CODE du TRAVAIL: quand Hollande en 2006 dénonçait le Hollande de 2016...
Chef de l'opposition dans l'hémicycle, il n'avait pas de mots assez durs pour dénoncer le démantèlement du modèle social imposé par la droite. Cruel.
PAR EMMANUEL BERRETTA
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Pour comprendre l'émoi qui traverse la gauche, il faut raisonner par analogie et imaginer un gouvernement de droite qui constitutionnaliserait le droit de vote des étrangers aux élections locales, augmenterait le smic de 10 %, appliquerait en France une taxe sur les transactions financières, accueillerait 100 000 réfugiés syriens, déciderait d'un objectif de 95 % d'une classe d'âge au bac en triplant le nombre de professeurs dans le 93 et dans la Creuse, doublerait les droits de succession et rembourserait 80 % des soins dentaires... Eh bien la droite serait dans un drôle d'état ! On imagine sans peine quelle tribune amère Éric Ciotti et François Fillon publieraient dans Le Figaro, appelant le gouvernement à renouer avec ses valeurs, la liberté et la responsabilité. Valérie Pécresse posterait sur Twitter un selfie où elle déchirerait sa carte des Républicains. Jean-Pierre Raffarin appellerait à des états généraux de la droite et du centre.
Transgressif
Quand François Hollande s'attaque à l'assouplissement du Code du travail, il bouleverse les fondamentaux de la gauche. Pour chacune des mesures transgressives du projet de loi El Khomri, on imagine sans peine trouver dans les archives du PS un communiqué de la Rue de Solférino entre 2007 et 2012. Mais, en fait, non. Il n'existe aucun communiqué signé de Martine Aubry qui dénoncerait les "noirs dessins de la droite" contre la fin des 35 heures, la semaine de 60 heures, la fin du repos durant les temps d'astreinte, le plafonnement des indemnités aux prud'hommes... Pour la bonne raison que la droite n'a jamais osé aller jusque-là !
Hollande à Villepin : "Vous avez fait le pari de la précarité"
En revanche, quand on se penche dans les archives de l'Assemblée nationale, ce sont les mots prononcés dans l'hémicycle le 21 février 2006 par François Hollande qui sonnent étrangement dix ans plus tard, quasiment jour pour jour. À l'époque, Dominique de Villepin défendait le CPE de manière à favoriser l'embauche des jeunes. Face au 49-3, François Hollande avait défendu une motion de censure. Relisons Hollande dans le texte : "Ce que je veux, c'est que nous engagions, les uns et les autres, un vrai débat politique sur nos conceptions de l'avenir du modèle social français, qui nous opposent légitimement. Vous avez fait le pari d'une société de précarité, au nom de ce que vous croyez être l'efficacité, comme si l'incertitude et l'instabilité pouvaient être le gage d'une prospérité, même éphémère. Nous, la gauche, faisons le choix inverse : ce sont les sécurités professionnelles et sociales qui permettent les transitions et garantissent une croissance durable."
La faute aux acquis sociaux
Le député Hollande dressait alors un bilan noirâtre de la situation économique : une croissance qui "expire" à 1,4 % en 2005, une dette d'un "niveau historique" (68 % à l'époque)... "Vous proclamiez votre volonté de redresser le pouvoir d'achat : il s'est effondré sous le poids de l'aggravation de la pression fiscale et sociale que vous avez infligée aux Français", osait dire Hollande à Villepin. Quand on connaît la suite...
"Mais plutôt que d'assumer la responsabilité de vos décisions depuis quatre ans, monsieur le Premier ministre, vous préférez mettre en accusation notre modèle social : ce ne serait pas votre politique, par ses errements, qui serait en échec, mais la France, par ses acquis sociaux, qui serait en panne, poursuivait le futur président de la République. Tel est le tour de passe-passe qui vous disculpe : rien ne serait de votre faute, tout viendrait des Français eux-mêmes… trop protégés par trop de garanties, immobiles, enfermés qu'ils seraient derrière des verrous qu'il faudrait faire sauter à tout prix ! Et le premier d'entre eux s'appelle tout simplement le code du travail. (...)"
"Obstination idéologique"
Mais le chef de l'opposition d'alors ne s'arrêtait pas là. Le temps de reprendre son souffle thermidorien, il entrait dans le détail : "Il ne vous a pas suffi en quatre ans, et avant vous à Jean-Pierre Raffarin et au gouvernement précédent, d'augmenter le contingent des heures supplémentaires, d'alléger leur coût, de supprimer un jour férié, de faciliter le recours à l'intérim, d'assouplir les règles du licenciement, de modifier les fondements de la négociation collective, de supprimer les emplois-jeunes. La dernière étape est pour bientôt, puisque vous nous préparez un nouveau contrat pour tous les salariés, au nom, sans doute, du principe d'égalité de tous devant la précarité. Aujourd'hui, ce sont les jeunes de moins de 26 ans qui risquent de faire les frais de votre obstination idéologique (...) Tirer prétexte de la précarité de quelques-uns – encore trop nombreux – pour la généraliser à tous, est insupportable." Une salve qui lui vaut les applaudissements des bancs socialistes. "Laisser penser qu'il faudrait démanteler le CDI au prétexte que certains n'y accéderaient pas est inacceptable !" lançait-il enfin.
Un déficit démocratique
Qui croire ? Le Hollande 2006 ou le Hollande 2016 ? Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. Mais cela ne se fait jamais sans dégât. Le candidat de la gauche n'avait pas, en 2012, le mandat démocratique de toucher au code du travail. Martine Aubry le lui rappelle et vise plus particulièrement à faire sauter Manuel Valls, son meilleur ennemi. Le déficit démocratique de la politique de Hollande se paiera très cher en 2017. C'est à la droite de mener des réformes de droite après un scrutin démocratique avec un mandat clair des citoyens français. Ça s'appelle la démocratie. Et le couperet approche à grands pas.
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