CGT, UN CONGRÈS LOIN D’UN LONG FLEUVE TRANQUILLE (2ème partie)
par Jean-Claude BOUAL
Dans le précédent numéro de ReSPUBLICA nous avons abordé le 53e congrès de la CGT d’un point de vue factuel. Nous concluions en affirmant : la CGT joue un rôle éminemment politique dans la vie du pays, la question posée est qu’elle l’assure et l’assume pleinement, ce qui implique une inflexion dans son orientation et sa pratique et ne peut se résumer à l’affirmation que les partis politiques et les syndicats n’ont pas le même rôle, « les partis chez eux et les syndicats chez eux » en somme. La CGT qui se veut un syndicat de transformation sociale ne peut se contenter de revendiquer d’être « le syndicalisme au quotidien pour de nouveaux droits » comme l’indiquait le slogan officiel du congrès, mais doit être bien plus, dans la démarche de « la double besogne » chère à la « Charte d’Amiens » comme l’ont dans les faits soulignés avec force la majorité des délégués représentant les syndicats de base.
Nous pouvons rassembler les débats, voire les désaccords, autour de cinq questions essentielles, la démocratie interne, la lutte des classes – et pas le niveau de radicalité de la confédération comme le résume hâtivement la presse -, l’écologie, le féminisme et l’unité syndicale. Bien entendu le congrès a traité bien d’autres questions. Les salaires, les conditions de travail, la précarité qui se généralise, la lutte contre l’extrême droite ont fait aussi l’objet de nombreuses interventions. Cependant ces cinq questions en posent et se fondent peut-être dans deux autres fondamentales que sont le rapport de la CGT à la classe ouvrière et à la société en général au regard de l’évolution du salariat, soit une forme de « brahmanisation », et son « recentrage » sur les revendications immédiates, sans utopie transformatrice, la moitié de la double besogne en somme, donc son rapport à la politique.
Le congrès a mis l’accent sur ces deux questions majeures, malgré la direction sortante, sans toutefois pouvoir les traiter à fond, les textes préparatoires et la méthode utilisée pour préparer le congrès ne le permettant pas. Nous reviendrons sur ces aspects positifs du congrès en conclusion de cet article. La nouvelle direction confédérale, dans sa nouvelle formation très composite, devra s’atteler à cette tâche sous peine de voir la confédération se déchirer de plus en plus, voire sombrer définitivement (la CGT est mortelle, avait déjà averti Henri Krasucki à la fin des années 1980).
Repolitiser le syndicat
Commençons par l’aspect le plus englobant, soit le rapport de la CGT à la politique. Dès sa fondation en 1895, la CGT s’est voulue une organisation d’émancipation des salariés (et pas un corps intermédiaire) par l’abolition du salariat et du patronat, avec une démarche globale de transformation de la société avec l’idéal, ou l’utopie socialiste. Pour reprendre l’expression de Stéphane Sirot « un pansyndicalisme se voyant au centre des rapports de classes et embrassant tant le présent que l’avenir de la forme de société ». C’est ce dont était encore porteur l’accord intersyndical entre les deux principaux courants du syndicalisme, la CGT et la CFDT de 1966, rompu officiellement avec fracas par la CFDT en 1977 par le « rapport Moreau » avec la notion théorisée de « recentrage » autour des revendications immédiates dans l’entreprise. Ce « recentrage » a été un renoncement à penser « un autre monde » et une affirmation à participer aux structures du pouvoir, à l’administration du monde tel qu’il est. Une des premières traductions de ce recentrage outre la rupture de l’unité d’action CGT/CFDT, a été la participation massive dans les cabinets ministériels de la gauche au pouvoir dans le gouvernement Mauroy en 1981, une entrée dans la politique de militants, mais une dépolitisation de l’organisation syndicale.
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