Modèle allemand, une imposture : un livre de Bruno Odent [Le Temps des Cerises]
Le modèle allemand, voilà le salut. Une chronique quasi continue nous invite à nous plier à ses normes. Des « coûts salariaux » en diminution qui favorisent la compétitivité, des finances publiques à l'équilibre, le consensus des partenaires sociaux sur les orientations des directions d'entreprises. Nous n'aurions d'autre choix que de nous conformer à cette ligne ou de continuer à nous enfoncer toujours plus dans la crise. Et Angela Merkel ne ferait qu'assumer la « responsabilité de son leadership » en imposant le traité budgétaire et des règles de gouvernance rigoureuses aux pays les plus en difficulté. Une « aide » forcément assortie de conditions drastiques. Ce livre montre combien ce modèle est un poison pour l'Allemagne et l'Europe. Les démontages sociaux engagés depuis vingt ans torpillent les acquis d'une Allemagne dont les performances industrielles étaient associées aux standards sociaux et salariaux les plus élevés d'Europe occidentale. Bruno Odent est journaliste, chef du service Monde de l'Humanité. Germaniste, il est un spécialiste de l'économie et de la société allemande qu'il suit depuis plus de vingt ans pour son journal.
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Note de lecture du journaliste Ramine Abadi dans l''hebdomadiare suisse "Gauche hebdo"
L’Europe sous la menace du modèle allemand
N’en déplaise aux politiciens et autres «experts» européens qui en font en continue la promotion sur tous les tons, ce qu’on pourrait qualifier de «nouveau modèle» économique et social allemand ne constitue ni la panacée universelle, ni même une «feuille de route» acceptable, pour l’Europe ou pour les différents pays en crise. C’est ce que démontre de manière objective et convaincante Bruno Odent dans son livre «Modèle allemand, une imposture» paru cet été. Chef du Service Monde du quotidien français l’Humanité et grand connaisseur de l’économie et de la société allemande qu’il suit depuis plus de deux décennies, l’auteur y démonte le mythe de la réussite allemande et en dévoile le vrai visage, souvent masqué par l’écran de fumée des exploits du pays à l’exportation et son orthodoxie budgétaire.
Feu le modèle Rhénan…
L’auteur retrace rapidement les contours du modèle allemand originel (le «modèle Rhénan» basé sur l’Etat-providence, des salaires élevés, une forme de cogestion entre patronat et syndicats…) qui a permis le miracle allemand de l’après-guerre en réalisant le tour de force de hisser, en deux décennies, un pays exsangue et en ruine à la situation enviable de géant économique mondial. Mais le livre s’intéresse davantage encore au cheminement de l’opération de démantèlement du système, évidemment menée au nom de la «modernisation et de l’avenir», ainsi qu’à ses conséquences réelles. Sous le label «Agenda 2010», cette transformation a fini par produire, la déréglementation économique et sociale, l’ouverture du capital des entreprises en bourse, l’introduction de la retraite par capitalisation, la fin de la cogestion, l’instauration de règles très dures pour les chômeurs…et on en passe. Ce changement de régime économique et social, «douloureuse mais indispensable» selon son instigateur le Chancelier Gerhard Schröder, est parfaitement illustré dans les lois Hartz (du nom du chef du personnel de Volkswagen qui a présidé la Commission d’experts pour le gouvernement). Entrées en vigueur en 2005, elles ont abouti, par exemple, au fait qu’après une année, un chômeur passe directement à l’aide sociale (à environ 340 euros/mois) et est contraint d’accepter tout emploi offert même à … un euro de l’heure !
Avatar anglo-saxon
En menant son analyse, constamment appuyée sur les faits, Bruno Odent réussit à démontrer que le nouveau «modèle allemand» n’est en fait qu’une «imposture», juste un avatar du modèle anglo-saxon, mieux connu dans ses dérives. Pas étonnant que l’on en retrouve désormais bon nombre en œuvre en Allemagne -très fortes inégalités de revenus et son corollaire, bas salaires et pauvreté croissante, recul de l’Etat-providence, financiarisation de l’économie, etc.. Ce pseudo-modèle qu’on essaie de nous vendre et qui fuit déjà de partout, prévient l’auteur, est aussi «dangereux» pour l’Europe, sa cohésion et ce qui lui tient lieu de système social qu’il est amer pour un grand nombre d’Allemands.
Certes iconoclaste par les temps qui courent, le livre de Bruno Odent constitue une lecture indéniablement éclairante pour qui s’intéresse à l’Europe et aux débats de politiques économiques.
Ramine Abadi
«Le modèle allemand, une imposture» de Bruno Odent (205 pages). Editions Le Temps des Cerises