A propos de la proclamation de l’indépendance du Kosovo
Les principales puissances de l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique ont franchi le Rubicon ce week-end par un double coup de force contre le droit international.
Tout d'abord dans la nuit de vendredi à samedi, à minuit, l'Union européenne a approuvé l'envoi d'une mission de policiers et de juristes au Kosovo en violation de la résolution 1244 du Conseil de Sécurité des Nations Unis en vertu de laquelle seule l'ONU peut décider de l'envoi de forces dans cette province serbe. Cette mission prendra ainsi la relève sans l’accord du Conseil de Sécurité de la Mission de l'ONU au Kosovo (MINUK), qui administre la province depuis 1999.
Puis, second coup de force, aujourd'hui l'Union européenne et les Etats-Unis, en violation de la Charte des Nations Unies ont laissé le gouvernement du Kosovo (et même l’ont poussé à) proclamer son indépendance, contre l’avis de l’Etat serbe dont dépendait cette province, avec en prime une promesse de reconnaissance par Washington, Paris, Londres, Berlin. Seules Chypre, la Grèce, Slovaquie, l’Espagne, la Bulgarie et la Roumanie ont renoncé à participer à cette forfaiture, en annonçant qu’elles ne reconnaîtront pas le gouvernement de Pristina
Jeudi dernier, les partisans de l'indépendance du Kosovo étaient minoritaires au cours de la réunion extraordinaire du Conseil de sécurité de l'ONU. Seuls cinq des 15 pays membres du Conseil de sécurité s'étaient prononcés en faveur du plan de Martti Ahtisaari octroyant au Kosovo un statut d'indépendance selon le principe ethnique, selon le représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l'ONU Vitali Tchourkine.
Le Conseil de Sécurité est à nouveau saisi dimanche après midi. L’an dernier outre la Russie, l'Afrique du Sud, l'Indonésie, et le Ghana avaient pris position pour le point de vue serbe
Le pathétique journal Le Monde sous la plume de Christophe Châtelot (hélas un habitué de ce genre d'exercice) dans un article du 16 février intitulé « Le Kosovo à l'heure de l'indépendance », tente de masquer l’atteinte au droit international renverser les rôles en présentant le chef des nationalistes albanais Hashim Thaci comme un démocrate qui invite les Serbes expulsés en 1999 dans leur province à revenir au Kosovo, tandis que les Serbes du Kosovo seraient les intolérants revanchards qui proclament un « parlement » sécessionniste à Mitrovica, tandis que Kostunica serait en tort quand il qualifie Thaci de « terroriste ».
Le Monde oublie juste que Thaci, ex-chef de l’UCK, une organisation effectivement classée comme terroriste par les Etats-Unis jusqu’en 1998, qu’il a lui-même participé à des crimes de guerre en cette qualité, et ne doit son salut qu’à la partialité pro-albanaise du TPIY qui a fait échec à son inculpation. Le Monde fait aussi l’impasse sur les pogroms anti-serbes de juin 1999 et mars 2004, et sur le coup de force anti-juridique des nationalistes albanais et de l’UCK contre tous les principes de l’ONU dans cette affaire.
L’éditorial du journal du 17 février reconnaît toutefois le dangereux effet-domino que tout cela annonce : « l'Europe joue à contre-emploi. Fondée sur le dépassement des nationalismes, elle donne l'impression de récompenser le nationalisme kosovar. Au nom de quoi refusera-t-elle l'autodétermination des Serbes de la région de Mitrovica, au nord du Kosovo, voire celle des Serbes de la Republika Srpska en Bosnie-Herzégovine ? Au nom de la raison d'Etat ? ». Mais il en tire une fausse conclusion : l’Europe doit s’impliquer encore plus dans les Balkans. Cette conclusion lui en fait inspirée par l’attitude des néo-conservateurs de la Maison blanche, qui précisément, après avoir soufflé sur les braises en poussant les Albano-Kosovars à la sécession, espèrent bien se décharger du fardeau balkanique sur leurs alliés européens, qui doivent stabiliser à tout prix les marches orientales de l’Empire.
Et dire que tout aurait pu se conclure autrement, par une paix plus équilibrée incluant une large autonomie pour le Kosovo, ou à la rigueur une partition négociée, sans l’ingérence lourde , ininterrompue depuis 20 ans, des impérialistes occidentaux…
Face à l’agression, la Serbie s’organise comme elle le peut. Des ministres du gouvernement de Belgrade devaient se rendre dans les enclaves serbes du Kosovo où l’on redoute que les extrémistes albanais ne renouvellent les pogroms de 2004, pour manifester leur solidarité avec les civils et leur refus de l’ingérence de la police de l’Union européenne. Le gouvernement devait rappeler son ambassadeur à Paris « en consultation » ainsi que ses diplomates dans toutes les capitales qui reconnaissent l’indépendance de Pristina. Le gouvernement serbe a annulé la déclaration d’indépendance albanaise aujourd’hui. Sans mâcher ses mots, le premier ministre Vojislav Kostunica, a rappelé l’attaque de l’OTAN contre la Serbie en 1999 : « La vérité sur les raison pour laquelle la Serbie a été sauvagement détruite par les bombes de l’OTAN en n’a jamais été aussi claire». Il a ajouté que « les intérêts militaires de l’OTAN se tiennent derrière la proclamation de ce faux Etat » et que « les Etats-Unis ont humilié l’Union européenne en la forçant à transiger avec les principes sur lesquels elle est fondée » - ce qui est une façon indulgente d’atténuer la responsabilité de Sarkozy, Merkel et Brown.
Les organisations communautaires serbes de France appelaient à une manifestation dimanche 17 février à 15 h à République à Paris.
Le Kosovo devient ainsi le théâtre d’un nouveau « conflit gelé » comme en connaissent Chypre, la Moldavie, la Géorgie, l’Azerbaïdjan. Dans l’ex-sphère soviétique, l’unilatéralisme occidental plae Moscou dans la position de pouvoir légitimement reconnaître l’indépendance des républiques autoproclamées d'Abkhazie, d'Ossétie du Sud et de Transnistrie, comme l’a reconnu samedi l'ex-premier ministre slovaque Jan Carnogursky.
Dans les Balkans, le spectre de la grande Albanie ressurgit puisque le premier ministre de Tirana vient de déclarer dans une interview au Frankfurter Allgemeine Zeitung du 16 février que la Kosovo et l’Albanie s’unifieront dès qu’ils auront tous deux intégré l’Union européenne – de quoi donner aussi des idées aux sécessionnistes albanais du Monténégro et de Macédoine.
Il est vrai que sans rattachement à l’Albanie, la Kosovo n’est pas viable et ne peut vivre que des subsides du contribuable européen. Déjà une conférence des donateurs de la Banque mondiale et de l’Union européenne est prévue pour l’été prochain.
Si la Turquie, l'Albanie et l’Arabie saoudite ont clairement annoncé leur intention de reconnaître le Kosovo, la Croatie et la Macédoine ont simplement fait savoir qu’elles suivront les orientations de l’Union européenne (laquelle, comme on l’a vu, reste divisée sur la question et en débattra lundi). En Bosnie Herzégovine, les représentants de la Republika Srpska ont annoncé qu’ils empêcheront une reconnaissance par le gouvernement de Sarajevo.