L’UKRAINE : une « mine d’or » que Washington ne peut pas perdre ?
Ukraine : un sénateur américain trahit le terrible secret de Washington
En qualifiant l’Ukraine de «mine d’or» que Washington ne peut pas se permettre de perdre, Lindsey Graham laisse échapper la vérité.
Par Tarik Cyril Amar, historien allemand enseignant à l’université Koc à Istanbul. Ses thèmes de recherche sont la Russie, l’Ukraine, l’Europe de l’Est, l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, l’aspect culturel de la Guerre froide et les politiques de la mémoire.
Lindsey Graham, sénateur américain belliqueux et adepte des déclarations provocatrices, a causé de nouveau l’émotion en laissant échapper la vérité. Dans une récente interview pour l’émission Face the Nation sur CBS, il a déclaré que les États-Unis ne devaient pas permettre à la Russie de gagner la guerre en Ukraine. La raison : les gisements riches en minéraux critiques d’une valeur de 10 ou 12 000 milliards de dollars que recèle le sous-sol ukrainien.
Le sénateur a insisté en particulier sur trois points. Premièrement : le contrôle russe de cette «mine d’or» enrichirait Moscou, lui permettant de partager avec la Chine les minéraux exploités. Deuxièmement : l’Ukraine, au cas où elle garderait le contrôle de ces minéraux, pourrait devenir «l’un des plus riches pays d’Europe» et «le meilleur partenaire d’affaires qu’on puisse imaginer». Troisièmement : l’issue de la guerre en Ukraine est donc «très importante». En effet, à en croire Lindsey Graham, les enjeux sont tels que les États-Unis doivent aider Kiev à gagner une guerre qu’ils «ne peuvent pas se permettre de perdre».
L’interview contenait d’autres déclarations frappantes, mais c’est ce passage qui a attiré le plus d’attention et de condamnation : Lindsey Graham, soulignent les critiques, a révélé ce que le Hindustan Times, par exemple, appellait «la véritable raison pour laquelle les États-Unis aident l’Ukraine». Il s’avère que cette raison est mercantile, égoïste et stratégique. Tant pis pour tous ceux qui parlent de la «souveraineté», de la «démocratie» et de la «liberté» de Kiev.
L’Ukraine, un actif à utiliser
L’Ukraine, pour les États-Unis, est un actif à utiliser — et à épuiser — dans un jeu géopolitique beaucoup plus vaste et général. Ou, pour être précis, un éventail d’actifs : outre une situation géographique stratégique, des minéraux critiques, du tchernoziom et du gaz, il y a aussi, bien sûr, les hommes. Le sénateur a également appelé à une plus vaste mobilisation militaire en Ukraine. Il est également tristement célèbre pour un commentaire lors d’une conversation avec Volodymyr Zelensky en mai 2023 : «Des Russes meurent» dans la guerre, a-t-il dit, l’aide américaine étant «le meilleur argent» que les États-Unis «aient jamais dépensé». Si l’on omet l’obscénité générale de la manière de penser fièrement brutale de Graham, pour faire «mourir» ces Russes il faut bien que de nombreux Ukrainiens meurent également. Zelensky n’avait pas l’air de s’y opposer.
Les critiques du sénateur ont raison, bien sûr. Mais la plupart d’entre eux, je crois, reconnaîtraient également qu’il n’y a là rien d’étonnant ou d’exceptionnel. Finalement, la déclaration du sénateur n’est tout simplement qu’une forme de sincérité brutale : alors qu’il se comporte comme un provocateur sans scrupule quant à son approche froide et mercenaire de la politique, il représente la mentalité des élites américaines. En même temps, il y a pourtant quelque chose de profondément trompeur dans sa position, même si cela se manifeste de manière moins évidente. Essayons donc de distinguer la sincérité cynique de la malhonnêteté persistante.
En-dehors de ces chiffres spécifiques, Lindsey Graham a raison de dire que l’Ukraine, contrairement à la plupart des pays d’Europe, possède des réserves substantielles de minéraux critiques et que ces minéraux rares sont indéniablement d’une grande importance. De façon générale, il s’agit des éléments «indispensables à la production des puces et des batteries utilisées dans les appareils de haute technologie comme les smartphones et les ordinateurs», ainsi que «pour la production des dispositifs d’énergie renouvelable tels que les éoliennes, les véhicules électriques et les panneaux solaires». Or, l’approvisionnement mondial en minéraux critiques est compliqué, car ceux-ci se situent dans les zones limitées et font, par conséquent, l’objet de la géopolitique. Pétrole 2.0., si vous voulez.
L’importance de ces substances pour les États-Unis, par exemple, est si grande que leur secrétaire à l’Énergie a établi une liste précise de 50 minéraux considérés comme «critiques» (se recoupant avec une deuxième liste de 18 «matériaux critiques pour l’énergie»). Guidé par son désir de réduire sa dépendance vis-à-vis de la Chine, l’Union européenne a également manifesté un vif intérêt pour les minéraux critiques ukrainiens qui sont au cœur de son partenariat stratégique officiel sur les matières premières avec Kiev, officiellement inauguré en 2021. Depuis 2022, le Service géologique ukrainien coopère avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement pour, en substance, cataloguer et numériser les données sur les gisements ukrainiens pour les investisseurs occidentaux. Les normes ukrainiennes d’évaluation de l’impact sur l’environnement ont été «simplifiées» à ces fins. En 2024, l’UE a renforcé ces opérations dans sa législation sur les matières premières critiques.
Parallèlement, même malgré la guerre en cours, les investisseurs occidentaux font déjà la queue, y compris les Australiens. En effet, c’est la société américano-ukrainienne BGV Group qui «détient une partie importante et la plus diversifiée des minéraux critiques de l’Ukraine».
L'Occident en quête de minéraux critiques
Voilà donc le premier point sur lequel le sénateur Graham a tort : si quelqu’un a l’intention d’accaparer des minéraux critiques en Ukraine (et, plus généralement, des matières premières), c’est bien l’Occident. Nous assistons à un cas classique de projection où une accusation virulente contre Moscou dévoile ce que l’Occident a fait. Là, rien de surprenant non plus. Il suffit des «sphères d’influence», qu’il faut empêcher la Russie de revendiquer, même tout près de sa frontière, alors que la sphère d’influence américaine s’étend jusqu’aux régions à l’est de Kiev et à Taïwan.
Cependant, au-delà de la banale hypocrisie du sénateur, il y a un point plus général. Ce qui est peut-être le plus profondément mensonger dans ces déclarations, c’est leur hypothèse implicite qu’il ne peut y avoir aucun moyen pour l’Occident, la Russie et d’autres de partager les ressources ukrainiennes, évidemment à des conditions du commerce international et de l’investissement pas plus mauvaises que d’habitude, de sorte que l’Ukraine puisse également en bénéficier. Ce n’est pas la Russie qui persiste à faire de la guerre économique un outil systématique de la concurrence géopolitique, mais l’Occident. Lindsey Graham n’est pas seulement un vil cynique. Il est aussi victime d’une myopie politique, aveuglé par sa realpolitik du pauvre. Il a perdu de vue la simple option de la coopération, même entre concurrents. Sur ce point aussi, il représente bien les élites américaines, aujourd’hui en pleine décadence, hélas.
PT