« On n’entend pas de bruits de bottes, mais la concentration du pouvoir et des richesses atteint des sommets » [UN ENTRETIEN AVEC ÉRIC VUILLARD, écrivain, prix Goncourt en 2017]
Propos recueillis par Nolwenn Weiler
« On doit pouvoir mettre dans un même livre le petit prolétariat et les notables, les ouvriers et les banquiers. » L’écrivain Éric Vuillard, prix Goncourt en 2017, revient sur ce qui inspire et motive son œuvre.
Basta ! : Prise de la bastille dans 14 juillet, conquête de l’ouest dans Tristesse de la terre, guerre de 14-18 dans La bataille d’Occident… Dans tous vos ouvrages vous apportez un regard singulier sur l’histoire, qui mêle la vie des petites gens et celle des puissants, dont vous décrivez les alliances et stratégies. D’où vous vient cette envie de raconter ainsi l’histoire ?
Éric Vuillard : Jane Austen (romancière anglaise née à la fin du 18e siècle) écrivait depuis les pièces communes. Là où les femmes de la gentry étaient alors reléguées, ce qui donne à ses romans leur charge de vérité, puisqu’ils sont le produit d’une observation réelle, constante, mais ce qui leur confère aussi une limite presque invisible, le périmètre d’un monde social étanche, comme magiquement fermé sur lui-même. Nous écrivons tous ainsi, plus ou moins enclos, les gens écrivent en général sur ce qui est autour d’eux. Le problème est que le périmètre de ce qui est autour de nous est de plus en plus étanche aux périmètres voisins, car la société se fragmente. L’écrivain risque de se retrouver enfermé dans un monde social restreint. L’un des mérites de la littérature, c’est de tenter de rompre cette segmentation, de mêler les diverses strates, d’essayer de figurer la société toute entière.
Évoquer la colonisation et la guerre d’Indochine en racontant dans le même livre le travail forcé dans les plantations et les dividendes des banquiers, cela peut aider à comprendre notre monde. Ces deux scènes, le travail forcé à la plantation et le conseil d’administration d’une banque, ne sont pas si étrangères l’une à l’autre. Elles ne le sont qu’en apparence : les dividendes proviennent du travail forcé sur les plantations.
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