L’Eglise et les pauvres (Tribune libre)
Contribution reçue sur la messagerie du Blog "Commun Commune" :
Une réplique à l'article de Maryvonne Leray
Un ami a attiré mon attention sur un article récent de Maryvonne Leray ayant pour titre « Monseigneur Gaillot, le pape et la pauvreté ». J’ai lu attentivement l’article qui interpelle fortement la manière qu’a l’Église d’être avec les pauvres et qui, dans un même élan, met en doute la crédibilité de Mgr Gaillot tout comme celle du pape François. Je voudrais apporter quelques commentaires sur l’une et l’autre question.
D’abord, il est tout à fait judicieux de soulever la question du lien qui doit exister entre la justice et la charité. Il serait effectivement incohérent de se faire proche des pauvres, de les aider, tout en continuant de soutenir ce qui génère cette pauvreté. En ce sens, la charité ne doit pas se substituer à la justice, pas plus que la justice se substituer à la charité. L’une et l’autre doivent cohabiter et se compléter mutuellement.
Lorsque l’auteure déclare que « les pauvres n'ont pas besoin de charité, mais de justice… », elle dit une demi-vérité. En effet, qui ne saurait reconnaître que les pauvres comme tous les humains ont également besoin de la présence charitable qui apporte réconfort dans l’épreuve, communication dans la solitude, compassion dans les angoisses? Qui n’a pas eu besoin à un moment ou l’autre de sa vie de ces gestes gratuits, respectueux, solidaires, affectueux?
S’il faut vaincre toutes les injustices en menant les combats qui peuvent y conduire, il ne saurait être question d’y perdre notre humanité en y sacrifiant le geste gratuit, généreux, sans arrière-pensée pour les plus malheureux de nos sociétés.
Sur ce premier point, l’auteure y va avec les certitudes d’une personne qui sait, ex cathedra, ce que les pauvres veulent, ce qu’ils ressentent et comment les sortir de leur pauvreté.
« Les pauvres n'ont pas besoin qu'on leur lave les pieds, mais qu'on les accompagne dans leur démarche de libération et de renversement de pouvoir. »
Il faudrait peut-être leur poser la question.
Le second point, à mon point de vue beaucoup plus sérieux, concerne ces sous-entendus pas nécessairement fondés et ces accusations pas nécessairement prouvées. L’auteure écrit:
« D'une certaine manière, Gaillot encense le pape, pas tout à fait, mais presque. Une telle réaction ne m'étonne qu'à moitié. S'il veut garder son titre d'évêque, il faut bien qu'il fasse des compromis, même avec la vérité... Mgr Gaillot passe allègrement sur le passé douteux de Bergoglio et fait mine de croire que le pape parle sincèrement de pauvreté...
Avec cette introduction, l’auteure mine pratiquement toute sa crédibilité pour ce qui va suivre. Elle prête à Mgr Gaillot cette intention de vouloir garder son titre d’évêque. Que vient faire cette insinuation et quel fondement a-t-elle dans les faits? C’est là une affirmation gratuite qui n’a vraiment pas sa raison d’être dans le cadre du thème développé.
Là ne s’arrêtent pas les suggestions de l’auteure. Elle prend pour vérité ce qu’elle qualifiera dans la phrase suivante de « douteux ». Si je comprends bien ce que veut dire le mot « douteux », c’est, dans le cas présent, qu’il s’agit d’une supposition qui n‘est ni prouvée ni démentie, en somme quelque chose dont nous ne sommes pas certains.
Dans le cas de Bergoglio on parle effectivement d’un passé douteux, certains affirmant qu’il a été un collaborateur de la Junte militaire, entre 1976 et 1983, d’autres dont le prix Nobel de la paix 1980, Adolfo Perez Esquivel, un ardent défenseur des droits de la personne durant cette période, déclare le contraire.
“Le militant argentin des droits de l'homme Adolfo Pérez Esquivel assure à la BBC que Jorge Bergoglio "n'a eu aucun lien avec la dictature".
Par rapport aux affirmations des premiers, fondées en grande partie sur le livre du journaliste argentin, Horacio Verbitsky, ‘El silencio’ il est dit que Bergoglio, alors provincial des jésuites, avait coopéré avec la Junte militaire pour faire arrêter et expulsé du pays deux de ses collègues-prêtres, engagés auprès et avec les pauvres. Depuis, certaines informations relatives à ces témoignages en diluent les certitudes et certaines photos présentées dans le livre s’avèrent être des montages. C’est particulièrement le cas de cette photo qui nous montre Bergoglio en compagnie de Videla, chef de la junte militaire. Sur cette photo, Bergoglio porte l’habit d’un évêque, alors qu’il n’est toujours qu’un simple prêtre occupant la fonction de provincial des jésuites.
‘Cette photo du cardinal en compagnie de Videla est un montage grossier:
Regardez l'ombre de la tête et du bras droit du cardinal sur le monument : elle indique que la source de lumière est assez ponctuelle, est située sur la gauche un peu en avant et à environ 30° vers le haut. Dans ces conditions la jambe gauche de Videla devrait obligatoirement porter une ombre visible sur le sol... et il n'y a rien du tout.
En tant que simple prêtre séculier au moment de la dictature, Bergoglio ne pouvait guère s'y opposer, et ne peut donc a priori guère être accusé personnellement de complicité. Pour la haute hiérarchie catholique de l'époque, c'est autre chose.’
http://www.alterinfo.net/L-affaire-Francois-1er-Les-Borgias-ont-ils-migre-a-Washington_a87950.html
Alors, pourquoi faire des montages de photos si les faits et les témoignages parlent par eux-mêmes?
L’auteure, dans pareil cas, me semble-t-il, se devait de faire preuve de plus de prudence, d’autant plus qu’elle impute à Mgr Gaillot des intentions graves comme celle-ci : ‘S'il veut garder son titre d'évêque il faut bien qu'il fasse des compromis, même avec la vérité...’ Et comme si ce n’était pas suffisant, elle rajoute : ‘Mgr Gaillot passe allègrement sur le passé douteux de Bergoglio et fait mine de croire que le pape parle sincèrement de pauvreté.’
Ma conclusion est la suivante. Si nous voulons faire la révolution qui serve les pauvres, il faut la faire pour que l’humanité dans son ensemble y trouve son compte. Elle l’y trouvera que si ceux et celles qui s’en font les promoteurs et les promotrices mettent en tête de leurs priorités, la justice, la vérité, la solidarité, la compassion. La manipulation de la vérité et les insinuations qui discréditent des personnes sont rarement des ingrédients productifs pour une véritable révolution.
Prêter des intentions c’est comme donner un coup de couteau dans le dos d’une personne. C’est avec des faits et le souci constant de la vérité et du respect qu’il nous faut avancer sur la voie de la libération. Autrement, nous rejoindrons tous ces aventuriers et aventurières qui se sont laissés emporter par des élans, plus individualistes que de solidarité réelle.
Je regrette qu’un tel article, aux sous-entendus multiples, sème plus d’incertitude et d’incompréhension entre ceux et celles qui veulent vraiment que l’Église change et que le monde change.
Oscar Fortin
Québec, le 20 mars 2013