Liévin (Pas-de-Calais) : Le Docteur Jacques Lacaze explique pourquoi il démissionne du conseil municipal
Lettre du Docteur Jacques Lacaze adressé à :
Monsieur Jean Pierre Kucheida
Maire de Liévin
Liévin le 20 février 2012.
Monsieur le Maire,
Par la présente, je confirme mon courrier du 8 février 2012 par lequel je vous faisais part de ma décision de démissionner du conseil municipal de Liévin, en ajoutant que je souhaite que cette démission prenne effet le 1ermars prochain.
Il importe de dire pourquoi.
Sur ma vision de la situation. En quelques mots, la situation de crise du capitalisme mondial que nous traversons, n’a pas de solution dans l’action sur les mécanismes de ce système, qu’un certain Karl Marx a mis parfaitement à jour. Le cas de ce qui arrive en Grèce, au grand peuple Grec, est une démonstration quasi parfaite. Les solutions proposées échouent les unes après les autres, mais plongent ce peuple dans une misère seulement connue en temps de guerre. La même situation est à nos portes. Très brutalement, nous courrons le risque de connaître des situations ubuesques, comme en Espagne où le bâtiment s’est arrêté brutalement laissant des chantiers désertés et partout des mal logés et des sans abris. En France c’est la classique campagne concernant les sans abris quand le thermomètre baisse trop. Ils sont ensuite tout aussi rapidement rendus à la rue.
Votre parti, le Parti Socialiste, propose lui aussi, comme les partis dits de droite et les maîtres du grand capital, des solutions dans le cadre exclusif de ce capitalisme. Je pense que vous êtes en pointe dans la mise en place de ces solutions « social-démocrates » avec votre projet d’europole centrée sur Lens et basée sur le tertiaire, le Louvre Lens, le stade couvert et le RCL, avec en prime une liaison rapide vers Lille métropole et un tramway qui traversera d’est en ouest (l’ex) bassin minier. Je l’ai déclaré à la réunion du conseil municipal du 1erfévrier, sans une forte politique de ré industrialisation, d’augmentation généralisé et forte des salaires qu’ils soient directs ou indirects sous forme de cotisations sociales, notre région est condamnée à végéter et à la misère. Ce montage, manifestement pensé et mis en pratique de très longue main ne résistera pas à la crise économique du capitalisme qui ne fait que démarrer et qui s’annonce comme un tsunami.
Il n’y a qu’une seule solution à cette situation: un changement radical de société basé sur l’expropriation des grands secteurs capitalistes, la sortie de l’Europe construite par les traités de Maastricht, de Lisbonne etc …. au seul profit de la grande finance et accompagnés d’une inféodation à l’Allemagne. Ce changement passe par la satisfaction des revendications basées sur les besoins réels d’aujourd’hui, des classes populaires, mais aussi l’arrêt du pressurage des classes moyennes, par la minuscule couche de privilégiés qui possèdent tout en France et dont le président actuel est le sinistre fondé de pouvoir. Ce personnage est très intéressé quand on prend connaissance des cadeaux fabuleux qu’il a réservé à sa famille et ses proches.
C’est dire que la voie de la démocratie représentative est une voie en impasse. Un observateur un tant soit peu attentif peut constater au fil des temps les glissements de cette réelle avancée qu’a été le droit de vote accordé aux hommes, puis aux femmes à l’issue de la deuxième guerre mondiale, vers une foire électorale où l’argent est roi. Seuls les partis et les personnalités ayant de l’argent – plus ou moins bien acquis - peuvent prétendre bénéficier de cette démocratie. C’est dire que non seulement les revendications populaires passent par la trappe, mais les travailleurs sont invités à travailler plus pour gagner moins. L’observation de l’évolution du vote populaire est l’illustration flagrante du désintérêt que provoque cette solution.
Notre droit de vote, fondamental dans notre culture politique, doit passer par la démocratie participative, avec possibilité de destituer les élus, la participation des citoyens à tous les niveaux de décisions concernant notre vie, et pas seulement, Monsieur le Maire, ceux concernant la largeur d’un trottoir ou la couleur d’une façade, mais bien les orientations sur l’aménagement du territoire, sur l’économie, les loisirs, quelle éducation donner à nos enfants etc. Voyez- vous, si j’ai un reproche majeur à faire à l’expérience dite socialiste de l’URSS, c’est bien d’avoir voulu apporter le bonheur au peuple sans trop se soucier de son avis, ce que d’ailleurs, vous et les maires et autres grands élus font quotidiennement, tant il est vrai que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, et qu’on remarque plus facilement la paille dans l’œil du voisin que la poutre qui encombre le sien.
Les travailleurs savent que rien ne leur a été donnéni par TOUS les gouvernants qui se sont succédé à la tête de la France, ni par le patronat. TOUS les DROITS sociaux ont été acquis de très dures luttes, y compris le droit d’exister pour les syndicats ouvriers. Le gouvernement de Léon Blum de 1936 n’avait pas les congés payés, ni l’ensemble des revendications de la classe ouvrière à son programme, mais l’immense et glorieuse grève de 36 l’a obligé à mettre en place ces fameuses lois, ces incroyables avancées sociales. C’est une question qui me tient à cœur. Mon père, chassé de son village natal du Lot par la fin d’une économie rurale, s’est retrouvé à Toulouse, comme beaucoup de personnes issues de ces terres qui ont été riches. Il s’est retrouvé comme ouvrier à Latécoère. Cette usine, qui fabriquait et entretenait les avions des Mermoz, et autre Saint-Exupéry, a été la deuxième à se mettre en grève avec occupation des locaux en France après l’usine d’aviation de Nantes. Mon père faisait partie de la direction de la CGT fraîchement réunifiée. Il m’a expliqué : « Nous nous sommes réunis dans un terrain vague, à l’abri des regards. Nous avons voté la grève à l’unanimité puis nous sommes allés dans les travées en appelant à la grève et à sortir de l’usine. L’assemblée générale qui s’est aussitôt réunie a voté la grève et l’occupation de l’usine». Je rappelle qu’à l’époque, les responsables syndicaux risquaient la prison voire le bagne. Dans les années qui ont suivi, beaucoup de ces responsables ont été emprisonnés, déportés, assassinés.
En ce qui me concerne, j’ai une expérience personnelle: celle de mai-juin 68. J’ai participé à la révolte étudiante très activement, puis dès le lendemain du 13 mai, comme beaucoup, j’ai entraîné plusieurs dizaines d’étudiants à la porte des usines, des entreprises, des puits de mine avec l’idée qu’il fallait construire à travers l’union de la jeunesse et de la classe ouvrière l’unité populaire capable de changer de société. Nous nous sommes heurtés à l’hostilité agissante du pouvoir gaulliste et de la direction de la CGT et du PCF. On n’a voulu retenir du 68 étudiant que quelques noms qui sont restés dans l’actualité mais pas du côté du peuple. Et le résultat ne s’est pas fait attendre, dès juin, De Gaulle a réussi à imposer des élections qui ont envoyé à l’Assemblée Nationale une majorité de droite « introuvable » la plus à droite que la France ait connue dans son histoire. Ces derniers mois, en Tunisie, en Egypte, nous avons assisté au même scénario.
Le peuple de mon pays a fait depuis cette époque, la dure expérience de la fin des 30 glorieuses et de l’importation du néolibéralisme, théorisé par les « Chicago boys », expérimenté au Chili de Pinochet dans le sang et la terreur, téléguidé par l’administration des Etats Unis d’Amérique, puis généralisé par Thatcher et Reagan. Et je dois constater que le PS au pouvoir, a apporté une contribution active à cette voie anti-populaire en particulier sous le gouvernement Jospin. Ce gouvernement a privatisé à tout va, plus que la droite, ce qui soit dit au passage, a donné à l’économie française un petit ballon d’oxygène, que les travailleurs paient lourdement depuis et dont vous vous êtes servi pour montrer par une courbe que c’était moins mal sous ce gouvernement de gauche. Je n’oublie pas non plus – entre autre - les stocks options de Monsieur Fabius qui ont accompagné beaucoup d’autres cadeaux aux riches. Et surtout, je n’oublie pas que les salariés de ce pays payent l’addition depuis.
Bref aujourd’hui, c’est clair pour moi, il n’y a aucune solution du côté de cette démocratie représentative. On se fait élire sur la base de promesses, qu’on s’empresse d’oublier, pour fonctionner de façon autocratique, à tous les échelons de notre pays. Je n’ai pas souvenance que vous ayez proposé la création d’une europole Lens-Artois aux électeurs, mais on peut se tromper.
Aujourd’hui, comme en Grèce, au Portugal, en Espagne, c’est au peuple de trancher, mais dans la lutte et dans la rue. C’est dans ce sens que je vais continuer à me mobiliser. Il en va de l’avenir de notre peuple, de notre pays et sans doute de l’humanité quand on examine de façon objective la politique menée aujourd’hui par les USA et l’Union Européenne au Moyen-Orient. Comme vous l’aviez dit publiquement à propos de l’invasion de l’Irak par les troupes des Etats Unis : « ça sent le pétrole ». Cette forte odeur est toujours là et même de plus en plus.
L’histoire nous réserve des surprises imprévisibles. Rêvons : et si ces élections, comme en 36 permettaient au peuple de France de penser : « c’est le moment, allons plus loin, comme en 36 ! »
Rien n’est gravé dans le marbre, pas plus les faits historiques que les trajectoires personnelles.
Cordialement à vous.
Docteur Jacques Lacaze
Courriel: jacques.lacaze@gmail.com