L’UKRAINE déclare la GUERRE À L’OPPOSITION : une certaine vision de la «démocratie»
Pour Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, le camp «globaliste» ne peut pas se permettre de soutenir l'Ukraine au nom de la démocratie et de l'Etat de droit, compte tenu du traitement réservé par Kiev à l'opposition.
La démocratie en Ukraine est le slogan derrière lequel se cache la guerre de civilisation menée par le monde global en Ukraine contre la Russie. Le discours l’affirme : l’Ukraine post-Maïdan est démocratique, certes imparfaite, mais a fait le choix de la démocratie. Cela ne se discute pas, cela se soutient. Le monde global soutient donc l’Ukraine. Comme on peut le lire dans Le Monde fin mars de cette année : «Si imparfaite et brouillonne soit-elle, la démocratie ukrainienne existe, et elle constitue une rareté précieuse dans l’espace post-soviétique de l’Europe orientale.».
La démocratie en Ukraine est le slogan derrière lequel se cache la guerre de civilisation menée par le monde global en Ukraine contre la Russie
Et les institutions du monde global soutiennent toutes cette voie démocratique. L’OTAN affirmait sans sourciller, il y a une dizaine de jours de cela, qu’«une Ukraine souveraine, indépendante et stable, fermement attachée à la démocratie et à l’Etat de droit, est indispensable à la sécurité euro-atlantique.». Quant au Conseil de l’Europe, il collabore avec le ministère ukrainien des Communautés et du Développement du territoire, pour que les principes européens dominent l’organisation territoriale ukrainienne – en tout cas, comme nous l’apprenions début juin : «Depuis le début de la guerre, le Centre d'expertise pour la bonne gouvernance a fourni une assistance aux autorités nationales et locales ukrainiennes, [...] visant à sensibiliser aux principaux défis auxquels les régions et municipalités ukrainiennes sont confrontées et à faciliter un échange avec leurs pairs d'autres pays européens.».
Si cet emballement médiatico-institutionnel globaliste pour la «démocratie ukrainienne» sert principalement à justifier le soutien inconditionnel que le monde global exige envers l’Ukraine, qu’en est-il dans la réalité politico-juridique du pays de cette fameuse «démocratie post-Maïdan» ?
La stabilité et la sincérité d’un système démocratique se mesurent au respect qu’il accorde à l’opposition. Aucun système démocratique n’est parfait, mais quand il existe une rotation des forces politique, qu’une majorité sait qu’elle va inévitablement tôt ou tard se retrouver dans l’opposition, elle a tout intérêt à accorder des droits à cette opposition, afin de pouvoir à terme revenir au pouvoir. D’une manière générale, la qualité de gouvernance d’un pays dépend beaucoup de la qualité de son opposition, car celle-ci oblige la majorité à s’améliorer, au moins par intérêt, pour ne pas perdre le pouvoir, si ce n’est par conviction.
Or, pendant que les arcanes du monde global se félicitent, se tapotent sur l’épaule, se glosent de la «démocratie ukrainienne», cette même Ukraine post-Maïdan a littéralement déclaré la guerre à son opposition. Sans base légale alors, le Conseil national de sécurité et de défense déclare le 18 mars 2022 la suspension le temps de l’opération militaire de rien moins que 11 partis politiques d’opposition. La base légale a été constituée plus tard, à partir du 3 mai, quand le Parlement ukrainien, la Rada, modifie certaines dispositions législatives en vigueur en élargissant les fondements au titre desquels il est possible d’interdire la constitution et l’activité d’un parti politique, notamment à «la justification ou la négation de l’agression russe, ou sa présentation comme conflit interne». Ensuite, le 14 mai, le président Zelensky a signé la loi portant liquidation des partis déclarés pro-russes. Ainsi, la décision du Conseil national de sécurité et de défense ukrainien peut être légitimée devant la justice, parfaitement soumise, puisqu’elle a déjà été l’objet d’une épuration drastique post-Maïdan.
Le bal judiciaire de la Cour d’appel de Lvov (en Ukraine de l’Ouest, justement) a été ouvert le 8 juin, avec l’interdiction du parti «Bloc d’opposition». Ensuite, le 13 juin, la cour a interdit deux partis, les «Socialistes» et «Justice et Développement». Ce sont tous de petits partis, peu actifs et peu représentatifs. Mais la belle «démocratie ukrainienne» est passée à la vitesse supérieure et le 16 juin, elle interdit le parti de l’opposant et blogueur emblématique Sharii. Le 20 juin, les choses sérieuses commencent avec l’interdiction du premier parti parlementaire, «Plateforme d’opposition – Pour la vie». D’autres sont encore en attente d’interdiction, mais déjà des questions se posent.
Les médias globalistes ukrainiens, comme Unian s’inquiètent : que faire des élus de ces partis interdits ? Car, ils risquent non seulement de pouvoir réorganiser plus tard un parti d’opposition, mais ils continuent à exercer leur mandat parlementaire... Ce qui manifestement est une honte dans l’Ukraine démocratique post-Maïdan, que de laisser des parlementaires élus d’opposition exercer pleinement leur mandat...
L’ironie est poussée à son maximum. Ces partis interdits peuvent déposer un recours devant la Cour suprême ukrainienne. Mais quelles sont les chances réelles d’un réexamen objectif de leur situation, quand on sait que la machine répressive s’emballe et va toujours plus loin, avec un projet de loi exigeant l’interdiction pour les membres de ces partis d’être éligibles à toute fonction électorale, de tout niveau ? Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, un projet de loi est en discussion, portant modification de l’art. 51 du Règlement intérieur de la Rada, afin de limiter les droits constitutionnels des députés d’opposition, en bloquant leur accès aux comités et commissions de travail et d’enquête.
Les globalistes ukrainiens se cachent et se justifient par «la guerre», ne pouvant reconnaître le caractère totalitaire de leur démarche. Il est, par exemple, possible de lire ceci : «La situation dans laquelle les anciens représentants des forces politiques reconnues pro-russes dans le cadre de la guerre avec la Russie continuent d'exercer les pouvoirs des députés du peuple ukrainien est non seulement absurde, mais constitue également une menace potentielle pour la sécurité de l'Etat.». Or, dans le même article, quelques phrases plus haut, il est précisé que la nécessité d’interdiction des partis politiques dits «pro-russes» existait avant le 24 février.
L’argument de la guerre est bien une excuse, non une raison. Le problème est bien plus général : depuis le Maïdan de 2014, le système ukrainien ne peut plus se permettre le pluralisme politique, ce pluralisme politique qui après le premier coup de force extérieur de la Révolution Orange de 2004, a permis le retour à une politique intérieure pacifiée à l’égard de la Russie et a ainsi réduit à néant tous ces efforts internationaux de 2004. Les leçons ont été retenues, les erreurs n’ont pas été reproduites, la «démocratie post-Maidan» ne peut être que d’un bloc, ne laissant de place à l’alternative.
Pourtant, cela pose de véritables problèmes juridiques, et la communauté internationale le sachant, garde pieusement le silence sur ces dérives liberticides, afin de protéger le discours d’une Ukraine «démocratique». Car, en fermant des partis politiques parlementaires, l’Ukraine porte directement atteinte au fonctionnement régulier des institutions et à la régularité des textes législatifs adoptés. L’Ukraine ne peut en même temps être en guerre, et donc pouvoir justifier toutes les atteintes au fonctionnement régulier des institutions, et être démocratique et respectueuse de l’Etat de droit. Mais le monde global ne peut se permettre de soutenir officiellement au nom de la démocratie et de l’Etat de droit, un pays qui ouvertement bafoue et la démocratie et l’Etat de droit.
Karine Bechet-Golovko
[Vu sur l’application RT News]