Quand Bolloré liquide ses investissements portuaires africains pour le contrôle des médias en France... - Par Jean LÉVY
Des ports africains aux médias, Vincent Bolloré investit dans « l'information »...
Un des milliardaires qui pèsent sur l'économie française, fait basculer ses intérêts issus de l'exploitation coloniale à la bataille des idées, jugée prioritaire pour orienter l'opinion publique en faveur de la politique de l'Élysée.
Certes, l'Afrique n'accepte plus son statut colonial, et le fait savoir. La "Françafrique", c'est terminé. L'échec de l'opération Barkhane et le repli en métropole de ses soldats illustre la volonté du peuple malien de prendre les choses en main. De même au Burkina Faso et au Tchad, les populations signifient leur désir d'indépendance.
Vincent Bolloré en tire la leçon : il lâche ses intérêts d'Afrique, investis dans l'exploitation des infrastructures des ports, des routes et voies ferrées, et tient compte de probables enquêtes sur cette gestion (*), pour se replier en France sur ses nombreux médias.
Leur contrôle lui permet - avec d'autres prédateurs - de peser sur l'opinion des Français à travers l’information (TV, radios, journaux et magazines).
L'idéologie a pris le pas sur l'exploitation coloniale.
Ce qui est également intéressant dans son opération africaine, c'est le nom de l'entreprise acheteuse : l’armateur italo-suisse MSC, Mediterranean Shipping Company, pour 5, 7 milliards d'euros.
Avec, proche de cette entreprise - il est de la famille Aponte - Alexis Kohler, toujours secrétaire-général de l'Elysée, malgré ses affaires judiciaires.
Bolloré - MSC - Kohler et l'Elysée, une curieuse chaîne d'intérêts, dont personne ne parle...
JEAN LÉVY
(*) Cette implantation africaine lui vaut aujourd’hui des déboires judiciaires. Vincent Bolloré est sous la menace d’une comparution prochaine devant un tribunal correctionnel, sa société Bolloré SE ayant déjà écopé d’une amende de 12 millions d’euros pour des faits de corruption.
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Qui est MSC, l’acheteur des activités africaines de Bolloré ?
Vincent Bolloré est un habitué des déplacements à Genève, le fief de Gianluigi Aponte, le fondateur de MSC, et de son fils Diego, à qui il a confié les rênes de son groupe en 2014. Les familles Bolloré et Aponte se connaissent bien et s’apprécient.
MSC est historiquement lié à la France, l’un des marchés où il a commencé ses activités. C’est par exemple au Havre que, en 2000, il a créé une filiale pour y implanter son premier terminal portuaire. Il en compte aujourd’hui 40 dans 27 pays et doublera presque la mise en rachetant Bolloré Africa logistics (qui compte plus de 25 terminaux portuaires).
Suite à une plainte déposée par l’association Anticor pour « prise illégale d’intérêt » et « trafic d’influence » à l’encontre du secrétaire général de l’Elysée, le parquet national financier a annoncé hier avoir ouvert une enquête préliminaire.
En cause, les liens entre Alexis Kohler et l’armateur italo-suisse Mediterranean Shipping Company. Un groupe devenu le premier investisseur étranger en France ces dernières années du fait de ses multiples commandes de paquebots aux chantiers STX France de Saint-Nazaire.
Or, comme l’a révélé il y a quelques semaines Mediapart, Alexis Kohler est via sa mère un cousin germain de Rafaela Aponte, épouse du fondateur de MSC.
La question est donc de savoir si cette appartenance familiale a pu avoir un impact lorsque l’actuel secrétaire général de l’Elysée était en poste à Bercy, à l’Agence des Participations de l’Etat (Il était notamment de 2010 à 2012 l’un des représentants de l’APE au Conseil d’administration de STX France) jusqu’aux cabinets de Pierre Moscovici puis d’Emmanuel Macron.
Le fait qu’Alexis Kohler est proche des Aponte n’était depuis longtemps pas vraiment un secret. En 2014, il avait souhaité rejoindre le groupe mais la commission de déontologie de la fonction publique avait rendu un avis défavorable.
C’est finalement lorsqu’Emmanuel Macron quitta son poste de ministre de l’Economie, à l’été 2016, que celui qui était alors son chef de cabinet a pu rejoindre MSC. Il y a travaillé six mois, en tant que directeur financier, avant de revenir auprès du futur président avant les élections.
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Vincent Bolloré, culture, médias, édition...
Entrant minoritaire dans le capital d'une proie convoitée, Bolloré achète, l'entreprise, morceau par morceau, jusqu'à en devenir l'unique patron.
ll a appliqué cette stratégie avec succès dans le milieu de la communication et des médias avec Havas, Canal+ et aujourd’hui le groupe Lagardère. "C’est un serial killer. Il utilise toujours la même méthode. En rachetant la chaîne Direct 8, les dirigeants de Canal+ ont fait entrer le loup dans la bergerie", constate Isabelle Roberts, coauteur de L’Empire et fondatrice du journal en ligne Les Jours
Son empire est désormais tellement conséquent qu’il a fallu plus de six minutes au rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale David Assouline pour citer l’ensemble de ses actifs. Ils englobent des salles de spectacle comme l’Olympia, les maisons d’édition de sa filiale Editis, l’agence de communication Havas en passant par l’institut de sondage CSA, mais aussi des chaînes de télévision telles que Canal+, C8, CNews, les magazines de Prisma, comme Géo ou Ça m’intéresse, les jeux vidéo de Gameloft ou encore la plateforme Dailymotion. Le groupe possède aussi 49% du capital de Lagardère, et dans son giron Europe 1, le JDD et Paris Match ainsi que le géant de l’édition Hachette.
"Ce n’est pas moi qui décide c’est Arnaud Lagardère", a rappelé Vincent Bolloré devant les sénateurs. Sauf que depuis juillet dernier, Arnaud Lagardère a mis fin au statut de commandite qui lui permettait de rester le patron de son groupe, même s’il n’en était plus l’actionnaire majoritaire.
Les équipes d’Europe 1 ont d’ailleurs déjà compris ce que signifiait leur rattachement à la chaîne CNews du groupe Vivendi. "Dès le mois de mai 2021, la direction nous a dit que d’une façon ou d’une autre, nous étions déjà des salariés de Vincent Bolloré", rappelle Olivier Samain, délégué SNJ à Europe 1 jusqu’en octobre dernier.
En se mettant en grève pendant une semaine, la rédaction s’est opposée à ce qu’elle a appelé une “CNewsisation” de son antenne.
Mais dès l’été 2021, la cérémonie du 14 juillet a été diffusée en simultanée à la télévision et la radio.
Plusieurs journalistes de la chaîne CNews ont ensuite pris place sur la grille d’Europe 1.
Et des tranches communes le soir et sur la matinale du week-end ont été mises en place. "La perspective d’une élection présidentielle avec Louis de Raguenel, venant de Valeurs Actuelles, comme chef du service politique, l’absence de moyens pour le reportage, la fin des correspondances à l’étranger, tout ça montrait bien que l’on n’allait pas pouvoir travailler correctement", explique une ex-figure de l’antenne.
Même chose à CNews, où rares sont ceux qui restent de l’ancienne équipe.