UKRAINE : La crise ukrainienne c’est la vieille idée américaine d'approcher L'OTAN de la FRONTIÈRE RUSSE [Emir Kusturica, réalisateur yougoslave et serbe]
La veille de ses 60 ans, le réalisateur yougoslave et serbe Emir Kusturica a rencontré le journaliste de la chaîne "Zvezda" et lui a confié ses projets artistiques et son ressenti de la période complexe, du point de vue de la géopolitique mondiale, qu'on est en train de vivre. Il a dit réfléchir au sens de la vie et à la notion de "l'homme".
- Vous allez avoir 60 ans, que ressentez-vous la veille de cette date ?
- Je ressens de la maturité, à vrai dire. Je réfléchis au sens de la vie, puisque la jeunesse en quelque sorte, peut-être au sens intellectuel du terme, c'est maintenant du passé, mais que compte tenu de ma vivacité et ma vitalité je ne ressens absolument pas ces années. D'ailleurs, j'ai l'impression que tout est pareil qu'il y a 20 ans. Les gens ont la même vie que moi, ils appréhendent beaucoup de choses, mais en général vivent avec un taux d'adrénaline élevé. Ce qui leur garantit une jeunesse. Et voilà ce qui est remarquable. En observant tout cela en moi et, en même temps comme avec un regard extérieur, je peux dire que le passé et ce qui se passe aujourd'hui et ce qu'il y aura demain, tout tourne, malheureusement, constamment au tour du même sujet. Lorsque les américains nous donnent tout le temps des leçons sur comment nous enrichir, c'est toujours la même histoire, ce sont ceux qui ont les moyens qui doivent s'enrichir, et eux, ils (les américains) vont diriger cet enrichissement.
Mais en ce qui concerne les gens pauvres, ils ne se soucient pas du tout de tout ce monde-là et de tout ce qui se trouve sous la ligne dont ils (les américains) font la propagande. C'est-à-dire, tout ceux qui vivent comme ils sont, sans faire de démonstration de leur nature prédatrice, ils sont lancés par eux (les américains) à vau-l'eau, comme on dit. De même, le monde entier, à vrai dire, a compris une dimension métaphysique, sociologique qui, au fond, reste la même qu'il y a mille ans, mais qui a changé grâce à une quelconque preuve apparue grâce au progrès technique.
D'ailleurs, mon idée en tant que sexagénaire consiste à trouver la réponse définitive à la question : "qui est l'homme ?" "D'où il vient, où il va ?" Indépendamment de ses origines ethniques. Mon idée est que l'homme apparaît comme un être plus noble, plus sensé, qui est guidé dans sa vie par des intentions meilleures que ce que lui est "prescrit" par le capitalisme occidental. Il vit en déhors de ce cercle dominant. Je l'appellerais ceci un cercle. Le cercle du mal. Il est composé ainsi : la guerre, le capital, Wall-Street. Encore une fois : la guerre, le capital, Wall-Street. Une bête tricéphale. Elle est particulièrement puissante depuis cette influence dont dispose l'Hollywood et la machine de propagande américaine. Ceci dit, au fond c'est la même chose. Et il s'agit d'un pays qui autrefois possédait une grande idée qui était le rêve Américain. Aujourd'hui, il n'y a plus aucune idée là-bas. Hormis celle de s'approprier, de prendre le contrôle sur toutes les ressources énergétiques partout dans le monde. Alors, en tant qu'un sexagénaire qui comprend beaucoup de choses, je peux dire que le rêve américain, à vous dire vrai, a beaucoup été déformé durant les cinquante dernières années.
- Vous ne regardez pas la télé depuis longtemps, mais suivez les évènements qui ont lieu en Ukraine. Dans ce conflit, comment évaluez-vous les positions des parties et la nature de ce qui se passe ?
- J'essaie d'y voir clair et de comprendre ce qui est derrière ces évènements. C'est la raison pourquoi j'ai arrêté de regarder la télé, puisque la télévision montre quelque chose qui n'est pas l'essence du problème. On n'y montre que la façade. Je pense que l'Ukraine c'est la mise en œuvre d'une vielle idée américaine d'approcher l'OTAN de la frontière russe. C'est comme ça uniquement que je le vois. Ainsi, les évènements qui ont eu lieu au Maïdan ressemblent beaucoup à ce qui s'était passé en Bosnie et Herzégovine. Lorsque la guerre en Bosnie a éclaté, elle a aussi été sporadique, les accrochages survenaient de temps à autre, mais tout a commencé vraiment lorsque, comme par un enchantement des snipers ont apparus sur le toit de l'hôtel "Holiday Inn" et ont tiré sur les gens réunis pour manifester contre la guerre.
Par quelconque inertie, ce sont des Serbes qui y ont été accusés, mais aucune preuve n'en a jamais été fournie. Au Maïdan il a été prouvé que c'étaient des combattants de l'organisation Black Waters, et la conversation entre le ministre des affaires intérieurs de l'Estonie et Catherine Ashton a apporté des preuves qui étaient ces gens qui ont tiré sur des activistes du Maïdan et les forces de l'ordre. Ainsi, il existe une force dans le monde qui considère la guerre comme l'unique et véritable générateur de ce cercle dont j'ai parlé. Dans ce sens, je vois l'Ukraine comme un facteur inquiétant dont nous savons tous qu'il existe depuis encore 1945 des groupes armées spéciaux qui organisent des émeutes dans tous les coins du monde, et le degré que ces émeutes ont atteint depuis l'Irak, la Syrie, le printemps Arabe et Kadhafi, nous fait rentrer dans une phase très critique.
Avec le fait doublement avéré que la crise ukrainienne fait approcher les bases militaires américaines davantage de la Russie. C'est l'objectif principal. Le reste n'est fait que pour l'atteindre. Quand j'ai regardé comment la crise ukrainienne se développait, les putschistes à Kiev ont en réalité trahi cet accord conclu entre la Russie et l'Union Européenne et ont renversé le président, quoi qu'il en soit, c'était bel et bien un putsch qui, en fin du compte, a petit à petit conduit à la guerre.
- A votre avis, la Russie dans cette situation n'a pas eu d'espace de manœuvre ?
- Si la Russie avait été moins humaine, elle aurait dû défendre ses frontières. Et les frontières russes se défendent bien au-delà même de l'Ukraine. La crise ukrainienne a amené des troupes étrangères jusqu'à la frontière de la Russie. Et elle est en danger. C'est une mauvaise situation.Autrefois Gorbatchev s'est entendu avec George Bush aîné que l'OTAN n'allait pas s'étendre. Mais il s'est laissé influencer à l'époque. Cela arrive à des gens bien intentionnés de se faire tromper. George Bush a promis qu'il n'y aurait pas de l'extension, mais c'était dit oralement, il n'existe aucun accord écrit. C'était une erreur. Comme ce qu'il y a eu chez nous. De très nombreux Serbes, et des Croates et des musulmans encore plus, ont cru que c'était Slobodan Milošević qui a démanché la Yougoslavie.
Mais ils oublient qu'à l'époque George Bush a fait une déclaration qui disait qu'aucune ex-république yougoslave n'aurait pas de relations diplomatiques avec les USA si elle reste au sein de la Yougoslavie. Par conséquent, nous ne pouvons pas parler de Slobodan Milošević comme de celui qui a démanché la Yougoslavie comme il l'a été présenté par la propagande, tout en sachant que George Bush a dit qu'il n'y aurait pas de relations diplomatiques avec les républiques yougoslaves. Cela veut donc dire que ce sont EUX qui n'ont pas voulu de Yougoslavie et non pas Slobodan Milošević. C'est pareil chez vous. L'Amérique fait de la propagande et les gens ont beaucoup de mal à creuser pour découvrir la vérité.
- Aujourd'hui, certains réalisateurs russes, y compris ceux qui sont connus comme par exemple Bondartchouk parlent de leur intention de réaliser un film sur l'Ukraine. Vous avez réalisé des films sur la guerre. Sur la guerre qu'il y a eu dans votre pays natal. Comment naissent les films ? Il faut laisser passer du temps ou ce n'est pas obligatoire ?
- Les films naissent en tant que des parts des souvenirs, d'une impulsion, d'une quelconque histoire que la vie amène et qui a une certaine implication shakespearienne. Elle doit être inspirée par un évènement fort, par une émotion qui n'ont pas d'implication idéologique, qui donnent la vérité et sont dramatiques d'elle seules. Cela arrive.
- Dîtes, il a existé une idée de panslavisme. Vous venez d'évoquer une certaine crise des idées en Europe. Que leur conception a été ébranlée. Est-ce que la Russie a tout fait pour promouvoir ses intérêts nationaux en Europe ? Pourriez-vous évaluer de façon objective à quel point la Russie, dans un sens humanitaire, spirituel vise, à être présente en Serbie ? A-t-elle tout faitpour ?
- Il existe un lien fraternel logique. Et je pense qu'il existe d'énormes ressources qui n'ont pas été exploitées jusqu'au bout, et que la Russie nous influence dans un sens culturel et n'importe quel autre. Pourquoi ? Parce que je crois que des libertés minimales, dont nous disposions à l'époque de Tito nous, ne pouvons pas les perdre. Nous étions ce pays dans lequel notre culture était basée sur le fait que nous ne sommes ni l'est, ni l'occident, mais l'est ET l'occident à la fois. Et cela m'a fait très "je-ne-sais-quelle-impression" d'entendre les dernière directives que dispense le ministère de la défense de l'Allemagne où on nous met en garde contre la présence de la Russie en Serbie. Ainsi il est question non plus de la slavophile ou de la russophilie, mais de la liberté qui sous-entend notre passé et des recettes slaves qui viennent de la Russie.
Source : http://tvzvezda.ru/news/mneniyaa/content/201411211159-i75z.htm