Lettre OUVERTE à André CHASSAIGNE, Député Front de Gauche (CGT Cheminots de Chartres)
Monsieur le député et Président du groupe GDR à l’Assemblée nationale,
Le 19 juin dernier, se sont terminés trois jours de débats à l’Assemblée nationale sur le projet de loi«portant réforme ferroviaire» auxquels vous avez participé. Le 24 juin, le projet de loi a été adopté(après engagement de la procédure accélérée) et est actuellement débattu au Sénat.
Monsieur le député, vous n’êtes pas sans savoir que les cheminots ont fait jusqu’à 14 jours de grève pour s’opposer à cette réforme et pour que voie le jour un autre avenir pour l’une des dernières grandes entreprises nationales 100% publiques amenée à disparaître: la SNCF. Vous vous autorisez à penser pour les grévistes aussi bien dans l’Assemblée nationale que dans lesmédias (par exemple dans l’émission«Bourdin Direct»du 19 juin dernier), ce qui mérite, à la vue de vos différentes interventions qui ont choqué et qui choquent encore les cheminots qui étaient en grève, une petite mise au point et quelques éclaircissements sur notre position et nos revendications.
Sachez, Monsieur le député, que les cheminots sont fiers de leur combat et qu’ils sont très lucides sur ce projet de loi qui vient d’être adopté; même amendé, il ne correspond en rien à ce que nous portons et continuerons de porter. Monsieur le député, appeler clairement les cheminots à cesser la grève en direct chez «Bourdin» notamment n’est pas tolérable et nous tenions à vous rappeler que si vous aviez réellement été un représentant des travailleurs en grève, c’eût été une trahison.
Voici donc quelques explications et précisions.
Tout le monde s’accorde pour réunifier la roue et le rail; il n’aurait donc pas été porteur pour le gouvernement d’affirmer le contraire; et pourtant, il s’agit d’un véritable mensonge d’État, car le contenu du projet propose l’éclatement de la SNCF.
Comme nous le disons depuis des mois, la SNCF appartient à la Nation et de ce fait, chaque citoyen du pays en est «copropriétaire».
Mais qu’en pensent-ils réellement? Monsieur le député, la majorité et le gouvernement n’ont eu aucun mandat pour faire une telle réforme qui déposséderait la population de son bien commun et ce n’est pas la dernière élection européenne où seulement 6,5%du corps électoral a renouvelé sa confiance au parti gouvernemental qui leur donne plus de légitimité. Mais qui d’autres que nous pour leur rappeler?
Imaginez, en plus, ce que peuvent penser les camarades grévistes en apprenant que le jour du vote de l’article 1erde ce projet de loi, il n’y avait dans l’Hémicycle que 33 votants: 27 pour, 5 contre et une abstention – la vôtre que vous revendiquez publiquement – ! 33 votants sur 577 députés (6%),sans aucun mandat, pour décider de l’avenir du bien de 60millions de citoyens et de l’avenir de 160 000 cheminots, quelle belle démocratie!
L’ironie du sort est de voir disparaître la Société Nationale des Chemins de fer Français – ce que propose le projet de loi – acquis du Front Populaire en 1936, sous un gouvernement «socialiste».
La promulgation d’une telle loi – même amendée – serait un acte de forfaiture et de trahison populaire
Depuis presque deux ans, notre fédération CGT des cheminots a travaillé et mis sur la place publique une proposition alternative pour développer un véritable service public de transport ferroviaire de marchandises et de voyageurs au sein d’une seule entreprise: la SNCF.
Sachez, Monsieur le député, qu’en plus d’avoir l’avantage de la simplicité – contrairement à l’usine à gaz que le gouvernement vous impose d’adopter – notre proposition respecte les exigences envigueur de Bruxelles. Il suffit de transférer les fonctions essentielles (répartition des sillons et validation du plan général de transport ferroviaire, détermination de la tarification d’utilisation des infrastructures, détermination et recouvrement des redevances) actuellement réalisées par RFF à la DGITM, service du ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie. Le reste de RFF (conception du plan de transport, gestion des circulations, entretien et développement du réseau) peut ensuite être réintégré dans la SNCF.
La proposition CGT «la voie du service public»répond aussi à d’autres préoccupations majeures comme la question du financement – contrairement au projet gouvernemental – la structuration en proximité pour une mutualisation des moyens humains et matériels, et de la question des conditionssociales pour les cheminots. Comme tout le monde le sait, de par son monopole historique, la SNCF a construit une réglementation garantissant ainsi la sécurité des circulations et les conditions de travail de son personnel; alors pourquoi les nouveaux entrants ne s’acquitteraient-ils pas des réglementations déjà en vigueur à la SNCF?
Toutes ces propositions ont participé à l’élaboration de la plateforme unitaire CGT – UNSA - SUD, socle revendicatif des cheminots qui étaient en grève. Le syndicat CGT des cheminots de Chartres avec l’ensemble des grévistes exigeait – et continue d’exiger – la réécriture totale du projet de loi.
Voilà, Monsieur le député, pourquoi nous étions en grève! Croyez-vous vraiment que les quelques amendements qui ont été adoptés – certains durcissent même le projet – peuvent nous satisfaire? Et comme vous le déclariez devant les caméras: «si vous aviez été gréviste», vous vous seriez exprimé et auriez voté en votre âme et conscience, comme tout un chacun, dans les assemblées générales pour lesquelles, à Chartres, nous étions plus nombreux que les députés sans mandat pendant 3 jours de débats à l’Assemblée nationale. Mensonge d’État, forfaiture, trahison populaire, il y a des moments historiques, Monsieur le député, où il faut choisir clairement son camp; les cheminots dans la grève l’ont fait, mais il semblerait qu’ils aient été bien seuls... Monsieur le député, sachez pour finir, que le combat des cheminots – etnous sommes entièrement déterminés à le continuer – aura au moins permis un éclaircissement politique qui aura des répercussions incalculables sur le long terme et votre position “douteuse” – àmoins que vous portiez les amendements de l’UNSA qui n’appelait pas à la grève – y contribue clairement.
En attendant une réponse de votre part, veuillez recevoir, Monsieur le député et Président du groupe Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale, nos salutations respectueuses.
Bertrand CLAVELIER
Secrétaire Général du
syndicat CGT des
cheminots de Chartres