Libye : l’intoxication belliciste
La Tribune de Françis Arzalier
La France eut en son temps Napoléon le Grand, qui répandit les idées de 1789 au travers de l'Europe à la pointe des baïonnettes, et en profita pour piller ses peuples asservis. Un demi-siècle après, elle se donna à Napoléon le Petit, le neveu troisième du nom. Quand il eut perdu son crédit dans l'opinion, il tenta de la regagner par une bonne guerre, apte à flatter le chauvinisme franchouillard. Fâcheusement pour lui, et plus encore pour ses sujets, l'ennemi prussien attaqué, infligea à l'armée une raclée rapide, et à la France une occupation éprouvante en 1870. L'avatar napoléonien que s'est donné notre peuple pour maître en 2009, a perdu lui aussi tout espoir de majorité. Il s'agite donc en tous sens pour regrouper au zénith des sondages, d'abord en flattant les xénophobies: mais cela ne fonctionnait guère, et a servi surtout à conforter l'audience des racistes et du Front National. C'est alors qu'il se prit pour Napoléon III, et résolut une bonne guerre, une belle aventure virile contre un ennemi à sa taille (militairement s'entend), assez discrédité dans l'opinion mondiale, pour faire contre lui l'unanimité des Français, autour de leur monarque-président. L'opération fort réussie ma foi, fut préparée de longue date, durant des mois, par des médias dont les hérauts sociaux-démocrates et UMP confondus, chauffèrent à blanc le bon peuple auditeur: « les Arabes », masse indifférenciée et si peu familière, se révolutionnent à l'appel de l'Occident pour arracher les dictateurs en place et, enfin, instaurer le bonheur du « pluripartisme » à la française et du marché-roi réunis.
Quand en Libye de l'Est, en Cyrénaïque autrefois royaliste, quelques anciens comparses civils et militaires du « Guide » libyen, aidés de notables tribaux et d'intégristes du Groupe de Combat Islamique Libyen (GICL), ont organisé un soulèvement armé , et lancé à la conquête du pouvoir des jeunes gens quasiment désarmés criant « Allah Akbar » pour tout programme, le prétexte à la guerre était mur: il fallait aller en croisade humanitaire pour sauver les pauvres insurgés en risque d'être massacrés par l'état libyen coupable de répondre à une insurrection par les armes.
L'opinion française, anesthésiée, connaît depuis le début mars une des plus sombres dérives de son histoire contemporaine, comme l'euphorie imbécile de 1938, après les accords de Munich, qui pensaient assurer la paix en cédant aux exigences d’Hitler. On sait l'étonnement satisfait du négociateur français Daladier de retour à Paris: il craignait de se faire insulter à sa descente d'avion; se voyant applaudi, il n'eut qu'un mot: « les cons... ». Effectivement, un an après, l'Allemagne nazie, encouragée, put déclencher l'apocalypse. Le contexte de 2010 est différent, Kadhafi, déguisé en potentat guerrier par nos médias, n'a que quelques avions russe ou français fort délabrés, l'Occident réuni derrière les forces françaises pourra le vaincre sans péril. Mais toute aventure guerrière ouvre la boîte de Pandore, elle peut engendrer quelques conséquences monstrueuses.
Elle en aura en tout cas en France, dans ce peuple entraîné pour l'instant par ses « élites » dans une frénésie nationaliste et coloniale qui permet à la presse de titrer sur le « consensus droite-gauche » (le Figaro, 19-20 mars). Il est vrai qu'on a vu ces dernières semaines s'effondrer une certaine intelligence française, se multiplier les renoncements opportunistes et électoralistes. Il est tout aussi vrai que certains de nos concitoyens, plutôt réactionnaires, se rengorgent de croire la France une grande puissance, comme quand elle allait civiliser les récalcitrants de son Empire à la gégène et au napalm, au profit de « nos Nègres » et « nos Arabes ». Il est encore vrai que bien d'autres Français, plutôt de gauche et humanistes en diable, pensent comme Kouchner et BHL que la France a le droit et même le devoir d'aller imposer au canon sans recul « nos libertés » aux autres peuples, comme autrefois on colonisait sous prétexte de libérer les esclaves africains. Mais les plus ardents « pousse-à-la-guerre » sont nos fabricants d'opinion, journalistes et politiciens d'obédiences diverses: ceux du Monde, maître à penser des intellectuels d'opposition, qui exigeaient l'intervention armée en éditorial dès le 16 mars; les éditos de Libération et du Figaro, frétillant de bonheur, émoustillés par la mort prévisible des autres, disaient « la guerre contre Kadhafi, enfin ... » Les dirigeants du PS français, Aubry, Cambadélis, Fabius et quelques autres, les Verts de Cochet et Joly, se sont félicités de la guerre fraîche et joyeuse, en reprochant à Sarkozy d'avoir tant tardé; Jean-Luc Mélenchon, revenu à sa bauge politique originelle, rappelant qu'il a voté pour l'intervention au Parlement européen avec Vergiat, l'autre député française du « Front de Gauche » (alors que les autres élus de la Gauche Européenne, Grecs, Allemands, Tchèques, Portugais s'y opposaient); les deux députés européens du PCF étaient absents, cela leur a évité de choisir entre les divergences au sein de leur parti: car si le PCF a fait savoir dès le 7 mars qu'il n'approuvait pas l'intervention, c'est de façon confuse, en prétendant que les insurgés de Benghazi étaient contre, alors même qu'ils venaient la quémander à Paris. Et le journal l'Humanité est allé jusqu'à censurer les communiqués de la direction du Parti. Il a fallu attendre le 21 mars pour voir le journal de Jaurès dénoncer la guerre néocoloniale engagée. Le NPA lui aussi condamnant les actes de guerre a assorti son texte de regrets qu' »on » n'ait pas donné des armes aux insurgés de Cyrénaïque, les confondant sans doute avec les Républicains espagnols de 1936 ou la guérilla algérienne en 1960. Les seules dénonciations claires de l'aventure impérialiste en Libye sont venues de Lutte Ouvrière, et de quelques communistes qui n'oublient pas leurs valeurs, réduits à s'exprimer sur Internet. Il est vrai que le contexte international a pesé, quand les dirigeants chinois, communistes affirmés, ont préféré cautionner à l'ONU l'intervention occidentale en Libye, dans un partage négocié des zones d'influence avec les USA...
La cerise sur le gâteau a été déposée le 18 par Marine Le Pen pour le Front National; elle s'est offert le luxe de déclarer son désaccord avec un « acte de guerre, inapte à régler le problème de la Libye, qui est de guerre civile »: réflexion de bon sens qu'aurait dû porter la gauche véritable... C'est dire la confusion des esprits, les élections prochaines en France en porteront tous les stigmates...
Il n'est que temps pour les organisations anti-impérialistes de réagir: on ne peut accepter plus longtemps cette intoxication des citoyens français.
François Arzalier