Ne cherchez pas : c’est la faute à POUTINE ! [Par Jean-François Kahn]
Aujourd’hui, les médias de gauche expliquent tout ou presque par l’action subversive des agents du poutinisme international.
En matière de « chef d’orchestre clandestin » – celui qui tire toutes les ficelles, dont l’activité occulte et subreptice permet d’expliquer tout ce qui cloche – nous avons eu droit à la CIA, au KGB, à la franc-maçonnerie, à la synarchie, à l’Internationale juive ou sioniste, au judéo-bolchevisme, à l’Opus Dei, à la haute finance internationale…
Maintenant, nous avons Poutine. Poutine qui les remplace tous.
Ce n’est plus l’œil de Moscou, c’est la main de Moscou dans toutes les culottes de tous les zouaves.
La défaite d’Hilary Clinton ? Ce ne sont pas ses insuffisances, c’est Poutine ! Les causes du score attendu de Marine Le Pen à l’élection présidentielle, ce ne sont pas les sentiments cumulés de relégation et de dévalorisation sociales, c’est Poutine ! La cause principale du Brexit et de la dislocation de l’Europe, c’est encore lui, Poutine ! Ce n’est pas Ubu roi, c’est Jupiter tsar.
Hier, les médias de droite expliquaient tout par l’action subversive des agents du communisme international. Aujourd’hui, les médias de gauche (entre deux dénonciations du « complotisme », ce qui est un comble) expliquent tout ou presque par l’action subversive des agents du poutinisme international.
Dans les deux cas, cela permit et permet de ne pas se poser des questions dérangeantes. En particulier celles de ses propres responsabilités. C’est même fait pour ça.
Donc Le Monde et Libération par exemple, et autres médias, nous gavent d’enquêtes sur l’influence gigantesque, considérable et pernicieuse que joueraient, dans notre pays, deux médias russophiles : Russia Today et Sputnik, dont les capacités d’intoxication du bon peuple seraient absolument terrifiantes. L’équivalent à eux deux du Komintern et de Wall Street. Qu’en est-il ?
Pourquoi cet improbable semi-succès ?
La Russie de Poutine a effectivement décidé, comme naguère les Etats-Unis avec La voix de l’Amérique et Radio Europe Libre, d’investir dans une communication d’influence qui ne recule devant aucun procédé propagandiste. Ces deux médias sont effectivement à la solde du pouvoir russe, donc de la politique poutinesque. Ils ne rechignent effectivement pas à recourir aux méthodes les plus classiques de la désinformation et de l’intoxication. Sans jouer (et de loin) un rôle aussi déterminant que celui que leurs contempteurs quelque peu obsessionnels leur prêtent, ils ont effectivement atteints un niveau de diffusion – et donc d’influence – tout à fait surprenant, voire préoccupant. Et les politiciens français pro-russes, en majorité de droite ou d’extrême droite, mais pas seulement, bénéficient, effectivement, de leur active sollicitude.
Mais alors une question se pose : pourquoi cet improbable semi-succès ?
Vous croyez qu’ils se la poseront ? Evidemment pas. La réponse leur serait insupportable. Car oui, ces médias désinforment au profit d’un pouvoir semi-autocratique. Mais si, concernant par exemple la tragédie syrienne, la désinformation inverse n’avait pas battu tous les records ; si la passion militante ne s’était pas substituée à toute analyse objective ; si le déni du réel n’avait pas contribué à ce fatal auto-aveuglement ; si la propagande ne s’était pas trop souvent substituée à l’information objective ; si la couverture de toute actualité concernant la Russie n’avait pas atteint un tel degré d’unilatéralisme ridiculement caricatural ; si certaines erreurs commises, telle l’approbation enthousiaste de l’intervention en Libye, avaient été reconnues et analysées ; si les rubriques « débats » n’avaient pas consisté à touiller sans cesse les mêmes soupes dans les mêmes pots (mais très intelligemment, bien sûr) ou, au mieux, summum du pluralisme, à confronter deux tendances distinctes de l’extrême gauche, croyez-vous alors que ces petits et marginaux organes de communication auraient bénéficié ne fût-ce que d’un quart de leur impact ?
Voilà un débat qu’il serait intéressant d’ouvrir. Mais ces gens ne débattent qu’entre eux. Ce qui ne nous empêcherait pas de les soutenir de toutes nos forces si on portait la moindre atteinte à leur liberté et à leur indépendance.
Source : Marianne, Jean-François Kahn, 14/03/2017
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