CHARLIE ASSASSINÉ une seconde fois
A la suite de la tragédie de Charlie Hebdo, les principaux responsables de la montée de l'intégrisme islamiste ont défilé à Paris aux côtés de François Hollande. Américains et Anglais, destructeurs des fragiles équilibres au moyen et proche-Orient, ont paradé, avec la gravité affectée qu'exigeait la situation, avec Benyamin Netanyahou. Suite à un malsain coup de baguette idéologique, les trois victimes juives dans une épicerie kashère de Vincennes, ont fait oublier les 2000 morts Palestiniens de la bande de Gaza en juillet et août 2014, victimes de l'armée israëlienne ( "Tsahal" pour les faucons Israëliens et les médias français).
La matinée a mal commencé. J'ouvre la télé et je tombe sur Bernard Henri Lévy. Avec un brushing à faire pâlir d'envie les vieux beaux des feuilletons texans dans les années 1980. Rien de particulier dans ses déclarations plates comme un trottoir de rue et justement abrégées. Un peu plus tard, Joël Mergui, président du consistoire israélite de Paris Ile de France, nous explique sur le perron de l'Elysée que pour lui "Je suis Charlie" cela signifie aussi "Je suis policier" et "Je suis Juif" ! Cette étrange et hardie profession de foi ne sera pas reprise.
En revanche, Roger Cukierman, président du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France, manifestement peu concerné par la barbarie dont ont été victimes les dessinateurs et collaborateurs de Charlie Hebdo, nous explique que les Juifs "veulent vivre leur judaïsme". Ce qui est un minimum mais un peu hors du sujet, notamment lorsqu'on sait qu'à Charlie Hebdo, on n'était pas fasciné par les religions, et c'est le moins qu'on puisse dire. La préoccupation qui anime Roger Cukierman - outre le sionisme à quoi il fait allusion de manière élogieuse - sera longuement reprise en bandeau défilant sur BFM TV
On apprend que François Hollande et Bernard Cazeneuve se rendront après la manifestation à la grande synagogue de Paris (la "synagogue des victoires").
11h45. Il a fallu un peu de temps, mais la ligne politique est désormais définie : "Une communion se met en place."
Pub : "En avant les derrières !", c'est le nouveau slogan d'easyJet en direction des jeunes. C'est bien connu qu'un jeune c'est con et vulgaire. Bof... (non "beauf" aurait-on dit à Charlie).
La place de la République se remplit de gens authentiquement touchés par le drame. Des images de bougies éteintes par le vent et rallumées sans relâche, des interviews sans intérêt mais touchantes. Il apparaît désormais certain que l'événement va revêtir une importance considérable.
En arrière-plan, sur un balcon : Wall Street English, en grosses lettres. Le secrétaire d'Etat américain sera content. On apprend qu'une enseignante dans un collège de Seine-Maritime, a apporté des dessins de ses élèves au journal Libération, qui héberge les survivants de la rédaction de Charlie.
11h55. Pub : une jeune femme annonce sa résolution mordicus: "En amour, j'ai décidé de ne plus rien laisser au hasard." Les candidats ont intérêt à filer doux...
Les choses prennent soudain de l'ampleur : la France devient "capitale mondiale contre le terrorrisme". A la radio, j'entends l'expression "guerre mondiale". C'est François Hollande qui s'est emporté lors de la réunion avec les ministres européens concernés. Ce sera repris en boucle.
12h31 : Roselyne Bachelot, confie au micro de BFM qu'elle vit "dans la sidération" depuis mercredi et "s'endort avec les trois victimes". Pas de commentaire.
François Hollande, exalté, se lâche : "Paris est la capitale du monde". Ouaaahh !
Les choses se calment un peu : faut aller manger, non ?
14h25 : Façon équipe de France de foot, les responsables politiques vont embarquer dans un bus.
14h27 : Un drapeau israélien sur le monument à la République. Que fait ici Israël ?
14h29 : Commencement de l'embarquement des dirigeants politiques dans les bus.
14h31 : La tenue aux USA d'un sommet contre le terrorrisme est annoncée. Apolline de Malherbe (BFM) s'extasie : "il n'y a plus de gauche ni de droite" !
14h34 : Bousculade pour prendre le bus. Fleur Pellerin est discrètement aux prises avec Benjamin Netanyahou.
14h41 : Averse. La foule, bon enfant, applaudit le retour du soleil.
14h52 : Des centaines de personnes manifestent à Bujumbura (Burundi).
14h53 : Cohue pour monter dans le bus. Couple à la Dubout, Sarkozy et Angela Merkel ont du mal.
14h54 : On apprend qu'il y a un délégué du Qatar. C'est normal, ils sont déjà dans le foot.
15h03 : Les bus sont partis de l'Elysée. On apprend que les dirigeants marcheront sur un peu plus de 300 mètres pour "raisons de sécurité".
15h14 : Apolline de Malherbe enfonce le clou : "Cette foule qui dépasse le clivage gauche-droite est le visage de la France".
15h25 : La marche des dirigeants commence. "Nous marchons ensemble, tous unis". Le président ukrainien est aux côtés de Mateo Renzi. Mahmoud Abbas est toujours signalé par rapport à Netanyahou ("Ils sont très près l'un de l'autre" - environ 5 mètres d'après mes calculs, mais la question n'est pas là. Ce qui est important est qu'Abbas est presque reçu en chef d'Etat).
15h30 : Enumération alternée des victimes par Apolline de Malherbe et Ruth Elkrief.
15h31 : Georges Wolinski avait été oublié, on rectifie.
15h44 : François Hollande, toujours vert galant, embrasse Carla Bruni. Et Anne Hidalgo dans l'élan ! "Ces hommes s'embrassent et sont émus" commente sobrement Ruth Elkrief.
15h53 : "Les couleurs politiques et religieuses n'ont plus de sens. On est dans une certaine fraternité" (Ruth Elkrief).
16h00 : Ruth Elkrief reprend le thème du président du consistoire israélite ("je suis Charlie, je suis policier, je suis juif"), mais elle se laisse aller dans l'enthousiasme et parle des "journalistes, des policiers, et des juifs").
16h05 : "Quand même est-il dit sur BFM, on se demande où est la foule ?" C'est vrai on n'a vu jusqu'à présent que les dirigeants...
Manifestement, il n'y a eu dans la foule aucune tentative de récupération politicienne. C'est l'élégance et la dignité des peuples d'être quand il le faut à la hauteur des événements. On ne peut pas en dire autant des patrons de presse, qui une fois de plus ont déshonoré leur métier.
Pascal Acot