Europe et compagnie : Juncker, PPE, PSE, tentation fédérale (Un article du Nouveau "Bastille-République-Nations")
Des chrétiens-démocrates aux sociaux-démocrates européens (en passant par les eurochefs des Libéraux, des Verts et de ladite gauche « radicale »), tous l’affirment sentencieusement : le Conseil n’avait d’autre choix que de désigner le chef de file du PPE (droite) pour présider la future Commission. Ainsi, « la voix des citoyens européens aura été entendue », a par exemple très sérieusement affirmé l’Allemand Manfred Weber, nouveau président du groupe PPE à Strasbourg. En réalité, Jean-Claude Juncker, tout comme son alter ego social-démocrate, Martin Schulz, et a fortiori leurs petits rivaux proclamés, étaient totalement inconnus de 99% des électeurs (si ce n’est dans leur pays respectif). L’argumentation serait donc à se tordre de rire si elle ne recouvrait des intentions cachées.
Un an avant le scrutin, les partis européens en avaient convenu entre eux : chaque formation politique représentée au niveau de l’UE présenterait une tête d’affiche ; et le chef de file de la famille arrivée en tête aurait automatiquement vocation à présider le futur exécutif communautaire. Cette « politisation du scrutin » devait passionner les électeurs et les inciter ainsi à prendre le chemin des urnes. On sait ce qu’il en fut.
Mais le mécanisme – qui n’a aucune existence juridique, le traité de Lisbonne disposant simplement que le Conseil européen « prend en compte » le résultat du scrutin pour choisir une personnalité – est devenu, selon ses promoteurs, une « obligation démocratique » ! Le premier ministre britannique a pourtant raison de rappeler que M. Juncker, « n’a figuré sur aucun bulletin de vote, ne s'est présenté nulle part et n'a été élu par personne ». Dans ces conditions, cette procédure « déplace le pouvoir au détriment des gouvernements nationaux sans l'approbation des électeurs ».
Le but de cette manœuvre subreptice consiste à présenter petit à petit la Commission comme un « gouvernement européen », responsable devant un parlement et une majorité (laquelle majorité va d’ailleurs présentement être formée sur la base d’une « grande coalition » face à des « eurosceptiques » arrivés en force à Strasbourg). Bref, le modèle institutionnel fédéral. La tentation n’est certes pas nouvelle, mais M. Cameron – en l’occurrence soutenu par tous les partis anglais, eux-mêmes sous pression de la déferlante UKIP – a bien senti qu’un pas était franchi en ce sens. Le Monde (éditorial du 29/06/2014) se réjouit pour sa part de ce « tournant historique dans la construction européenne ».
Au même moment, François Hollande proposait une « convergence fiscale et sociale renforcée » et un programme d’investissement à cinq ans pour un montant global de 1200 milliards d’euros moyennant une capacité d’emprunt communautaire, ébauche d’un Trésor européen. La création d’un corps européen de garde-frontières est également d’inspiration fédérale. Pour sa part, le nouveau chef du gouvernement italien, qui prend la tête du Conseil pour six mois, a appelé à se mobiliser pour « les Etats-Unis d’Europe ».
Ceux qui entendent avancer dans ce sens sont cependant conscients de l’extraordinaire contradiction avec l’état d’esprit populaire qui monte de toutes parts en faveur de la récupération des prérogatives nationales. Comme l’avouait le 19 juin Laurent Fabius à propos de l’évolution du Pacte de stabilité, « il est hors de question de modifier les traités maintenant, puisque les Européens les rejetteraient ».
Reste dès lors la voie du fait accompli rampant. La nomination « automatique » de M. Juncker en constitue une illustration.