Gloire à la JEUNESSE ! [par Guillaume Sayon]
« Le monde marche, pourquoi ne tournerait-il pas ? ». Le jeune prodige Arthur Rimbaud, dans une Saison en enfer, écrivait ces mots. Il a piétiné la vieille tradition classique de la poésie française avec sa fraîcheur, sa folie, sa désinvolture légendaire, sa détestation de l’ordre, ecclésiastique ou moral. « Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie modernes ». En un sens, il a mené une révolution et aujourd’hui encore nous sommes des millions à le lire. Comme Verlaine, nous nous sentons fascinés par cet ange tombé du ciel, sculptant le beau pour penser la maladie de vivre une vie si tragiquement grise et ennuyeuse.
Ce billet ne prendra pas les traits d’une critique abondée de chiffres, ou encore d’une tribune enflammée contre le renoncement des hommes et des femmes qui font la politique pour et surtout contre nous. Non j’avais envie de rendre hommage à la jeunesse, à ses imperfections, à son sens de la provocation, à l’ennui que lui inspire ce monde. Ce monde qu’elle rejette sans toujours prendre la peine de comprendre ou de dire pourquoi. Sans doute que la perspective de suivre une formation dans le commerce, dans le management, dans la vente n’est guère enthousiasmante à ses yeux. Sans doute que la mise en concurrence dès le plus jeune âge pour ensuite mourir au travail sous les coups de bâtons d’un patron boudiné, rouge d’avidité et laid comme le profit n’éveille pas en elle de stimulation particulière. Sans doute aussi que de devoir se vendre une cravate nouée au cou ou un tailleur serrant, gris terne, pour gagner tout juste le SMIC n’inspire pas chez elle l’épanouissement. Chômage, petit contrat, stage … « Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer » … Voilà je crois, tout comme l’impétueux Rimbaud, comment la jeunesse décrypte le monde dans lequel elle est condamnée à l’existence.
Contrairement à l’idée trop répandue, la jeunesse n’a jamais été si éduquée. Elle l’est tellement, qu’elle refuse de lire nos journaux, à se plier servilement aux petites règles de la domination. Elle est ultra connectée et crée, dans des endroits où elle est chez elle, d’incroyables choses. Elle maîtrise la vidéo, le code informatique, des sous-cultures extrêmement riches et originales. Pour une part, elle connaît le cinéma, la musique. Elle dessine, joue d’un instrument, écrit. Elle est imaginative, se délivre à elle même des savoirs fondamentaux via la vulgarisation. Oui elle se trompe parfois, oui elle ne lutte pas comme on pourrait l’attendre. Oui elle rejette trop durement les partis, les syndicats, le vieux monde. Mais chaque jour, elle est une source d’inspiration. Chaque jour elle m’étonne et je découvre chez elle de belles et grandes choses. Il lui manque des repères, la perception de jalons susceptibles de lui donner de la force et de pouvoir briser les chaînes qui nous retiennent tous au sol.
Il serait pourtant temps de dialoguer avec elle, d’essayer de la comprendre. De lui laisser de vastes espaces d’expression sans lui souffler à l’oreille ce qu’elle peut ou ne peut pas dire ou faire. Elle déborde d’imagination et je la sais capable d’ériger des ponts vers un autre monde, une autre civilisation débarrassée des fantasmes de la vieille garde bourgeoise. Elle envahit des places, ressuscite l’utopie, se débrouille parfois pour échapper à l’emploi organisant des systèmes de solidarité capables de financer ses projets.
Elle n’a pas lu Marx et souvent même n’a lu que très peu d’auteurs classiques. Elle a inventé une nouvelle science-fiction où tout est possible. Des univers codifiés qui incarnent la douleur de vivre cette vie mais qui disent son aspiration à vivre autre chose. Elle se plonge parfois trop facilement dans une forme de nihilisme légitimement critiquable. Mais être jeune c’est aussi cela. C’est être en perpétuelle recherche d’un chemin, c’est tâtonner, expérimenter, se tromper, tomber même. Mais une fougue, une énergie, une soif de s’éveiller font qu’elle ne renonce que rarement. Ce qui est certain, c’est qu’elle ne veut pas du monde qu’on est en train de lui léguer, de lui imposer. Elle marche à reculons pour ne pas sombrer trop vite dans le tourbillon de l’habitude, en un sens donc de l’absurde comme pourrait le soutenir Camus.
Globalement elle ne vote pas même si elle pense, à sa façon, la politique. Comment pouvoir lui reprocher de ne pas prendre part au débat politique quand les seules perspectives qu’on lui propose de discuter sont l’austérité, la nécessité de travailler plus et mal pour des salaires toujours plus bas. Le choix entre Macron ou Fillon … Comment, finalement, lui reprocher de ne pas participer à l’élaboration des plans de sa lugubre prison ? D’ailleurs pendant la bataille contre la loi travail, le slogan de sa mobilisation n’était-il pas « on vaut mieux que ça ». Je l’avais trouvé tellement fort et beau ce cri de ralliement.
Notre responsabilité est claire. Il nous faut trouver le moyen d’établir une connexion entre elle et nous. Nous qui avons des structures intellectuelles précises, une expérience de la lutte, un héritage presque génétique du combat, nous sommes capables de mettre des mots et des concepts sur les aspirations de cette dernière. Comme le soulignait Friot, si la vieille garde communiste trouve le moyen de s’ouvrir à cette jeunesse intérieurement révoltée, le capitalisme tremblera si fort qu’il risquerait de s’effondrer pour de bon. Alors nous ne devons pas avoir peur d’exiger l’impossible. Nous devons cesser de ne penser le bonheur que de manière ratatinée, meurtris que nous sommes par nos renoncements en cascade. Alors la jeunesse grimpera les barricades à nos côtés et plus rien n’empêchera l’avènement de la lumineuse aurore. Mais disons lui d’abord et simplement, avec la force et l’honnêteté que cela réclame, comme l’a fait si magistralement Jaurès aux lycéens d’Albi dans son mythique discours à la jeunesse, « vous avez le droit d’être exigeants ».
G.S.
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