Une FEMME en COLÈRE [lettre ouverte au Président de la République]
Grenoble le 19 novembre 2014,
Page Facebook : une femme en colère
A l’attention de Monsieur de Président de la République Française
Monsieur le président de la République Française, Messieurs et Mesdames les ministres, Messieurs et Mesdames, les Parlementaires de l'Isère.
Je suis une citoyenne qui, si j'en crois la Constitution française, fait partie du Peuple Souverain (1), ce qui me donne le droit de m'adresser en tant que telle aux ministres qui sont des serviteurs du Peuple et non pas du Medef..
Ma vie s’apparente à celle de beaucoup de Français et de Françaises. Si je décide aujourd’hui de vous écrire, c’est pour vous parler de mon quotidien dans ce beau pays qu’est la France où il devrait faire bon vivre.
J’ai 43 ans, je vis seule avec deux beaux enfants à charge. J’ai fait des études : 1 CAP, 1 BEP, 2 bacs, 1 BTS, 1 DUT. J’ai aussi suivi beaucoup de formations professionnelles. Après avoir travaillé dans le privé, je suis, depuis 15 années, titulaire catégorie B de la fonction publique d'Etat.
J’ai toujours travaillé, et je fais partie de ces personnes qui se lèvent tôt le matin pour aller au travail. Je me lève à 5h45 et je rentre à la maison à 18h. Je travaille 43 heures par semaine (payées 35).
Le 4 novembre, j’avais un rendez-vous avec l’assistante sociale de mon quartier. J’ai trouvé cela humiliant pour moi, d’aller demander de l’aide aux services sociaux alors que j’ai un toit et un travail. Pourtant, je me rends à l’évidence, je n'arrive plus à boucler les fins de mois ! J’ai beau calculer, et recalculer, rien à faire ! Il manque de l’argent pour faire vivre ma famille ! Comment cela est-il possible en gagnant 1728 euros par mois ?
Savez-vous ce que m’a dit l’assistante sociale ? « Madame, effectivement votre restant à vivre est très critique, mais votre salaire est "trop élevé" pour prétendre à une quelconque aide sociale. Vous dépassez tous les plafonds ! Même, pour les restos du cœur où la banque alimentaire vous gagnez trop ! Pourtant je ne peux que constater que vos charges fixes sont incompressibles. Aucun crédit à la consommation, aucun crédit auto, aucune dette ! Je rencontre de plus en plus de personnes comme vous, mais le système d’aides Français est soumis au revenu brut fiscal et non au restant à vivre. Je ne peux donc rien faire pour vous aider ! Vous m’en voyez désolée ! »
Je me suis effondrée ! Par quelle solution je vais pouvoir nourrir mes enfants jusqu’à la prochaine paie ? J’ai beau tourner cette question dans tous les sens, je ne trouve pas de solution. Alors ma colère monte. Elle monte car je ne trouve pas normal qu'en France, au 21e siècle, alors que notre pays n'a jamais été aussi riche, une personne qui travaille ne gagne pas assez d’argent pour vivre dignement !
J’ai décidé de vous écrire, car je suis consciente de ne pas être un cas unique. Les riches qui se plaignent toujours de payer trop d'impôts, retiennent toute l'attention des gouvernements qui se sont succédé sous la 5e République, bénéficient de niches fiscales. Pourtant même après impôts il leur reste largement de quoi bien vivre. Malgré la mansuétude des gouvernements la fraude fiscale s'élève à 45 milliards d'euros par an et l'exil fiscal à 80 milliards !
Je fais partie des salariés dont le salaire est à peine supérieur au salaire médian (2) soit 1728 euros par mois.
Votre confortable situation sous les lambris dorés ne vous permet sans doute pas d'apprécier à juste titre ma situation.
Je vais donc essayer de vous éclairer sur ce qu’est que la vie d’un fonctionnaire de catégorie B.
Contrairement aux Cahuzac et autres Thévenoud, je ne cache rien. Je pense que les Français qui me liront pourront se reconnaître. Je n’ai jamais fait de politique (3) au sens où cette expression (galvaudée par des politiciens qui en font un métier) veut signifier partisan. Je pense qu’en lisant le tableau ci-dessous, un enfant de primaire pourrait comprendre. Et un président ?
Si les chiffres permettent de visualiser des situations, ils ne disent rien sur la souffrance au quotidien ! Je me souviens qu’un jour dans un journal télévisé, un journaliste avait posé la question à nos ministres à la sortie de l’Elysée : « Savez-vous combien coûte une baguette de pain ? » Les diverses réponses qui ont suivies ont peut-être amusées beaucoup de personnes, mais moi pas !
Reste à vivre :
2274.65-1653.95= 620,70 euros
Soit par semaine :
620.7/4.5= 137,93 euros
Avec 137,93 euros par semaine, je dois nourrir ma famille (3 personnes), les habiller, payer les soins (de moins en moins remboursés), et prévoir les coups durs de la vie (panne, usure, transports, extrascolaire,…etc.).
Pour les loisirs, les vacances, les invitations à la maison, il ne reste aucune possibilité !
Il ne reste rien, si ce n’est de la colère.
Monsieur le président de la République Française, pouvez-vous comprendre ma colère ? Nous sommes des millions de personnes dans ce cas ! La France est un pays riche où la pauvreté augmente ! (4) Ce n'est pas normal !
Quand nous mettons notre bulletin dans l’urne c’est pour que notre quotidien s’améliore et non pour la gestion de la mondialisation, la protection des riches et le "sauvetage" des banques qui ont magouillées. J'avais cru comprendre lors de votre campagne électorale, que la finance était votre ennemie !
Quand est-ce que vous comptez vous occuper de nous ?
A combien estimez-vous le manque à gagner sur mon salaire pour que je puisse faire vivre dignement ma famille ? Moi je chiffrerai à 500 euros par mois, et vous ?
Est-ce normal qu’en travaillant nous ne puissions plus faire manger nos enfants, leur faire découvrir les belles régions de notre pays, les soigner, leur payer leur études, des loisirs, comme le prévoit le préambule (5) de la Constitution…dont le président de la République est le garant ? (6)
Notre pays va mal, nous aussi et je vous tiens pour responsables. Si vous ne pouvez rien faire pour nous, pourquoi avez-vous accepté la fonction de président ?
Vous avez la solution :
"Augmentez les salaires" (pas une aumône) pour les salariés qui se situent dans les conventions collectives et les statuts, avec un effort particulier pour les salaires du bas de l'échelle.
Je vous rappelle que la France est signataire du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966 et ratifié par la France le 4 novembre 1980. Il proclame à son article 11 le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence. (7)
Je vous remercie d’avoir pris le temps de me lire.
J’espère que vous aurez le respect de répondre à ma lettre et de m’apporter des solutions qui me permettront de pouvoir nourrir et soigner ma famille.
Travailler dans de telles conditions de ressource devient suffoquant !
Une femme en colère !
(parmi d'autres)
PS : j’aurai aussi pu vous détailler le fait que dans le lycée où je travaille nous sommes deux à faire le travail de trois personnes ( par manque de création de poste), que je dors dans le salon sur le canapé par manque de place dans mon petit logement, que je n’arrive plus à me soigner ainsi que mes enfants (dents, yeux, dermatologie…) car les soins deviennent trop coûteux et que votre politique ( bien que j’ai voté pour vous) n’a fait qu’accroître mes problèmes financiers…Mais ma lettre serait bien trop longue et risquerait de vous ennuyer. Alors je me réserve peut être pour une prochaine fois.
Dans l’attente de vous lire, je vous prie, Monsieur le Président de la République Française, ainsi que tous les destinataires de cette lettre, d’agréer mes salutations distinguées.
Notes :
(1) article 2. Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple. Article 3. La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum.
(2) Le salaire médian et le salaire en dessous duquel se situe la moitié des salariés. En France en 2010 il est de 1675 € nets par mois.
(3) Au sens noble la politique c'est l'organisation de la société.
(4) Selon l'observatoire de la pauvreté, organisme officiel, le taux de pauvreté des familles monoparentales est passé de 27,3% à 32,1 % entre 2002 et 2012. En 2013 le secours catholique confirme la tendance à l'augmentation de la pauvreté.
(5) Préambule de 1946, annexé à la Constitution : Article 10.La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Article 11. Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs...
(6) Article 5 : Le Président de la République veille au respect de la Constitution.
(7) Article 11 Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence. Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l'importance essentielle d'une coopération internationale librement consentie.
Et je finirai par un extrait d’une conversation entre Colbert et Mazarin sous LOUIS XIV, Extrait du « Diable Rouge ». Il s'agit d'une pièce de théâtre écrite par Antoine Rault et sortie en 2008. Nous pourrions remplacer Mazarin par Valls et Colbert part Macron. Mais là cela ne nous ferait pas rire !
Les gouvernements à la solde du Medef n’ont rien inventé, même méthode que sous l’ancien régime. C'est dire la modernité de ceux qui prônent l'austérité.
Colbert : Pour trouver de l’argent, il arrive un moment où tripoter ne suffit plus. J’aimerais que Monsieur le Surintendant m’explique comment on s’y prend pour dépenser encore quand on est déjà endetté jusqu’au cou…
Mazarin : Quand on est un simple mortel, bien sûr, et qu’on est couvert de dettes, on va en prison. Mais l’Etat… L’Etat, lui, c’est différent. On ne peut pas jeter l’Etat en prison. Alors, il continue, il creuse la dette ! Tous les Etats font ça.
Colbert : Ah oui ? Vous croyez ? Cependant, il nous faut de l’argent. Et comment en trouver quand on a déjà créé tous les impôts imaginables ?
Mazarin : On en crée d’autres.
Colbert : Nous ne pouvons pas taxer les pauvres plus qu’ils ne le sont déjà.
Mazarin : Oui, c’est impossible.
Colbert : Alors, les riches ?
Mazarin : Les riches, non plus. Ils ne dépenseraient plus. Un riche qui dépense fait vivre des centaines de pauvres.
Colbert : Alors, comment fait-on ?
Mazarin : Colbert, tu raisonnes comme un fromage (comme un pot de chambre sous le derrière d’un malade) ! Il y a quantité de gens qui sont entre les deux, ni pauvres, ni riches… Des Français qui travaillent, rêvant d’être riches et redoutant d’être pauvres ! C’est ceux-là que nous devons taxer, encore plus, toujours plus ! Ceux-là ! Plus tu leur prends, plus ils travaillent pour compenser… C’est un réservoir inépuisable.
Pierre DOLIVIER (curé et démocrate 1793) écrira dans son essai sur la justice primitive :
« Les riches se croient fort nécessaires aux malheureux ; et lorsqu’ils en occupent un grand nombre à leurs terres ou à leurs ateliers ils disent avec une sorte de jactance qu’ils font vivre beaucoup de monde. Ils devraient dire qu’il faut beaucoup de monde pour les faire vivre dans leur opulent loisir »
C'est encore vrai et ça n'est pas du théâtre.
Copie de cette lettre à:
De Messieurs et Mesdames les ministres de notre gouvernement
De Monsieur le Maire de Grenoble
De Monsieur le Président de la région de l’Isère
Mesdames et Messieurs les parlementaires
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