexandrov, c’était le patrimoine le plus inaliénable de toutes les Russies. «Ceci est à nous!», pouvaient se dire tous les Russes, de tous les bords et opinions. «On pourra nous envahir, on pourra plagier nos chants, mais on ne pourra jamais nous les enlever!» Les airs russes, qui ont tant marqué la musique universelle, plongent leurs racines dans le chant de l’humanité première. Ils sont classiques et populaires, solennels et gaillards, amoureux et martiaux, débridés et funèbres. Ils sont toute la vie! C’est pourquoi le chœur Alexandrov pouvait enchaîner l’hymne national et Daft Punk sans faute de goût.
La diplomatie secrète de l’âme slave
Parmi mes amis et parents serbes, la consternation est tout aussi profonde. La disparition de ce grand chœur le même jour évoque un autre martyre collectif qui est dans toutes les mémoires: l’exécution de tous les lycéens de la ville de Kragujevac par les Allemands, le 21 octobre 1941, parmi des milliers d’autres otages. La grande poétesse Desanka Maksimović en a tiré un poème bouleversant que tous les Serbes connaissent, le Conte sanglant : «Cela se passait dans une contrée de paysans/dans les montagnes des Balkans./Y mourut en martyr/tout un régiment d’étudiants/en un seul jour.»
A l’époque où la Russie regardait impuissante la destruction de la Serbie sous les bombes de l’OTAN et le dépeçage du Kosovo par les bandits anglo-saxons aidés des mafias albanaises, les reprises de vieux hymnes serbes par les chœurs de l’Armée rouge portaient un message de fraternité qui consolait les cœurs et maintenait la foi dans une alliance que les rapports de force avaient enterrée. C’était une diplomatie clandestine qui empruntait les canaux chiffrés de l’âme slave. Le clin d’œil était parfaitement compris: «Leur temps passera, et nous nous retrouverons!»
«Leur» temps est en train de passer, en effet, et ce n’est pas sans pleurs ni grincements de dents. Si cet invraisemblable accident n’est pas qu’une blague du hasard, si quelqu’un a vraiment voulu frapper la Russie, il a visé juste. Il a frappé au cœur. Juste en-dessous du président ou du patriarche.
Et pourtant il ne pouvait viser plus faux! Le chœur de l’armée n’a rien inventé. Il n’était que la plus belle voix de la Russie éternelle, une voix qui se reconstruira avec le temps. Ce coup au chœur ne fera que renforcer l’esprit de bravade de ce peuple magnifique et dément. Ses chants lui confèrent un cœur immense qui se rit de la mort. Et chaque Russe est tombé dedans tout petit, comme Obélix dans son chaudron de potion magique.
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