LES VRAIS COMPTES DE LA SÉCU (suite) – Le Billet d’Humeur du Docteur Christophe Prudhomme
Le récent rapport de la Cour des comptes sur le financement de la Sécurité sociale a été utilisé ces derniers jours par le gouvernement pour alimenter un discours visant à créer un climat d’angoisse au sujet de la fameuse dette qu’il faudrait absolument réduire et ainsi rendre inéluctable les plans d’économie. Pourtant, au-delà des titres ronflants sur une « trajectoire insoutenable » et la nécessité d’engager des « économies pérennes » ressassée par une presse servile relayant le discours du ministre de l’économie, ce rapport recèle des éléments intéressants qui montrent que d’autres solutions sont possibles. Il est pointé que les compléments de salaires bénéficiant d’exonérations de cotisations sociales se montent à 87,5 milliards d’euros dont la compensation par des taxes diverses est passée de 43,5 % en 2018 à 35,6 % en 2023, soit seulement 6,4 milliards. Il reste donc un déficit de recettes pour la Sécu de 12 milliards qui risque d’augmenter encore dans les années à venir. Or le fameux trou de la Sécu a été de 10,8 milliards en 2023 et ce qui est désigné comme « insoutenable » est une prévision d’un déficit annuel moyen de 10 milliards pour les trois années à venir, soit 1,5 % sur un budget total de 640 milliards, ce qui est bien moins que le déficit du budget de l’État.
Cela montre que le problème n’est pas le niveau des dépenses mais bien celui des recettes. Une solution très simple pour équilibrer les comptes serait de supprimer l’exonération de cotisations sociales sur des revenus utilisée par les employeurs pour bloquer les salaires de base et surtout individualiser leur hausse en multipliant les primes qui peuvent être diminuées, voire supprimées à leur bon vouloir. Cette solution permettrait de récupérer 18 milliards pour la Sécu et plus de 6 milliards pour l’État pour par exemple abonder le budget de services publics mis de plus en plus au pain sec.
Un autre argument pour bien montrer que l’objectif des libéraux qui nous gouvernent n’est pas de diminuer les dépenses de protection sociale mais bien les recettes de la Sécu, est de regarder ce qui se passe du côté de leur modèle, les États-Unis. Les dépenses de santé dans ce pays atteignent près de 18 % du PIB alors qu’elles ne sont que de 12 % en France. Le différentiel sert à alimenter les bénéfices des entreprises qui gèrent les assurances santé et les cliniques privées dominantes sur le marché américain. Il s’agit donc en France d’aller vers un système équivalent, en poursuivant la politique menée depuis plusieurs années de transfert des dépenses sur les assurances maladie complémentaires avec le développement des cliniques privées lucratives, la généralisation des dépassements d’honoraires, la création du marché du fameux « or gris » avec ses prédateurs comme ORPEA, etc. Le but est de faire de la santé et de la protection sociale un service marchand comme un autre. Rappelons à ceux qui penseraient que ce serait la bonne solution, que les résultats pour la collectivité sont catastrophiques, avec une explosion des inégalités et une dégradation de l’état de santé global de la population, dont le meilleur exemple est que depuis 2021 l’espérance de vie aux États-Unis est passée en-dessous de celle de la Chine.
Docteur Christophe Prudhomme
Praticien hospitalier – SAMU 94
SOURCE : Facebook