Union Européenne : les suites de l'élargissement
Le groupe Faurecia a annoncé un projet de suppression de 1500 emplois en Europe de l’Ouest, après deux saignées de même ampleur en 2011 et 2012. Ce plan de restructuration prévoit l’accélération des délocalisations des sites industriels vers les pays de l’Est de l’Union européenne : pas moins de sept usines devraient être installées d’ici 2014 en Roumanie, en Pologne, et en République tchèque.
L’équipementier français (pots d’échappement, sièges, parties en résine des véhicules…), détenu à 57,4% par le groupe PSA Peugeot-Citroën, emploie 84 000 salariés dans le monde (parmi lesquels 12 000 intérimaires), dont plus de 43 000 dans les pays de l’Europe de l’Ouest. La direction du groupe prévoit que la moitié de ces effectifs européens seront employés à l’Est du continent en 2016. Elle anticipe un chiffre d’affaires global de 22 milliards à cet horizon, dopé par une hausse des ventes de 65% en Amérique du Nord, et même un triplement en Chine. Les perspectives sont également alléchantes en Corée du Sud, dont les constructeurs automobiles profitent pleinement de l’accord de libre-échange récemment entré en vigueur entre l’UE et ce pays. En revanche, l’austérité généralisée en Europe devrait aboutir à une nette décrue des ventes sur les marchés du Vieux Continent.
Faurecia possède une quarantaine d’implantations en France (production et études). Le site de Méru (Oise) notamment, qui emploie 500 salariés, dont 200 intérimaires, pourrait être menacé : il fournit en effet en tableaux de bord l’usine PSA de Poissy ainsi que celle d’Aulnay sous Bois, menacée de fermeture en 2014.
La direction de Faurecia, qui présentait le 12 novembre ces perspectives aux « investisseurs » financiers réunis à Londres, a affiché son objectif d’atteindre une marge opérationnelle de 5% d’ici 2016. Elle ne cache nullement vouloir profiter des salaires notablement plus bas dans les pays entrés dans l’UE en 2004, vers lesquels le transfert de capitaux est libre et sans contrôle du fait des règles européennes.
Immigrants de l’Est
La liberté de circulation de la main d’œuvre, autre pilier de l’édifice européen, constitue un moyen différent mais tout aussi efficace pour faire pression sur le prix du travail à l’Ouest de l’Union. C’est ce dont témoigne une étude confidentielle réalisée par le ministère français du Travail, et révélée par Le Parisien (13/11/12). Selon cette note, le nombre de travailleurs issus des pays de l’Est de l’UE aurait triplé dans l’Hexagone entre 2006 et 2010 pour atteindre officiellement 110 000 cette année-là. L’étude estime que le chiffre réel se situerait plutôt entre 220 000 et 330 000, et aurait encore grimpé de 15% en 2011.
Le quotidien a enquêté sur les conditions de travail et d’emploi de ces salariés, poussés à l’émigration par la pauvreté. Dans le bâtiment en particulier, les semaines atteignent couramment 50 à 60 heures, les heures supplémentaires sont rarement payées, et les rémunérations, parfois en liquide, se situent très en deçà des minimaux conventionnels, dénoncent les syndicats sur le terrain – sans même évoquer le non-paiement des cotisations sociales.
Mais les bases de cette immigration en provenance de Pologne, de Roumanie ou de Bulgarie sont parfaitement légales, souligne le rapport. En effet, la France a transposé en 2007 la directive européenne relative au « détachement » de travailleurs au sein de l’UE. Connu initialement comme « directive Bolkestein » (libéralisation des prestations de service), le texte avait été théoriquement amendé après l’émotion soulevée en 2005.
En réalité, la directive autorise bel et bien des sociétés basées à l’Est à « détacher » des travailleurs pour venir concurrencer les salariés nationaux. Les professionnels français indiquent que le phénomène a pris de l’ampleur récemment, au point de menacer un nombre considérable de PME, qui n’ont pas les moyens de faire face à cette concurrence.
Fait notable : ce sont les collectivités locales (70% du total des investissements publics) qui alimentent cette tendance au moins-disant. Villes, départements et régions tirent vers le bas les appels d’offre, de plus en plus souvent remportés par des entreprises qui n’hésitent pas à employer des « travailleurs à bas coût », quitte à passer par de la sous-traitance en cascade. Les collectivités, importantes pourvoyeuses de commandes publiques, sont en effet elles-mêmes prises dans l’étau de l’austérité budgétaire et des coupes dans les dépenses.