POURQUOI le projet de loi EL KHOMRI est-il dangereux pour les FEMMES ?
Depuis la tribune publiée dans « Le Monde » le 8 mars par un collectif de militantes féministes, de chercheuses et de syndicalistes, la colère des spécialistes des inégalités femmes-hommes au travail ne faiblit pas. Interview de Rachel Silvera, économiste, université Paris X, codirectrice du réseau MAGE(marché du travail et Genre)
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ELLE.fr. Quel problème spécifique pose le projet de loi El Khomri pour les femmes au travail ?
Rachel Silvera. Dans ce projet, rien n’a été pensé en tenant compte des spécificités du travail des femmes. Or, être une femme et être un homme dans le monde du travail ce n’est pas pareil. Les femmes sont majoritaires dans les emplois à temps partiel qui sont les plus précaires. Et les femmes, même les cadres, portent encore sur leurs épaules la quasi-totalité des tâches domestiques, ce qui les pénalise dans leur parcours professionnel.
ELLE.fr. En quoi la loi El Khomri risque-t-elle d’aggraver ces inégalités ?
Rachel Silvera. Ce projet vise à inverser la hiérarchie des normes juridiques. Pour faire simple, aujourd’hui la loi prévaut sur les accords de branche et d’entreprises négociés entre les partenaires sociaux (patrons et salariés) qui peuvent aller plus loin que la loi, mais seulement pour améliorer le sort des salarié-e-s. Demain, le gouvernement veut que les négociations d’entreprises et de branches priment sur la loi et surtout qu'ils puissent être dérogatoires et moins favorables aux salarié-e-s . Ce qui signifie que les accords d’entreprise peuvent réduire les droits des salarié-e-s. Très concrètement, demain, avec un simple accord d'entreprise, vous pourrez passer à 46 h maximales par semaine. Si vos charges familiales ne vous permettent pas de faire face à ce surcroît de travail, si vous ne pouvez vous adapter, votre employeur pourra vous licencier, sans que ce soit un licenciement économique. Qui à votre avis aura le plus du mal à accepter un allongement du temps de travail, de la flexibilité ? Les femmes bien sûr! Ces mesures sont graves car elles remettent en cause le droit au travail des femmes et risquent de renvoyer à la maison les plus précaires d’entre elles.
ELLE.fr. Mais ces accords d’entreprise sont quand même conclus après négociation avec les syndicats, non ?
Rachel Silvera. Oui bien sûr, mais on sait bien que les femmes sont concentrées dans les TPE et PME, dans les services (par exemple l'aide à la personne, le commerce...) où il n’y a pas ou peu de représentation syndicale. Et on sait que les femmes sont globalement moins protégées par des accords de branche. Par exemple, sur le temps partiel, on voulait qu'il soit au minimum de 24 heures hebdomadaires, et en fait la loi généralise la possibilité d'accords de branche en dessous de ces 24 heures, elle limite le paiement des heures complémentaires et permettra que des changements d'horaires ne soient annoncés que trois jours avant (au lieu de sept)...
ELLE.fr. La loi El Khomri aura-t-elle aussi des conséquences négatives sur l’égalité professionnelle ?
Rachel Silvera. C’est fort probable. Cela ne fait pas longtemps que les entreprises négocient l'égalité (et encore pas toutes !) et c'est parce que des sanctions ont été introduites par la loi. Mais avec la loi de 2015 (dite Rebsamen) et celle-ci, on risque de regresser à nouveau : par exemple, les négociations annuelles obligatoires (qui doivent prévoir notamment des mesures pour supprimer les écarts de salaires entre les femmes et les hommes) pourront devenir triennales s'il y a un accord de branche... Bref une série de mesures qui risque de faire passer l'égalité à la trappe ! Non vraiment cette loi reste défavorable aux salariés en général et aux femmes en particulier.
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