TSIPRAS est un voyou COMMUNISTE : la preuve, tout le monde le dit !
On a beau s’y attendre, cela pique toujours un peu les yeux: le traitement de l’affaire grecque par la presse française de ce week-end relève dans son immense majorité du parti-pris le plus éhonté. Tsipras est un « braqueur de banque » pour les Echos, un « maître chanteur » pour le JDD qui nous explique que c’est normal car il était communiste dans sa jeunesse et il l’est encore un peu maintenant. En effet, c’est bien connu, comme le disait une affiche de propagande des heures les plus sombres de notre histoire : « Si tous les voyous ne sont pas communistes, tous les communistes sont des voyous ». Le JDD précise d’ailleurs en Une : « La Grèce, c’est fini ! » comme Capri sans doute bien que Capri se trouve en Italie, Italie elle-même qui n’est pas à l’abri d’une secousse un peu forte en cas de Grexit, mais c’est une autre histoire. »
Le JDD toujours, en pages intérieures : « L’Europe lâche la Grèce ». C’est tout de même drôle ces questions de perspective : nous avions absurdement eu le sentiment qu’il s’agissait exactement du contraire. De même, il a paru au JDD utile de s’indigner du passé de Tsipras mais bizarrement il ne s’est pas intéressé au passé des autres protagonistes de cette histoire : pourquoi ne pas signaler par exemple, par souci d’équité, que Mme Lagarde, présidente du FMI qui brigue un deuxième mandat, est mise en examen depuis août 2014 dans l’affaire de l’arbitrage entre Tapie et le Crédit Lyonnais alors qu’elle était ministre des Finances, pourquoi ne pas rappeler que Jean-Claude Junker, président de la Commission Européenne, est l’ancien Premier ministre du Luxembourg qui a fermé les yeux sur le paradis fiscal qu’était son pays et connaissait forcément les accords fiscaux secrets entre le Luxembourg et 340 multinationales – dont Apple, Amazon, Ikea, Pepsi ou Axa – passés entre 2002 et 2010 comme l’ont révélé près de quarante médias internationaux.
Le même homme, aujourd’hui, demande aux Grecs d’avoir un système fiscal… mais un système fiscal qui ne s’en prenne pas trop aux riches tout de même. On est en droit de sourire, mais on ne sait plus si ce sourire doit être amer ou amusé. Quant à Mario Draghi, président de la BCE, pourquoi le JDD ne rappelle-t-il pas aussi que c’est un ancien de chez Goldman Sachs, vous savez, la banque à l’origine de la crise des subprimes de 2008 et surtout, pour ce qui nous intéresse, la banque qui conseilla à la Grèce l’utilisation de produits financiers dérivés pour masquer ses déficits. Bref, aujourd’hui, quand nos chers médias reprennent complaisamment l’image d’une Grèce shootée aux emprunts comme la dernière des droguées, pourquoi ne précise-t-on pas, à l’occasion, que c’est son ancien dealer qui est chargé de la cure de désintox ?
Mais qu’avait donc fait Tsipras, ce rouge sectaire, pour mériter une telle haine froide de la part de nos médias ? Il avait décapité des chefs d’entreprises au nom de l’islam ? Il avait fait fusiller les oligarques de Potamia, ce parti soi-disant de centre-gauche à qui l’UE fait les yeux de Chimène ? Il avait mis en prison Antonis Samaras, l’ancien chef de la droite conservatrice de Nouvelle Démocratie, reçu à Bruxelles comme un chef d’Etat alors que sa patrie est en danger?
Même pas. Tsipras a juste dit qu’il allait soumettre à referendum les propositions des « Européens » (je mets des guillemets par facilité : je suis moi-même européen mais je n’ai rien de commun avec ces technocrates non élus). C’est affreux, un communiste qui demande au peuple son avis ! Les bons esprits objectent que Tsipras devrait poser la question du maintien dans l’Euro : oui, c’est comme ça dans le Disneyland post-démocratique de l’UE, on explique à un chef d’Etat ce qu’il doit poser comme question puisque cette idée absurde de consulter directement son peuple lui est venue. On imagine, au passage, un JeroenDijsselbloem expliquer au Général de Gaulle : « Dites donc, mon petit vieux, votre referendum sur l’élection du président au suffrage universel, ça nous plaît pas trop, c’est du césarisme, ça… » Tsipras, lui, veut poser la question de l’acceptation ou non par le peuple grec des propositions de la Troïka. Si celles-ci supposent que la Grèce doive continuer sa tiers-mondisation pour rester dans l’euro, c’est à la Troïka de bouger, pas à la Grèce. Ou alors on finirait par croire que l’« Europe » veut surtout faire un exemple, parce qu’il s’agit d’un gouvernement de gauche et qu’il faut montrer aux autres (Podemos, par exemple) ce qui arrive quand on ne courbe plus assez l’échine…
La seule relative bonne surprise est venue de… DSK ! Eh oui, les voies de la raison, comme celles du Seigneur, sont impénétrables. Il a appelé les créanciers à prendre leurs pertes, comme on dit, à rééchelonner une partie de la dette et à supprimer l’autre qu’il reconnaît lui-même comme illégitime. Il sait de quoi il parle, il est à l’origine du premier plan de 2010 qui a uniquement servi à ce que les banques étrangères récupèrent leurs emprunts, et certainement pas à relancer l’économie grecque. En échange, la Grèce ne recevrait plus d’aide et redeviendrait maîtresse des méthodes et des choix budgétaires pour se tirer d’affaire. Au sein de l’UE ou pas.
C’est tout de même un peu plus digne, comme idée, que ce coup d’Etat au ralenti qui donne l’impression de voir s’écrire sous nos yeux un nouveau chapitre de la Stratégie du Choc de Naomi Klein, où il est expliqué que capitalisme et démocratie n’ont plus rien à voir dès que la démocratie contrarie le capitalisme.
Et nous en sommes-là, aujourd’hui, en Europe.
Jérôme Leroy