Ganelon (*) au perchoir ! [Le blog de Descartes]
L’élection de François de Rugy à la présidence de l’Assemblée nationale devrait provoquer l’indignation de tous les hommes d’honneur, de tous ceux pour qui la parole donnée a encore une valeur, de tous ceux pour qui la politique est autre chose qu’une course aux places.
Et je ne dis pas ça parce que de Rugy n’est pas de mon bord idéologique. Cela n’a rien à voir. Lorsque Denis Baupin a été victime d’un ignoble règlement de comptes, j’ai défendu son droit à être entendu et respecté, alors qu’on peut difficilement m’accuser d’être de son bord. Non, dans cette affaire les idées que défend – ou que prétend défendre – de Rugy ne rentrent pas en ligne de compte. Non, le problème est tout différent : de Rugy est un homme sans honneur, un homme qui a renié publiquement à sa signature pour aller à la soupe. Et cela est - ou du moins devrait être - impardonnable.
Qu’on me permette de revenir sur les faits. Le 15 décembre 2016, François de Rugy dépose sa candidature aux « primaires de la belle alliance populaire » - nom complet des primaires organisées par le Parti socialiste et ses alliés. Le dépôt de candidature nécessite la signature d’une charte de bonne conduite ainsi que de la promesse ainsi libellée : « Je m’engage à soutenir publiquement le-la candidat-e qui sera désigné-e à l’issue des élections des Primaires citoyennes et à m’engager dans sa campagne. ». Le 28 janvier, le deuxième tour de la primaire désigne François Hamon candidat de la « belle alliance populaire ». Le 22 février, six semaines à peine après avoir signé l’engagement de « soutenir le candidat désigné par la primaire et de s’engager dans sa campagne », de Rugy déclare soutenir et s’engage dans la campagne d’Emmanuel Macron. Six petites semaines et la défaite de Manuel Valls auront suffi pour convaincre de Rugy non seulement de l’excellence des propositions de Macron, au point de lui faire renier sa signature.
Et comment justifie-t-il son reniement ? « Je préfère la cohérence à l’obéissance »… On voit mal où est la « cohérence » quand on renie un engagement six semaines après l'avoir signé. Mais peut être faut-il entendre par « cohérence » une forme de continuité: tout au long de sa carrière, de Rugy est allé là où la soupe était la meilleure. En quittant Hamon pour Macron, il ne fait que se placer dans cette continuité. Seulement voilà, lorsqu’il parle « d’obéissance », il fait une regrettable confusion. Parce qu’il s’agit ici moins de « obéissance » que de respect de la parole donnée, et librement donnée.
Et de Rugy ajoute, pour justifier son geste : « Les idées que j’ai défendues dans la primaire sont plus proches de celles défendues par Emmanuel Macron que de celles défendues par Benoît Hamon. ». En d’autres termes, de Rugy avait signé son engagement en pensant que le résultat de la primaire serait différent, que celui qui serait désigné - Manuel Valls, peut-être ? - serait « plus proche » de ses idées. Mais comme ça ne s’est pas passé comme prévu, il se sent autorisé à se délier de son engagement. C’est beau, la parole donnée à la manière de Rugy…
Vous me direz que ce n’est pas la première fois qu’un homme politique trahit ses engagements. L’exemple évident, ce sont les promesses électorales. Mais il faut ici faire la distinction entre un engagement politique et un engagement personnel. L’engagement politique fait partie d’un ballet de séduction. Lorsque votre promise vous demande « tu m’aimeras toujours ? », et que vous lui répondez « je te le jure, mon amour », elle ne peut vous trainer devant les tribunaux pour parjure si vous demandez à divorcer quelques années plus tard. D’ailleurs, le constituant a interdit tout mandat impératif, précisément parce qu’il reconnaît qu’un système où les représentants devraient exécuter à la lettre leurs promesses serait un système tyrannique.
Mais l’engagement pris par de Rugy n’est pas un engagement de nature politique, c’est un engagement personnel, la promesse de se lier à une certaine éthique. C’est aussi un engagement contractuel : c’est en échange de cette promesse que les organisateurs de la primaire ont permis à de Rugy de disposer des moyens et de l’espace médiatique pour faire campagne. Le renier, c’est vouloir manger le repas et refuser ensuite de payer l’addition.
Et ce personnage méprisable - et largement méprisé, d'ailleurs - est maintenant président de l’Assemblée nationale. Par la grâce de Macron, certes. Mais surtout, par l'inertie d’un groupe de parlementaires godillots qui semblent insensibles aux questions morales et éthiques, et incapables de peser par eux-mêmes. Après avoir choisi comme président de leur groupe un homme qui a profité de son poste de président d’une mutuelle pour faire faire une bonne affaire à son épouse, ils ont fait d’un homme sans honneur le quatrième personnage de l’Etat. Et dans l’un comme dans l’autre cas, il n’y aura pas eu une seule voix, une seule, pour se lever avec force contre cette aberration. Pas un seul député « macroniste » pour protester. Il faut croire que les députés issus de la « société civile » ont parfaitement intégré la loi du milieu.
Je pense aux parents, aux instituteurs de notre beau pays. Comment expliqueront-ils aux enfants qu’il faut dire la vérité, qu’il faut avoir un comportement éthique et respecter la parole donnée, quand ceux qui occupent les plus hautes fonctions s’affranchissent allègrement de ces limites dans leur comportement personnel et, ce qui est pire, au lieu d’en être punis ils sont grassement récompensés ? Judas avait reçu ses trente deniers, mais hanté par le remords il s’était suicidé. De Rugy non seulement ne se suicide pas, mais il paradera pendant cinq ans ses trente deniers au perchoir.
Descartes
(*) Le nom de Ganelon, évoque un célèbre personnage des épopées carlovingiennes où il personnifie le traître.
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