À propos de L’ÉTAT ISLAMIQUE
"Un crime odieux dont les auteurs devront être châtiés" (François Hollande, 1er octobre 2014, après l'assassinat de Hervé Gourdel) - "Un meurtre brutal qui montre la barbarie de ces terroristes [...] Nous ferons tout notre possible pour trouver ces meurtriers et les traduire en justice" (David Cameron, 3 octobre 2014, après l'assassinat d'Alan Henning) Il y a presque dix ans, l'essayiste suisse Christophe Gallaz constatait que le discours adopté par les responsables politiques occidentaux aux lendemains du 11-Septembre et après les attentats de Londres (7 juillet 2005) se déroulait "exclusivement sur deux registres" : celui de "la stupeur" et celui du "volontarisme".
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C’est-à-dire que d’une part, le discours de nos "responsables" exprimait, à l’unisson de leur opinion publique, "la consternation et la compassion" à l’égard des victimes ; et, de l’autre - pour ce qui est du "volontarisme", affirmait leur résolution de "traquer férocement les terroristes". Ce faisant, écrivait Gallaz, nos gouvernements - et nos médias, ajouterai-je - s’efforçaient de confiner cette opinion "dans une réception purement émotionnelle des événements et de lui rappeler que l’État - nos États - terrasserait sans faillir toute la méchanceté du monde".
Ainsi, poursuivait l’analyste vaudois, nos pouvoirs fortifiaient leur emprise : "face aux événements traumatisants, il s’agit pour eux d’instaurer au sein des foules un état d’hébétude et de stupéfaction propre à désarmer en elles toute réflexion sur leur destin à long terme et sur leurs implications dans le concert des nations".
Le discours que répétaient à l’époque un Tony Blair ou un George W. Bush - aujourd’hui un Obama, un Hollande ou un Cameron - "ne visait qu’un but, situé à l’intérieur - j’insiste - de leur pays. À savoir : "y dissuader quiconque de réfléchir au moindre lien qui pourrait situer l’intervention militaire en Irak [celle de 2003] et les attentats londoniens dans le même dispositif des tenants et aboutissants. Ou de réfléchir aux répercussions que peut engendrer parmi les pays pauvres, l’agression économique permanente qu’y commettent les pays riches".
C’était là, concluait Gallaz, "organiser la myopie" (1). La nôtre.
Le Daech, un épouvantail ?
Le fait que l’EI, l’État islamique (2) perpètre des actes épouvantables n’interdit pas de voir aussi en lui un épouvantail (3).
L’on se souvient que les frappes aériennes américaines dans le nord de l’Irak ont été autorisées par la Maison blanche pour "venir en aide à des innocents - quelque 40.000 yézidis, disait-on, réfugiés sur le mont Sinjar et "confrontés à un risque de violence sur une échelle horrible » - B.Obama évoquant un risque de « génocide ». L’on se souvient moins, l’information ayant été très peu répercutée, que quand les « conseillers » américains arrivèrent au Mont Sinjar, les 40.000 yézidis affamés présumés ne s’y trouvaient pas !
Les Américains n’en rencontrèrent que moins de 5.000, dont la moitié vivant depuis longtemps sur la montagne et dont des combattants kurdes du PKK venus de Syrie avait largement suffi à briser l’encerclement. "La crise humanitaire, concluaient certains (4), n’a jamais été ce que les officiels en ont dit". Et il semble que ce soit, bien plus, les revers infligés en août par l’EI aux peshmerga du Gouvernement régional du Kurdistan irakien que le sort des yézidis qui aient décidé la "coalition internationale" à entrer en action (5). Un GRK qui, peu auparavant, s’était d’ailleurs montré plus"compréhensif" vis-à-vis de l’EI lorsque celui-ci taillait des croupières à l’armée gouvernementale irakienne.
Puis, le 19 août, l’exécution barbare du journaliste James Foley, "en représailles" aux premières frappes, était venue à point pour que l’EI puisse être érigé en "ennemi n°1" des États-Unis. Et pour que leurs "vassaux" européens (comme les appelle un Monsieur aussi sérieux que Zbigniew Brzezinski) leur emboîtent le pas.
Selon le Professeur Rik Coolsaet de la VUB (6), l’Occident exagère fortement : l’EI ne représente qu’une menace très indirecte pour l’Occident. À l’époque des Twin Towers déjà, l’islamologue Olivier Roy (7) estimait que même plusieurs 11-Septembre ne mettraient pas fin à la puissance étasunienne...
Certes, les jihadistes qui reviennent peuvent constituer un danger que les médias pointent du doigt à l’unanimité. Peut-on pour autant déduire du cas Nemmouche, le tueur du Musée juif de Bruxelles, que ceux-ci représentent un grand risque ? Rien n’est sûr à ce sujet, dit Coolsaet. Et, à en croire la seule étude scientifique dont nous disposons2, seul 1 sur 9 parmi ceux-ci constituerait un problème. De même, sur les 3 à 400 Belges qui auraient rejoint l’EI et d’autres groupes et dont 90 seraient revenus au pays, seule une dizaine serait considérée comme "dangereuse" par nos services (9).
L’on pourrait par ailleurs également s’interroger sur la singulière aptitude de l’EI à adapter aussi bien sa "communication" aux obsessions orientalistes et aux réflexes mémoriels occidentaux : ici, charia "hard", califat, égorgements, crucifixions et décapitations, oppression et vente des femmes, massacres de "mécréants" (yézidis, chiites, chrétiens) ; là, maisons chrétiennes marquées (comme hier, en Allemagne, celles des juifs), photos d’exécutions de masse faisant penser à celles de la"Shoah par balles". Et le fait de désigner les miliciens de l’EI comme "chemises noires" me semble fort révélateur. Rien ne manque parmi nos pires fantasmes.
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