A propos de la récupération de la mémoire de Guy Môquet: une lettre au Président de la République
Par la télévision, j'ai assisté à l'opération que vous avez organisée au Bois de Boulogne, en vue de la récupération politique de la mémoire de Guy MOQUET, ce jeune communiste fusillé par les nazis avec le concours des hommes de la "collaboration" en France. Je suis profondément choqué et écoeuré par votre comportement. Mon père, communiste et résistant de la première heure à l'occupant était aussi incorporé avec Guy MOQUET au sinistre camp de Châteaubriant. C'est de là qu'il parvint à nous faire connaître, à ma famille et à moi-même, ce que fut la grandeur d'âme de celui qui allait mourir et des 26 autres communistes qui furent exécutés avec lui. Personne ne pourra effacer les raisons profondes de leur action et de leur courage. C'est parce que le Parti Communiste a mené une lutte résolue dès les premières années trente contre le fascisme international et ses incarnations, hitlérienne en Allemagne, franquiste en Espagne, mussolinienne en Italie et pétainiste en France, et en même temps pour la défense des intérêts sociaux de tous les travailleurs s'identifiant à la Nation, que les communistes se sont portés tout naturellement avec d'autres qui croyaient au ciel ou qui n'y croyaient pas, aux avant-postes du combat antifasciste et patriotique dès l'occupation en 1940. Leur courage était celui qu'inspire toujours une noble cause. C'est dans ce sens que l'acte de résistance de Guy MOQUET mérite d'être connu des lycéens et de tous les Français.
Monsieur le Président, vous êtes maintenant élu et le respect de la décision des urnes est de règle. Cependant, aujourd'hui comme hier, il n'est au pouvoir de personne de m'empêcher de vous dire qui vous êtes réellement, ce que sont vos desseins, et le danger que vous représentez pour les travailleurs, la majorité du peuple et la nation.
L'opération de récupération que vous avez commise vise à faire croire que vous seriez le défenseur de tous les Français sans distinction d'opinion. Vous espérez faire oublier ce que sont les forces capitalistes internationales et leurs actions que vous soutenez, alors qu'elles sont seules responsables des malheurs de tous les travailleurs et des peuples de France et du monde entier.
Déjà hier, à la veille de la seconde guerre mondiale, ce sont leurs ancêtres qui clamèrent "plutôt Hitler que le Front Populaire". Alors qu'ils avaient dû capituler devant la grève avec occupation des usines en 1936, ils rêvaient de revanche et de détruire les conquêtes sociales obtenues par les travailleurs. C'est ce qu'ils firent à la faveur de la guerre et sous la protection de l'occupation étrangère. "finie la semaine des deux dimanches" et "travail, famille, patrie" furent déjà les mots d'ordre de cette revanche qui accusait aussi les travailleurs de ne pas travailler assez, et des malheurs de la France.
Ce sont eux ces ancêtres, qui seront parmi les bourreaux de Guy MOQUET, comme ils le furent de mon père qui sera assassiné à Auschwitz, parce qu'ils n'avaient eu qu'un tort, celui de défendre les travailleurs et la nation profanée par ceux-là même qui les terrassaient.
Aujourd'hui, ce sont les héritiers, c'est-à-dire les mêmes forces capitalistes devenues transnationales, celles de la finance, de l'industrie et du grand commerce, qui rêvent comme vous l'avez dit, d'en finir avec l'esprit et les séquelles de 1968. En fait, elles veulent détruire jusqu'au bout toutes les conquêtes sociales que les millions de travailleurs grévistes de l'époque ont imposées aux milliardaires qui nous entourent. La nature des mots d'ordre d'hier et d'aujourd'hui révèle la filiation.
Le "travaillez plus pour gagner plus" n'est qu'un leurre, comme il l'a été dans le passé, car la "conquête de parts de marché" que vous préconisez va coûter cher, très cher, du fait de la "guerre économique internationale", comme elle ne cesse de le faire depuis des années. En effet, comme vos ancêtres, vous oubliez intentionnellement le prélèvement financier que le système capitaliste insatiable a toujours opéré sur l'heure de travail réalisée par le travailleur. Vous oubliez que le gouffre de ce prélèvement est devenu démentiel du fait de la "guerre" que les 65 000 sociétés capitalistes transnationales recensées en 2005 (combien aujourd'hui et quelle force de frappe ?) se livrent à chaque instant sur la surface de la planète, et cela essentiellement ces dernières années.
C'est donc ce qui explique où passent les moyens matériels et financiers de plus en plus exorbitants, que seuls ceux qui travaillent supportent non seulement sur le manque à gagner de leur salaire ou de leur revenu, mais aussi dans leurs conditions de travail où le fléau de la précarité" et du "travail déprécié", ravale l'être humain, et met en cause dangereusement la force de travail.
C'est pourquoi les "parts de marché", le "enrichissez-vous" et le "gâteau à se partager" ne seront pas pour les travailleurs, comme toujours, mais pour les riches et la concentration capitaliste. Les bulletins de victoire des groupes financiers et industriels du CAC 40, publiés d'année en année, démontrent qu'il en sera ainsi, demain comme hier. De la même façon, c'est par le même processus que se poursuivent les destructions économiques (OPA, délocalisations, etc.) et le délitage du tissu social à la ville, dans les banlieues et la ruralité, ainsi que la mise en cause de la Nation.
Monsieur le Président, on peut tromper tout le monde pendant un temps. Cependant, l'expérience enseigne que cela ne saurait durer éternellement. On peut tenter de faire réapparaître le miracle de "l'association capital - travail". Toutefois, celle-ci est bien morte du fait de l'évolution prioritaire du capitalisme lui-même. Pour cette raison, vous ne serez pas son sauveur suprême, parce que celui-ci n'a jamais existé et n'existera jamais.
Vous avez voulu vous emparer de l'acte héroïque de résistance de Guy MOQUET pour servir la politique antisociale que vous entendez imposer. L'histoire retiendra que ce faisant vous avez commis un sacrilège. La mémoire de ce héros légendaire appartient légitimement à la classe ouvrière dont elle est issue, elle qui "seule est restée fidèle à la patrie profanée", lors de la seconde guerre mondiale. Que cette mémoire soit partagée avec l'ensemble des Françaises et des Français qui souffrent de l'exploitation capitaliste et par conséquent de votre politique, est aussi légitime.
Cependant, c'est elle qui va inspirer les travailleurs dans la nouvelle résistance qu'ils vont devoir opposer à vos funestes projets. Soyez assuré qu'ils finiront par trouver le chemin de leur union et de l'action qui seules les sauveront de la détresse sociale dans laquelle le capitalisme les plonge depuis 25 ans. Ce qui leur ouvrira aussi de nouvelles perspectives sur le chemin de la transformation de la société qui mettra fin à la fracture sociale et à tant d'injustice.
Veuillez croire, Monsieur le Président, en mes sentiments distingués et communistes.
Marcel Caille
Fils de déporté mort à Auschwitz
Résistant, syndicaliste