Portrait de VALLS en Saint Laurent [le blog de Descartes]
Il n’y a pas que les discours de Mélenchon dans la vie. Ce week-end, on pouvait écouter des discours autrement plus intéressants pour qui veut observer la vie politique française. Je veux parler, bien entendu, des discours prononcés par Arnaud Montebourg et Benoît Hamon à la « Fete de la Rose » de Frangy-sur-Bresse. Il faut dire que notre ministre de l’économie et du redressement productif national (je sais qu’il tient à ce titre) a su, au cours des années, faire de cette fête à priori provinciale un événement national qui lui offre une tribune de rentrée privilégiée. Comme quoi, cela paye en politique d’établir des rituels et des continuités plutôt que de faire du « neuf » et de « l’inédit » en permanence.
Je dois avouer que je n’ai pas supporté l’écoute du discours de Benoît Hamon. Je n’arrive d’ailleurs pas à comprendre comment un personnage aussi falot, aussi dépourvu de toute idée personnelle, sans le moindre charisme, peut occuper une place aussi importante dans les équilibres internes du PS et dans la politique nationale. Mais vous m’accorderez qu’ayant écouté le même dimanche une heure dix de Mélenchon puis quarante-cinq minutes de Montebourg, je peux estimer avoir fait mon devoir de citoyen.
Je ne commenterai pas ici en détail le discours de Montebourg. Disons qu’il comptait deux parties différentes. Une partie pour mettre en valeur l’action de l’auteur – c’est humain – en soulignant tout ce qui a été accompli dans le domaine du « patriotisme économique » ou dans le dossier Alstom, et pour annoncer l’action future du ministre qui semble croire qu’on peut redonner du pouvoir d’achat aux français et relancer l’économie en supprimant le monopole des notaires ou celui des banques. Mais la partie la plus notable, c’était bien évidement l’attaque à boulets rouges contre les institutions européennes autant que sur les têtes de l’exécutif français, accusés de suivre une politique imbécile d’austérité à tout crin qui tue la croissance et l’emploi. Avec une conclusion qui ne laissait pas d’ambiguïté : il faut changer de politique.
Cette sortie ne devrait surprendre personne par son contenu. Montebourg a fait, depuis de longues années, son fond de commerce à partir d’une contestation des politiques orthodoxes. Il faut d’ailleurs lui reconnaître, mérite rare entre les socialistes, d’avoir montré un certain courage en 1992 en votant contre la ratification du traité de Maastricht. Tout le monde sait qu’il ronge depuis deux ans son frein en participant à un gouvernement dont la politique économique, c’est le moins qu’on puisse dire, est à l’opposé des conceptions qu’il défend. Dans sa gestion de son ministère, il s’est entouré d’une équipe militante qui s’agite en permanence – pas toujours à bon escient, malheureusement – pour infléchir la politique du gouvernement dans un sens plus keynésien, quitte à se faire « recadrer » de temps en temps par le Premier ministre ou le président. Mais jusqu’ici, Montebourg a toujours maintenu publiquement une ligne stricte d’adhésion à la solidarité gouvernementale, et de soumission au président et – avec quelques accrocs – au Premier ministre. Le discours de dimanche dernier rompt avec cette ligne, en attaquant frontalement la politique économique du pays, et donc par élévation – car elles n’ont pas été explicitement nommées – les deux têtes de l’exécutif qui sont responsables du choix et de la conduite de la politique en question.
Mais en politique, tout est dans le timing. A rien ne sert d’avoir raison, encore faut-il avoir raison au bon moment. Pourquoi Montebourg – comme Duflot, d’ailleurs – passent tout à coup à l’offensive ? Cela fait déjà deux ans que le gouvernement socialiste est en place, et sa politique économique n’a pas varié d’un iota. Il n’a pas fallu deux mois pour qu’il devienne évident que les rodomontades du candidat Hollande sur une « rénégociation du TSCG » et sur une « politique de croissance » seraient rangées dans le placard aux accessoires électoraux sans autre forme de procès. Dès le départ, on a fait de la réduction de la dépense publique et des déficits en suivant les lignes directrices de la Commission européenne l’alpha et l’oméga de la politique économique. La priorité à la politique de l’offre a été affirmée par le président de la République de la manière la plus solennelle qui soit. Et l’arrivée de Valls à Matignon n’a de ce point de vue absolument rien changé. Alors, comment expliquer qu’après des mois de silence prudent, Montebourg prononce un tel discours aujourd’hui ?
Et le plus notable, c’est que Montebourg n’est pas seul. Partout, des dirigeants politiques qui s’étaient bien gardés de critiquer le président de la République sortent du bois. Cécile Duflot – qui, tout le monde le sait, n’agit que pour des idées sans que jamais les considérations de carrière entrent enligne de compte – commet un livre au vitriol. Benoît Hamon rejoint Montebourg dans ses critiques. Même Cambadélis s’y met. Tout cela sent la fin de règne. Comme disait un personnage britannique, « quand on est premier ministre, la loyauté d’un ministre, c’est le fait que sa peur de perdre son poste est un peu supérieure à son espoir de piquer le mien ». Montebourg, Hamon ou Duflot ont été des ministres parfaitement loyaux aussi longtemps que l’échec des politiques qu’ils condamnent aujourd’hui n’était pas évident. Si par un miracle l’austérité avait réussi à relancer la machine et redorer dans les sondages le blason des deux chefs de l’exécutif, ils auraient continué dans un parfait esprit de loyauté. En politique, cela ne paye pas de jouer les Cassandres : si vous prédictions catastrophiques se réalisent, personne ne s’en souviendra ou, pire, on vous reprochera de les avoir provoquées. Si elles ne se réalisent pas, vous aurez l’air d’un con. Mieux vaut continuer à faire comme si tout allait bien, madame la Marquise, et attendre les résultats.
Dans cette attitude qu’on voit à quel point les politiques aujourd’hui naviguent à vue, à quel point ils ne croient pas eux-mêmes dans la pertinence de leurs propres analyses. Il fut un temps où un homme politique pouvait quitter son poste parce qu’il était convaincu que les décisions prises ne pouvaient que conduire au désastre. Et il était considéré contraire à l’éthique de rester ministre pour mettre en œuvre une politique qui allait dans le mur. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, pour une génération de politiques qui conçoivent leur activité comme une profession. Aujourd’hui, l’art de la politique consiste à jouer sur les deux tableaux : rester dans le train du pouvoir aussi longtemps que possible, même si l’on est convaincu qu’il va dans le mur, et sauter juste avant la catastrophe pour ensuite critiquer le conducteur. Lorsque Duflot et Canfin sont descendus du train, beaucoup de commentateurs ont glosé sur les « désaccords politiques » supposés avoir entraîné ce départ. Mais très peu de gens ont remarqué que ces désaccords existaient dès juin 2012. Que le remplacement d’Ayrault par Valls n’a absolument rien changé à la politique économique et sociale du gouvernement. Alors, pourquoi être restés aussi longtemps, pourquoi partir alors ? Réponse : parce que Duflot et Canfin, qui voyaient les choses de l’intérieur, sont arrivés à la conclusion qu’il n’y avait plus rien à gagner à rester dans le train, sauf le fait de s’écraser contre le mur avec les autres. Qu’il était plus intéressant d’aller aux élections municipales en portant l’habit de celui qui a sacrifié les postes aux convictions, plutôt que l’inverse. Il fallait un « casus belli » pour rendre ce départ crédible, et on l’a trouvé : il paraît que EELV ne peut avoir des ministres dans un gouvernement dirigé par un monsieur qui dit des méchantes choses sur les Roms. Le chômage, l’austérité, c’est acceptable, la méchanceté avec les Roms, non. De toute évidence, c’est prétexte, et si Hollande avait été au faite de sa popularité, EELV serait resté, Roms ou pas Roms. Mais le rideau de fumée a parfaitement marché : même Mélenchon s’est laissé prendre, en voyant dans ce départ l’amorce d’un virage à gauche des égologistes.
Si aujourd’hui Montebourg et Hamon se préparent à sauter du train – ou à se faire éjecter, ce qui est encore plus intéressant politiquement – c’est parce qu’ils sont, eux aussi convaincus, que le mur est proche et qu’il n’y a plus rien à gagner à rester dans la cabine de pilotage. Car dans une logique normale, le gouvernement Valls est condamné. Un ministre ne peut attaquer la politique du gouvernement et rester ministre. Autrement, l’autorité du Premier ministre n’existe plus. Valls a donc maintenant le choix : soit il renvoie Montebourg de son propre chef, en protégeant le président de la République, soit il présente lui-même sa démission, obligeant Hollande à trancher le conflit entre lui et Montebourg.
Et, oh miracle du temps réel, j’apprends juste en tapant cet article - dans le train qui me conduit au boulot, et oui, les vacances sont finies - que Manuel Valls a présenté au président de la République la démission de son gouvernement… et qu’il a été chargé d’en former un nouveau. Le sens de l’arbitrage semble donc clair, et on voit mal comment Montebourg et Hamon pourraient rester dans le train. La formation du nouveau gouvernement risque d’être compliquée : après avoir perdu les egologistes, on perd l’aile gauche du PS. L’ouverture au centre ? Il faudra trouver des candidats au suicide, prêts à monter dans le train alors que celui-ci s’approche à toute vitesse du mur…
Si seulement il y avait quelque part un parti progressiste ayant un projet crédible à proposer au pays… aujourd’hui, il ferait un tabac.
Descartes