Tribune libre : quelle nouvelle Constitution ?
L’idée, juste et montante, d’une nouvelle Constitution pour la France, peut être un véritable marché de dupes permettant, après l’échec du Traité constitutionnel européen, de soumettre un peu plus le monde du travail à la domination du capital.
Les idées dominantes étant celles de la classe économiquement dominante, en l’état actuel du rapport de forces entre courant révolutionnaire, courant réformiste et courant réactionnaire, une nouvelle Constitution a peu de chance d’être fondamentalement différente de l’actuelle. D’autant que dans la dernière période, d’aucuns se sont évertués à faire croire qu’antilibéralisme était synonyme d’anticapitalisme (1).
Récemment, un camarade militant, retraité comme moi, m’expliquait que parce qu’en France aujourd’hui, plus personne ne voulait être ouvrier ou catalogué comme tel, la classe ouvrière avait disparu. En conséquence, il fallait savoir s’adapter, adopter une stratégie politique de rassemblement pour des petits pas, et arrêter de rêver Révolution. Et ce camarade demandait que l’on cessât de lui citer le passé, parce que c’est d’aujourd’hui qu’il s’agissait. Notre échange ayant lieu dans un train, au retour d’une magnifique manif à laquelle des éléments jeunes de la classe ouvrière avaient pris une place de choix, bénéficiait d’une écoute qui montra que les idées de mon interlocuteur étaient partagées.
Quand des camarades, qui n’ont pas économisé leurs forces dans le combat de classes, en arrivent à confondre conscience de classe et existence de la classe, à évacuer Thèses sur Feuerbach et Manifeste du Parti communiste (2), non seulement les errements actuels du PCF n’étonnent plus, mais dans ces errements est soulignée la lourde responsabilité des dirigeants qui ont fait disparaître l’outil de formation théorique des militants, dont le Parti s’était doté à Draveil.
Alors que la tendance du capital à faire de toute activité humaine une activité salariée ne se dément pas, élargissant sans cesse la classe ouvrière par l’intégration de nouveaux producteurs, de plus en plus qualifiés, la classe ouvrière aurait disparu ? Qui donc produit la plus-value permettant l’explosion des profits ? On n’est pas obligé d’avoir les mains dans le cambouis pour être – objectivement – de la classe ouvrière (3). Mais il ne suffit pas que la classe ouvrière existe pour qu’elle joue son rôle historique de libération de la société toute entière, il faut aussi qu’elle ait conscience d’elle même en tant que classe. Or, passer de la classe en soi, à la classe pour soi, ne doit rien au spontané. Qui va l’aider dans ce mouvement si, pour les militants qui éveillaient à la conscience de classe, elle n’existe plus ?
On peut toujours gloser pour savoir si un parti, qui n’est plus la rencontre du mouvement ouvrier spontané et d’une théorie révolutionnaire, peut encore se dire communiste, mais un tel débat me semble byzantin quand, après les lycéens et étudiants contre le CPE l’an passé, la jeune classe ouvrière prend une place remarquable dans la manifestation des cheminots du 8 février. Pour moi, toujours adhérent du PCF depuis 1963, le seul débat qui vaille, c’est celui qui vise à se donner les moyens d’aider ces forces montantes à prendre conscience d’elles-mêmes, pour que la Constitution d’une 6e République française puisse mettre le capital au service du peuple.
En ce sens, il ne me semble pas possible de souhaiter une nouvelle Constitution pour la France sans préciser que l’enjeu, pour les forces révolutionnaires, c’est de prendre l’État pour en casser les rouages qui le font fonctionner au service du capital, afin de le mettre au service du plus grand nombre. Ce qui (certains semblent l’avoir oublié) est incompatible avec le traité de Maastricht.
Jean-François
1. Michel Onfray, philosophe, fondateur de l’Université populaire, clarifie : « On peut donc être, ce qui est mon cas, antilibéral et défenseur du capitalisme. » Interview au Nouvel Observateur, semaine du 25 janvier 2006.
2. « Les classes moyennes, petits industriels, petits commerçants, artisans, paysans, tous combattent la bourgeoisie pour sauver leur existence de classes moyennes du déclin qui les menace. Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices ; bien plus, elles sont réactionnaires : elles cherchent à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire. Si elles sont révolutionnaires, c’est en considération de leur passage imminent au prolétariat : elles défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels ; elles abandonnent leur propre point de vue pour se placer sur celui du prolétariat. » (Marx et Engels, 1848, Manifeste du Parti communiste, vers la fin du chapitre 1).
3. L’appartenance à une classe est une réalité objective indépendante de la conscience qu’on en a. Elle se détermine, notamment, par la façon dont on obtient ses moyens d’existence (salaire ou profit) et la position occupée par rapport aux moyens de production (propriétaire ou non).