Qui évoque, dans les médias, la violence faites aux salariés ? - Par Jean LÉVY
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La violence faite aux femmes - et aux moyens d'y mettre un terme - occupe une part importante de l'information transmise par l'ensemble des médias.
Si cette campagne aboutit à réduire le phénomène, tant mieux.
Encore que, au-delà des violences physiques, faudrait-il résoudre en faveur des femmes la question de leur dépendance économique auprès du conjoint.
Mais n'est pas là l'objet de nos réflexions.
Nous voulons parler d'une autre sorte de violence liée à la nature même de la société dans laquelle nous vivons : la violence infligée aux salariés dans de nombreuses entreprises. Charlie Chaplin l'a dépeinte, dès l'avant-guerre, dans son chef d'oeuvre, "Les Temps modernes".
Si aujourd'hui, les formes d'exploitation ont évolué avec la nature des tâches imposées, l'implication de l'informatique et les progrès du numérique, ces techniques nouvelles font désormais partie de l'arsenal patronal pour imposer une productivité toujours en hausse pour accroître les profits.
Voici quelques éléments et documents qui confortent ce que nous avançons.
L'exemple d'Amazon :
Enquête : les inquiétantes conditions de travail
chez Amazon France
Un rapport de 217 pages présente une situation sociale particulièrement préoccupante. Émanant d’une demande du Comité d’hygiène, de sécurité (CHSCT), il brosse un tableau qui confirme d’autres enquêtes et témoignages sur les conditions de travail dans l’entreprise.
Pour y parvenir, 256 salariés ont été entendus, tous travaillant dans l’entrepôt logistique de Montélimar. Parmi les résultats, 44 % des personnes affirment avoir consulté un médecin, pour des problèmes de santé liés à leur emploi. Or, c’est justement une série d’alarmes émanant de la médecine du travail, ainsi que de la Caisse d’assurance retraite et de la santé du travail qui avait incité le CHSCT à enquêter.
Au cours de l’année passée, la multiplication de troubles musculo-squelettiques observée avait inquiété les médecins. D’ailleurs, le rapport confirme que le nombre d’absence pour maladie ou accident du travail se situe nettement au-dessus de la moyenne française – 4,5 % contre 6,1 à 9,8 % chez Amazon, rapporte Capital.
Au menu, rien de très brillant : l’enquête menée par Syndex fait état de 74 % des employés qui ressentent des douleurs physiques qu’ils associent à leur job. 70 % évoquent le stress au travail, quand un tiers des salariés, et 71 % des cadres parlent d’insomnies. Sur le site de Montélimar, 79 % estiment que le traitement des employés est à géométrie variable.
Et par-dessus tout, revient cette fameuse question de pauses pipi, les employés pointant le « contrôle des interruptions pour aller aux toilettes ».
Chez Amazon, on pisse dans une bouteille
pour éviter des sanctions
La direction d’Amazon France pour sa part souligne :
« La sécurité et la santé de nos collaborateurs sont nos priorités. Amazon veille à offrir un environnement de travail sûr et agréable à ses collaborateurs, avec des salaires compétitifs et divers avantages sociaux dès l’embauche. En 2018, Amazon a été nommé par Glassdoor dans le top 10 des meilleurs employeurs en France. »
Accidents, cadences infernales :
un rapport décrit
l’horreur des conditions de travail
chez Amazon
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Un rapport sorti ce mardi revient sur les conditions de travail désastreuses dans les entrepôts Amazon. L’entreprise américaine, qui cumulait 8,1 milliards de bénéfices en 2020, impose un rythme insoutenable à ses salariés pour maximiser ses profits.
Le rapport accuse des conditions de travail exécrables des salariés des entrepôts Amazon et pointe sévèrement du doigt le système « Time off Task ».
Ce dernier, comme le montre l’article du Monde, « mesure la productivité de chacun des ouvriers chargés de trier, d’emballer et de déplacer les colis ». Ce système sert donc au patronat pour avoir une emprise totale sur leur main d’œuvre, afin de maximiser leur profit, tout cela évidemment aux dépens des conditions de travail des salariés.
Dans ces mêmes entrepôts, les salariés n’ont souvent même pas le temps de se rendre aux toilettes, et quand ils y sont autorisés, leur passage est chronométré, mesuré, comparé. Les salariés n’ont aucun répit : en moyenne, les personnes travaillant dans un centre logistique Amazon doivent préparer 150 colis par heure.
Les contrôles en termes de productivité sont nombreux, et au mépris des conditions de travail des travailleurs et de leur dignité (comme dans le cas du chronométrage des pauses toilettes ou bien des fouilles au corps quotidiennes à l’entrée des entrepôts).
Pourtant, l’entreprise multiplie les discours autour du « développement personnel » : ils poussent les travailleurs à se dépasser chaque jour, notamment en identifiant des « top performers » pour instaurer une compétitivité constante entre les salariés.
Dans un article sur les conditions de travail dans les entrepôts Amazon en France, le journaliste Antoine Piel écrit que « outre les rappels à l’ordre par les managers, Amazon envoie également des « courriers de sensibilisation » au domicile des salariés pour pointer leur manque de productivité et appeler à augmenter la cadence. Dans l’une des lettres adressées à un salarié opéré à la cheville, que nous nous sommes procuré, la direction écrit : « Nous vous appelons à ne pas prendre de pauses déraisonnables [...], en l’absence de quoi nous serions contraints d’en tirer les conséquences » ».
Ce système de pression constante, couplé aux tâches répétitives largement répandues, entraîne de nombreux troubles musculo-squelettiques parmi les travailleurs. Rien qu’en 2020, 6% des salariés Amazon ont été victimes d’un accident du travail au sein d’un entrepôt. Ce chiffre, comme l’indique le rapport publié le 1 juin, est « 80% plus élevé que pour les autres entreprises de logistique ».
D’autant plus, pendant la pandémie, aucune mesure sanitaire n’a été mise en place pour les travailleurs afin de se protéger contre le Covid-19, et des masques ont été mis à disposition des salariés des entrepôts seulement le 1 avril 2021, c’est-à-dire plus d’un an après le début de la pandémie, et après des nombreuses revendications salariales. [LIEN]
Ces violences faites aux salariés d'Amazon ne sont pas limitées à cette entreprise. Sous différentes formes et procédés, nous les retrouvons dans de nombre enseignes, usines et bureaux.
Les salariés les subissent avec d'autant plus de rigueur que le Code du Travail et ses dispositions légales de protection des salariés, le Comité d'Entreprise et son CHSCT entre autres, ont été fracassés dès l'été de son élection, en 2017, par Emmanuel Macron.
C'était-là sa première "réforme".
Et il est regrettable que les centrales syndicales, y compris la CGT, n'aient pas fait de leur retour dans le droit français, une de leurs revendications phares.
Et il est symptomatique du caractère de classe de notre société que l'ensemble des médias aux mains des milliardaires, si prompts à combattre les violences faites aux femmes, soient d'une telle discrétion sur les violences faites aux salariés, dont les femmes sont souvent les premières victimes.
Mais les maîtres des médias ne sont-ils pas parfois les patrons des entreprises où règne "l'ordre" capitaliste ?
JEAN LÉVY