« LE MOUVEMENT DES GILETS JAUNES A PERMIS D’ÊTRE UN PEU MOINS MALHEUREUX » – ENTRETIEN avec Laurent JEANPIERRE
Laurent Jeanpierre est professeur de science politique à l’Université Paris 8 à Saint-Denis. Il a publié l’année dernière In Girum – Les leçons politiques des ronds-points (La Découverte). Un livre qu’il considère à la fois comme le dernier commentaire « sur le vif » du mouvement des Gilets Jaunes et comme le premier d’une série d’ouvrages qui viendrait interroger en profondeur ce qui s’est joué sur tous les ronds-points de France. Car il importe de situer le mouvement dans un lent renouveau des répertoires de l’action collective dont l’une des métamorphoses implique une relocalisation de la politique. Une tendance de fond, qui déborde depuis plusieurs années déjà les canaux traditionnels de contestation, et ouvre avec elle de nouvelles perspectives. On ose le mot « Commune », « Utopie ». Mais, ce n’est pas au nom d’un idéalisme béat ou d’un éloge de « la proximité », mais bien d’une volonté critique de penser les alternatives, sur le plan théorique et pratique. Une réflexion qui conduit également Laurent Jeanpierre à interroger, en miroir, les technologies de gouvernement du néolibéralisme, qui travaillent à maintenir un rapport au possible et au futur entravé. Entretien réalisé par Laëtitia Riss.
Le Vent Se Lève – Éditorialistes, politistes, universitaires… tous ont voulu « comprendre » le mouvement des Gilets Jaunes, en cherchant le plus souvent à appliquer des grilles d’analyses déjà prêtes à l’emploi. À l’inverse, vous écrivez : « Plutôt que d’éclairer le mouvement, je propose au contraire de se laisser ébranler par lui. » Quelles certitudes ce dernier a-t-il fait chanceler ?
Laurent Jeanpierre – Il faut situer la réponse dans le moment où nous parlons : on est en décembre 2019, un an après le mouvement. On ne peut plus dire exactement la même chose que ce qu’on a ressenti en lisant les analyses « à chaud », en provenance des discours politiques, scientifiques ou journalistiques sur les Gilets Jaunes. Ce qui me frappe pourtant, c’est qu’il y a eu et il y a encore comme un effet de révélation qui entraîne immédiatement une volonté de savoir. Une grande partie de la population a découvert les conditions d’existence et aussi le rapport à la politique d’une autre fraction de la population qui semblait complètement ignorée.
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