Stéphane SIROT : « POUVOIR D’ACHAT », une notion piège
« Pouvoir d’achat » ! De quoi parle-t-on ? De pouvoir ? De consommation ? De revenus ? De nécessaire augmentation des salaires ? De prix ? Pour décrypter cette formule utilisée à toutes les sauces dans la campagne électorale à l’heure où l’inflation s’envole, nous avons interrogé Stéphane Sirot, historien et auteur d’un dictionnaire de la novlangue managériale édité en décembre dernier.
Avec le retour de l’inflation, les revendications salariales sont à l’origine de nombreuses grèves. Dans le même temps, la notion de « pouvoir d’achat » sature l’espace politique, médiatique et même syndical.
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Pourquoi cette formulation ne va-t-elle pas de soi ?
Stéphane SIROT
C’est un terme que l’on retrouve depuis longtemps dans les campagnes électorales, comme en 2007 avec le fameux mot d’ordre « travaillez plus pour gagner plus ». C’est une vieille notion économique qui s’est imposée dans le vocabulaire politique et syndical depuis 15 à 20 ans. Dans cette période, une série de mobilisations de nature syndicale ont associé à l’augmentation des salaires la question du pouvoir d’achat. Longtemps, la revendication syndicale avait été centrée sur le mot d’ordre « d’augmentation des salaires », sans forcément associer la notion de « pouvoir d’achat ». Par exemple, le 4 octobre 2005, une grève interprofessionnelle avait pour thématique « le pouvoir d’achat et l’emploi ». En 2006, il y a eu une manifestation de retraités qui étaient appelés à défiler pour leur pouvoir d’achat. Dans l’Éducation nationale aussi, il y a eu en 2007 une grande grève lancée avec ce mot d’ordre.
Aujourd’hui, salaires et pouvoir d’achat sont quasi systématiquement associés dans le vocabulaire de mobilisation syndicale. Cette notion a aussi été régulièrement employée par les politiques, les journalistes, les experts, les mouvements sociaux, notamment les Gilets Jaunes. Le « pouvoir d’achat » était une question soulevée par ce mouvement. Mais la perversité de cette notion, c’est que d’une certaine manière, elle exonérait les entreprises. Les Gilets Jaunes est un mouvement social qui, pour une fois, n’est pas parti du terreau de l’entreprise, et a largement épargné le patronat de ses responsabilités, en revendiquant non pas directement l’augmentation des salaires, mais celle du pouvoir d’achat. Nous sommes face à une notion peu explicitée qui crée une confusion.
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