En TURQUIE, le gouvernement impose la censure de la une de CHARLIE-HEBDO … qu'il a défendu à Paris !
Article AC pour http://www.solidarite-internationale-pcf.fr/
La nouvelle nous est relayée par nos camarades turcs dans leur journal Sol (« la Gauche ») : le gouvernement turc a imposé une censure stricte sur la diffusion du numéro de Charlie-hebdo. Il y a beaucoup à redire sur l'opportunité de ce numéro, mais autant sur l'hypocrisie d'un gouvernement qui était en première ligne à la manif dimanche à Paris.
La manifestation du 11 janvier a marqué un tournant dans l'hypocrisie générale sur la « liberté d'expression », la « liberté de la presse » de la part de ceux qui sont les premiers à la bafouer : du dictateur Bongo à l'émir du Qatar, du baillonneur Rajoy au boucher Netanyahou.
Et il y avait Erdogan, Davutoglu. Oui, le gouvernement de la Turquie était là, avec les penseurs et praticiens du « pan-islamisme ». Depuis 2002, la Turquie est sous l'hégémonie du parti islamiste AKP qui s'appuie sur une base populaire pour imposer une islamisation réactionnaire dans ses frontières comme à l'extérieur, accompagnant la politique du capitalisme international.
La Turquie, la liberté de la presse bafouée au nom de l'anti-terrorisme !
La liberté de la presse subit depuis longtemps en Turquie des restrictions importantes au nom de la « lutte contre le terrorisme », renforcées avec le coup d'Etat fasciste de 1980 puis l'arrivée au pouvoir de l'AKP, même si la main de fer sur la presse s'est raffermie après 2011.
La censure de certains numéros, l'incarcération de journalistes, l'occupation des presses ont été des constantes dans l'histoire turque au nom de la « sécurité nationale ».
L'année 2014 a vu une accélération de cette censure, après la révolte de Gezi en juin 2013 et la montée de la contestation contre la guerre en Syrie. En mars dernier, le gouvernement Erdogan a ainsi fermé You Tube et Twitter pour bloquer les révélation sur les scandales de corruption.
60 journalistes limogés depuis le « printemps turc » de Gezi
Après Gezi, plus de 60 journalistes ont été limogés pour leur couverture des événements jugés non-conformes à la ligne autorisée par le pouvoir. Une quarantaine ont été par ailleurs incarcérés au nom de la législation anti-terroriste.
Un nouveau pas a été franchi hier, autour de la polémique sur la publication ou non de la une de Charlie-hebdo dépeignant Mahomet, et forme d'expression d'une solidarité avec la tragédie touchant leur confrères français.
Il y a beaucoup à dire sur l'opportunité de la publication de cette nouvelle caricature, le mouvement de solidarité exprimé en France et son lyrisme pathétique, la récupération si ce n'est claire manipulation de la part de notre gouvernement prompt à déclarer une « union sacrée » prétexte aux guerres de rapine, au charcutage des libertés démocratiques alors qu'il est un des premiers soutiens du terrorisme islamiste en Syrie ou Libye.
Mais le président turc Erdogan comme le Premier ministre Davutoglu étaient là à Paris pour défendre le journal Charlie-hebdo, ainsi que la liberté de la presse et condamner le terrorisme islamiste.Dénoncer son hypocrisie fondamentale, et la notre au passage, est fondamental.
Censure de Youtube et Twitter en 2014, censure d'Internet en 2015
Hier, le tribunal turc de Diyarbakir, au sud-est du pays, a ordonné la censure des pages des sites internet publiant la une du journal satirique français, visant d'abord quatre sites qui ont déployé le dessin, selon l'agence de presse Anadolu.
Un journal a tenté de contrer cette censure, c'est la publication républicaine laïque de centre-gauche historique Cumhürriyet (« la République »).
Le quotidien avait annoncé son intention de publier de larges extraits du numéro spécial de Charlie-Hebdo, il a reçu jusqu'à mercredi des centaines de menaces par téléphone, sur internet, y compris des menaces de mort.
Un journal national pris d'assaut par la police : la liberté de la presse en sursis
Certains politiciens islamistes, comme le maire d'Ankara, ont encouragé leurs troupes à manifester devant les locaux du journal et surtout à déposer plainte contre lui devant le tribunal turc, pour « délit de blasphème ».
Confrontés à la furie d'une partie de l'opinion publique fanatisée par les meneurs islamistes, tout en prenant conscience de la réelle sensibilité d'une partie importante de la population turque sur cette question, d'intenses débats semblent avoir secoué la rédaction de Cumhürriyet sur la publication ou non des caricatures portant sur Mahomet, dans un journal qui a perdu dans le passé un certain nombre de journalistes, victimes d'attentats à la bombe ou d'assassinats ciblés.
La décision a été prise de ne pas publier ces caricatures, et d'insérer un encart de 4 pages dans le journal reprenant certains dessins, illustrations du journal satirique.
A l'aube, une descente de police a finalement été effectuée dans les locaux du quotidien national, les camions devant livrer les premiers exemplaires du journal ont été arrêtés, vérifiés par la police qui avait ordre d'empêcher toute publication d'un dessin à caractère blasphématoire.
La direction du journal a justifié ainsi sa décision : « Cumhurriyet a perdu un certain nombre de journalistes dans le passé, victime d'attentats terroristes. Elle comprend donc très bien la peine que représente le massacre de Charlie-hebdo ».
« Nous avons condamné cette attaque contre la liberté d'expression de la manière la plus ferme. Nous avons déployé notre solidarité dans nos communiqués de presse, nos commentaires.
Preuve de notre solidarité avec Charlie-hebdo, nous avons publié une sélection de 4 pages venant de son édition spéciale d'aujourd'hui.
En préparant cette sélection, à la lumière de notre code éditorial, nous avons pris en compte la liberté de croyance, le respect de toutes les sensibilités religieuses.
Cumhurriyet continuera à défendre la liberté d'expression, avec toute la force qu'elle a toujours eue. A la suite d'un profond débat et d'une vaste consultation, nous n'avons pas inclu la couverture du magazine dans notre sélection ».
Cet encadré pondéré n'a donc pas empêché la police de tenter d'interdire la publication, au nom du respect de la « liberté de croyance » et de la « sécurité des journalistes ». Un comble dans un pays comme la Turquie où la liberté de la presse est tous les jours en sursis.
Un caricature sous la menace de 9 ans de prison pour avoir caricaturé Erdogan
Parmi les affaires en cours, la possible condamnation d'un caricaturiste du journal qui a représenté Erdogan comme un chat à 9 ans de prison révèlent l'ampleur de la terreur gouvernementale régnant contre les journalistes développant leur esprit critique, sous une forme même humouristique.
De la même façon, hier – à côté de la descente à Hurriyet et de la censure sur Internet – le Haut-Conseil de la radion et de la télévision (RTUK) a imposé à tous les médias, que ce soit la presse, les réseaux sociaux, l'audiovisuel l'interdiction formelle de diffuser une information circulant révélant que les services secrets turcs du MIT auraient aidé à l'armement des rebelles islamistes syriens.
Un ultime piétinement de la liberté de la presse tant portée aux nues par Erdogan, Davutoglu à Paris dimanche dernier. L'hypocrisie n'a pas de frontières.
On a le droit d'apprécier (ou non) la qualité de ces dessins et la signification de leur message, leur opportunité (et leur dangerosité) politique dans le contexte actuel. On a surtout le devoir de dénoncer ceux qui font de la « liberté de la presse », la « liberté d'expression » leur cheval de bataille pour mieux les réprimer chez eux. Le gouvernement turc en fait partie.