LES ILLUSIONS DE LA VALEUR MARCHANDE
S'il y a bien une chose qui caractérise la civilisation actuelle, ou ce qui prétend être une civilisation, c'est le rôle fondamental qu'y tient le fétiche de la valeur marchande. Il ne s'agit pas ici de parler de la fétichisation de la marchandise qui fut décrite par d'autres. Car en réalité ce fut une erreur de voir dans la marchandise un fétiche. Ce n'est pas la marchandise qui a été fétichisée par les Occidentaux modernes sous l'influence de l'idéologie libérale, c'est la valeur marchande elle-même. Car dans notre mode absurde, elle mobilise toutes les énergies, suscite toutes les inquiétudes et produit tous les fantasmes. Elle façonne totalement l'imaginaire des hommes modernes et oriente à la fois leur vie et la politique qui s’astreint à eux. Évidemment on ne saurait mieux montrer l'importance que cette illusion revêt que dans l'importance que nous accordons par exemple aujourd'hui aux divagations des marchés financiers. Les marchés montent, c'est formidable, ils baissent, c'est le drame, sans que tout un chacun n'imagine un instant qu'en réalité tout ceci relève plus du jeu de casino qu'autre chose. La bourse c'est du sérieux, voyons. Le Bitcoin c'est un truc formidable qui va stocker la valeur marchande quelque part et produire une rente magique pour son propriétaire. Je pourrais plaisanter ici en montrant que les cartes Pokémon sont autant de valeurs marchandes sûres dans ce monde absurde que les bitcoins. Le simple fait que de simples cartes à jouer puissent susciter des « valeurs » marchandes immenses révèle la nature erronée du marché comme représentant réel de la valeur des choses. Les anciens économistes avaient bien raison de se méfier de la valeur marchande et du lui opposer la valeur d'usage.
La société peut s'effondrer, tant que ma valeur actionnariale est là, que ma cryptomonnaie grimpe, je n'ai rien à craindre de l'avenir. C'est évidemment totalement faux, mais c'est un peu le résultat de la collusion d'un individualisme sans cesse croissant, avec une idéologie qui résume l’importance des choses à leur valeur marchande. J'écoutais hier l'interview intéressant de Marcel Gauchet à l'occasion de la sortie de son dernier livre qui a souligné, à juste titre, cet étonnant paradoxe des sociétés occidentales modernes, alors que les individus sont en réalité de moins en moins autonomes et des plus en plus dépendants de la complexité de leur société, ils paraissent de plus en plus croire qu'ils sont des individus se façonnant d'eux-mêmes.
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