Démocratie : Peuple ou canaille ?
Joseph Schumpeter [1] nous rappelle que des sociétés organisées selon des critères démocratiques sont capables de persécuter des individus au seul motif qu’ils présentent certaines caractéristiques raciales ou religieuses. Schumpeter donne quelques exemples historiques, mais l'actualité française, sa xénophobie (persécutions des Roms, rafles et contrôles policiers au faciès) et son islamophobie d'Etat, tout comme un passé récent (massacre des Algériens d'octobre 1961) suffisent malheureusement à illustrer ce constat général.
Selon lui, on ne saurait approuver ces pratiques parce qu’elles sont décidées conformément aux règles de la procédure démocratique.
La démocratie ne peut être tenue pour un idéal suprême car elle n’est qu’une « méthode politique », elle n'est qu’un certain type d’organisation institutionnelle visant à aboutir à des décisions politiques, législatives et administratives. Elle ne peut donc constituer une fin en soi, indépendamment des décisions qu’elle secrète dans des conditions historiques données.
A ceux qui prétendent que la volonté du peuple doit prévaloir en dépit des crimes auxquels pourrait tendre la procédure démocratique, Schumpeter répond : « Il semble beaucoup plus naturel en pareil cas de parler de canaille et non pas de peuple et de lutter contre sa criminalité ou sa stupidité par tous les moyens dont on dispose. »
Ce qu'il importe de retenir, c'est que, comme n’importe quelle autre méthode politique, la démocratie ne produit pas toujours les mêmes résultats et ne favorise pas toujours les mêmes intérêts et idéaux.
Une idée que semblait partager Auguste Blanqui quand il écrivait : « Nous espérons de la République une refonte sociale... Si la République devait tromper cette espérance nous cesserions d'être républicains car, à nos yeux, une forme de gouvernement n'est point un but mais un moyen... »
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[1] Joseph Schumpeter (1883-1950) est un économiste autrichien d’audience internationale. Il a été professeur à l’Université d’Harvard après s’être installé aux Etats-Unis pour fuir le nazisme.
Cet article utilise comme source un sous-chapitre (p. 317-321) d'un de ses ouvrages : Capitalisme, socialisme et démocratie paru aux éditions Payot en 1984.
JPD