CGT : Philippe MARTINEZ pas encore élu mais déjà secrétaire général ?
CGT: Philippe Martinez dévoile ses cartes
Philippe Martinez n'est pas encore secrétaire général de la CGT mais il agit comme s'il l'était déjà. Mercredi 14 janvier en fin d'après-midi, au lendemain de la réunion du comité confédéral national (CCN) qui a pourtant rejeté sa candidature, le secrétaire général de la fédération de la métallurgie a convoqué, de manière impromptue, une conférence de presse. A quel titre? En tant que "pressenti pour être le futur secrétaire général". Très sûr de lui, arborant une épaisse moustache digne d'un personnage de général dans Tintin, M. Martinez a expliqué que "la démocratie à la CGT, qui a été pensée en fonction de son histoire et de notre conception du rôle des syndicats et des organisations de la CGT, est très mal connue". "Cette démocratie, a-t-il ajouté, ne permet pas à la CGT, à une équipe d'être élue avec 57 % des voix, puisque les statuts de la CGT requièrent une majorité des deux tiers".
M. Martinez s'est livré à une critique en creux de cette règle des deux tiers, la faisant remonter curieusement à 1922, année où pourtant la CGT venait de vivre sa première scission qui avait donné naissance à la CGT-U. Ainsi, a-t-il lourdement insisté, un vote "bien que majoritaire n'a pas permis d'élire du premier coup un nouveau bureau confédéral". Le patron des métallos cégétistes a évoqué un deuxième vote, qui lui a "confié, à l'unanimité moins deux votes contre et huit abstentions, le pilotage d'un collectif chargé de faire une nouvelle proposition de bureau confédéral", et qui "ne prête donc à aucune ambiguïté". Cette assurance explique sans doute que M. Martinez, toujours non élu, se glisse déjà dans les habits d'un secrétaire général de la CGT.
Pour la première fois depuis 1909, un secrétaire général de la CGT, Thierry Lepaon a démissionné avant la fin de son mandat, après avoir été mis en cause sur son train de vie, mais M. Martinez "réfute l'idée d'une crise majeure" de la CGT... Tout juste concède-t-il que la centrale "traverse une période inédite" et qu'elle "a besoin de réfléchir sur la démocratie et sur ses modes de fonctionnement". Et la démocratie "prend du temps"... Lors du CCN du 13 janvier, la représentante de la la fédération de la santé, dont la secrétaire générale, Nathalie Gamiochipi, est la compagne de M. Martinez, a voté pour sa désignation alors qu'elle avait été mandatée, à 75%, pour voter contre. Une attitude qui hypothèque gravement le résultat et jette le trouble dans la CGT. Mais M. Martinez a balayé ce procès, arguant que la santé disposait d'un "mandat ouvert" et que son vote a été "tout à fait conforme à la décision de la commission exécutive fédérale"...
Déjà secrétaire général dans sa tête, - puisque lorsqu'on "désigne quelqu'un pour mener un processus c'est qu'on espère qu'il le mène à bien " - M. Martinez a donc dévoilé ses cartes. Mardi 20 janvier, il soumettra à la commission exécutive (CE), la composition d'un "collectif" - dont il a demandé de choisir lui-même les membres - qui sera chargé de présenter une nouvelle proposition de direction confédérale. Pour composer ce nouveau bureau confédéral, susceptible de "rassembler" les organisations de la CGT, il entend se fonder sur cinq critères: la parité hommes-femmes, l'équilibre entre les professions et les territoires, l'expérience, la capacité de tenir jusqu'au prochain congrès du printemps 2016, et la prise en compte de "la diversité de pensée" sur les orientations de la CGT. Il a précisé que la nouvelle équipe ne comprendrait aucun membre du bureau confédéral sortant, ni aucun prétendant à la succession de Bernard Thibault mais qu'on pourrait y retrouver des noms ayant figuré dans la liste qui a été recalée par le CCN le 13 janvier. M. Martinez pourrait présenter le futur bureau à la CE du 27 janvier avant d'affronter de nouveau le parlement de la centrale les 3 et 4 février.
Pendant la crise, certains responsables avaient envisagé qu'après la démission de M. Lepaon, la CGT se dote d'une direction transitoire jusqu'au prochain congrès, avec un secrétaire général s'engageant à ne pas être candidat à cette échéance. Telle n'est visiblement pas l'intention de M. Martinez qui a précisé qu'il ne s'agirait pas d'une "direction transitoire". Interrogé sur la question de savoir où était le secrétaire général démissionnaire de la CGT, qui a commencé à faire ses cartons, M. Martinez a répondu trivialement: "Thierry Lepaon est dans ses chaussures"... "Il a besoin de repos", a-t-il ensuite ajouté, avant de donner des indications sur son avenir: "Il a toute sa place à la CGT. C'est un militant de longue date. (...) On n'a pas l'habitude de jeter nos camarades en pature. Je pense que Thierry quittera la commission exécutive confédérale, comme tous les anciens secrétaires généraux".
Lors de cette conférence de presse quelque peu surréaliste - comme beaucoup d'épisodes dans cette crise historique de la CGT -, M. Martinez a donné quelques indications au compte gouttes sur sa biographie et sa vision du syndicalisme. Le patron des métallos cégétistes, qui aura 54 ans le 1er avril, a été embauché en 1982 comme technicien chez Renault, à l'usine de Boulogne-Billancourt, avant de devenir le délégué central de la CGT. Et il appartient toujours aux effectifs du constructeur automobile. Secrétaire général de la fédération de la métallurgie depuis 2008, il a été réélu en 2014. Il refuse de se voir imposer "un type de syndicalisme" que le patronat rêverait d'avoir en face de lui ou même plutôt "à côté de lui". Il met en avant sa "forte expérience des luttes" et insiste sur l'urgence de "rompre avec les politiques libérales qui font reculer la société" et de faire obstacle "à la nouvelle régression sociale que représente le projet de loi Macron". "Il faut de la négociation, a-t-il indiqué en réponse à une question, mais si on coupe les liens avec les salariés, les salariés n'ont plus qu'à regarder le match. On veut qu'ils soient acteurs".
A l'heure actuelle, la CGT n'a plus de secrétaire général, plus de bureau confédéral. Sa CE est discréditée après la rebuffade que lui a infligé le CCN. On pourrait croire qu'elle navigue sans pilote mais il faut se détromper puisque, visiblement, M. Martinez est déjà aux manettes, avant même d'être élu. "On n'est pas en hibernation et on ne dort pas", a-t-il assuré. En 2015, année de son cent-vingtième anniversaire, la CGT sera "présente, offensive et dérangeante", a proclamé martialement M. Martinez. Et dans l'immédiat, dans la négociation sur la modernisation du dialogue social qui doit s'achever vendredi, et où la CGT avait fait pourtant d'importantes ouvertures, elle sera "inflexible". Inflexible, cela ne donne pas vraiment une image d'ouverture... au lendemain de cette "non-crise".
le 15 janvier 2015