Pluie de CANDIDATS... [le blog de Descartes]
La France a un incroyable talent. Penses-y : en Grande-Bretagne, lors du départ de Cameron, il n’y eut que deux personnalités à s’estimer suffisamment qualifiés pour occuper la première place. Tous les autres – y compris ceux qui avaient mené la campagne victorieuse pour le « Brexit » - se sont désistés, ne s’estimant pas suffisamment représentatifs pour pouvoir mener le pays. En Allemagne, alors que l’inamovible Angela Merkel semble rencontrer des difficultés, la classe politique s’interroge : ou trouver un candidat digne de s’installer à la Chancellerie fédérale ? Chez nous, rien de tel. Notre classe politique regorge au contraire de personnalités tout à fait capables de diriger et de représenter la France. Ce sont elles qui le disent, et s’agissant d’hommes et femmes de grande expérience, on ne peut que les croire. Comment ne pas voir en Nadine Morano la digne héritière – que dis-je, l’égale – du général De Gaulle ? Qui oserait dire que Marie-Noelle Lienemann n’est pas au niveau de François Mitterrand ?
Tous ces candidats n’ont rien à dire – outre le fait qu’ils veulent le poste – mais ils sont décidés à le dire haut et fort. Et chacun ira de son gadget : Pour le moment, c’est Bruno Le Maire qui gagne la course avec son « programme de mille pages ». Il faut croire que Bruno n’était pas très attentif à l’ENA, puisqu’on martèle aux élèves de cette institution que rien ne vaut l’esprit de synthèse. Comme disait un général américain, « si j’avais eu plus de temps, j’aurais fait plus court ». Mais d’autres lui font une rude concurrence : Mélenchon est son « tour de France des insoumis », Macron est ses « porte à porte » avec T-shirts et paillettes. En fait, tout est bon pour attirer le chaland. Tout, sauf le bon vieux débat sur les questions de fond. Ca fait poussiéreux, ringard, has been…
Il fut un temps où les gens avaient un minimum de conscience de leurs limites. Des hommes politiques de premier niveau, dont le parcours et la personnalité les mettait bien au dessus d’un Didier ou d’un Hamon ont renoncé à se présenter parce qu’ils étaient conscients que la fonction était trop grande pour eux. Bien de gens ont rêvé devant leur miroir de devenir président de la République. Mais avant l’invention de Facebook, les gens avaient le bon sens de garder ces rêves pour eux, au lieu de les infliger au reste de la collectivité. Il est vrai que François Hollande a donné le mauvais exemple. Candidat improbable avant de devenir président incapable, on peut dire qu’il a mis la barre très bas. Morano, Lienemann, Didier ou Hamon ne sont pas à côté de la plaque lorsqu’il se disent « s’il le peut, pourquoi pas moi ? ». Et ils ont raison : ni les uns ni les autres ne feraient pire que Hollande. Mais tout de même…
Vous allez dire que je radote, mais je vais une fois encore étaler mes souvenirs pour le bénéfice d’une jeunesse qui ne m’a rien demandé, mais qui ferait bien de me lire. Il fut un temps – pas si lointain, en fait – où il existait en France des choses qui s’appelaient des « partis politiques ». Oui, je sais, des partis il y en a toujours, mais ils ne sont qu’un reste du passé. Des ruines magnifiques mais ruines quand même. Car contrairement aux partis d’aujourd’hui, les partis d’hier étaient peuplés de militants. Et c’est quoi un militant ? C’est une personne qui consacre une partie de son temps libre à assister à des réunions interminables, à lire des documents souvent fort mal écrits, à distribuer des tracts, à coller des affiches, à assurer des permanences, à discuter politique et à se faire engueuler par son conjoint parce qu’il est arrivé en retard, parce qu’il n’est pas là le week-end, bref, parce qu’il met le Parti avant la famille. Et tout ça, sans autre rétribution que la reconnaissance des autres militants, de certains de ses concitoyens et – pour une toute petite minorité – l’accès à des fonctions électives ou exécutives rémunérées (1).
Mais pour toutes leurs peines, ces militants gagnaient quelques droits : celui de discuter et de choisir le projet défendu par leur parti, et celui de sélectionner le candidat qui devait le porter. Ce droit était à eux, et à eux seuls. Et si le citoyen lambda voulait avoir son mot à dire à l’heure d’élaborer projets et candidatures, il n’avait qu’à prendre sa carte dans un parti et faire le boulot qui va avec. Car en ce temps là, les partis politiques étaient des corps vivants. Ils avaient des projets, qui étaient âprement discutés par une base militante que les directions écoutaient avec une grande attention. Parce que même si les processus démocratiques internes laissaient beaucoup à désirer, le militant pouvait toujours voter avec ses pieds. Et que les partis dépendaient d’eux pour coller les affiches, apporter les ressources financières et tenir les permanences. Mais surtout, à une époque ou les sondages étaient encore chers et les médias plus restreints, le corps militant était pour les hommes politiques à la foi un instrument de connaissance de l’état de l’opinion et un relais.
Bien sur, il y eut des excès. La discipline de parti et le contrôle que celui-ci exerçait sur les élus a conduit à un régime de négociation permanente qui fit l’impuissance de la IVème République. C’est cette logique qui a conduit De Gaulle à se dresser contre « le régime des partis », alors que le régime d’assemblée de la IVème République avait rendu les partis tout-puissants, et cela se manifestait par une logique dans laquelle on faisant passer l’intérêt du Parti devant l’intérêt général. Mais mongénéral n’a jamais voulu la disparition des partis politiques, au contraire. Il voulait simplement des institutions dans lesquelles le pouvoir des partis soit contrebalancé par un arbitre ayant pour lui une légitimité acquise en dehors des partis par la grâce du suffrage universel, et ayant devant lui un mandat suffisamment long pour échapper aux contingences du quotidien. Ce que De Gaulle ne pouvait pas prévoir, c’est que l’individualisme libéral-libertaire allait vider les partis politiques de toute substance en les transformant en clubs où les élus croisent ceux qui aspirent à l’être pour communier dans la seule religion qui vaille, celle de la conservation des postes et des avantages. Le militant a largement disparu de l’horizon politique et le citoyen est devenu un « client » (2) qui choisit un vote comme on choisit un hôtel ou une barre chocolatée : en fonction du dépliant ou de l’emballage, et sans engagement de ne pas suivre demain une meilleure offre.
Car c’est bien là le problème. Les partis politiques sont aujourd’hui des corps morts. Ils ne produisent rien ni intellectuellement, ni politiquement. Ce ne sont que des incubateurs d’ambitions personnelles. On n’y discute plus de politique, tout au plus tactique. Les questions de fond n’intéressent personne. Quelle est la dernière fois que vous avez vu un congrès, une convention, une université d’été, une réunion de quelque nature que ce soit ou l’on ait discuté d’un projet, qui ait produit un document qui serve de référence ? Congrès et conventions sont devenus en fait un prétexte pour le grand discours du non moins grand dirigeant, discours fabriqué avec quelques amis et surtout quelques communicants pour « cibler » au mieux les différentes tranches de l’électorat.
Vous noterez d’ailleurs que rares sont les réunions de ce type qui sont réservées aux militants. La plupart sont publiques et ouvertes à tous. De ce fait, tout désaccord, toute différence d’opinion qui pourrait s’exprimer se trouverait immédiatement sur la place publique et alimenterait les commentaires sur les ambitions d’untel ou d’untel. Comment dans ces conditions pourrait-il y avoir de véritables débats, de véritables confrontations d’idées ? Il serait temps de comprendre que la transparence absolue tue absolument le débat. La liberté de parole est intimement lié à la confidentialité de ce qui est dit et de celui qui le dit.
L’affaiblissement des partis a profondément transformé notre paysage politique, devenu un lieu de pure confrontation des ambitions personnelles. Le mécanisme des « primaires », qui soumet la désignation des candidats non pas aux militants engagés mais à des « clients » qui n’ont plus qu’à mettre quelques euros dans la tirelire et signer une déclaration qui n’engage pas à grande chose pour participer au tirage. Ce sont eux qui feront la légitimité du candidat, et non les militants. Dans ce contexte, quel intérêt y aurait-il à discuter d’un projet au niveau du parti puisque rien n’engage les candidats à le porter ? A quoi sert de militer, sauf à avoir l’honneur de coller des affiches et de distribuer les tracts d’un candidat qu’on n’aura même pas choisi ?
Le projet n’a d’ailleurs plus aucune espèce d’importance. Aujourd’hui, on peut se présenter comme candidat tout en laissant le projet pour plus tard, voire pour jamais : c’est ce que fait Jean-Luc Mélenchon en mettant en place une procédure d’élaboration du projet qui n’a pour le moment tenu aucun des jalons annoncés (3). Celui qui exprime peut-être le mieux cette situation reste quand même Manuel Valls, qui explique que si la gauche va à l’élection divisée elle perdra et en tire argument pour un candidat unique… alors que de toute évidence la gauche est profondément divisée sur les questions de fond. Quel projet pourrait porter ce « candidat unique » en dehors de celui de gagner l’élection ?
La primaire, c’est la prime au conformisme. Un projet audacieux porté par un homme convaincu peut éventuellement convaincre des militants politiquement formés, puis à travers eux percoler dans la société. Mais un tel projet ne convaincra jamais les « clients » d’une primaire, politiquement peu formés et donc esclaves de la « pensée unique ». A chaque fois, la primaire a produit le même résultat : elle a bénéficié au plus médiocre, au plus consensuel des candidats. Royal en 2007, Hollande en 2012. A droite, on s’achemine – sauf surprise – vers la victoire d’Alain Juppé, troisième couteau de l’ère chiraquienne qui n’a pas exprimé une idée originale en cinquante ans de vie politique. Mais la primaire n’est qu’un symptôme, elle ne constitue pas le véritable problème. Avec ou sans primaire, l’égo-politique domine le paysage. Macron et Mélenchon, malgré leurs différences, ont un point commun : dans les deux cas, l’organisation qu’ils ont créé est à leur service, et pas l’inverse. Ils n’en sont pas les représentants, mais les propriétaires. Ce sont eux, et non leurs militants, qui décident de tout : programme, campagne, candidat. Quant à Montebourg, il se présente sur son propre projet… tout en restant membre du Parti socialiste, démontrant ainsi par l’absurde combien les partis sont devenus des coquilles vides.
Bien entendu, il y aura des candidats qui – par électoralisme ou par conviction, peu importe – poseront des vrais débats. Mais avec la multiplication à l’infini des candidats charlots et la tendance à la banalisation qui caractérise nos médias, ils seront rapidement noyés sous les quolibets et les approximations. Le discours de Sarkozy sur l’assimilation – il y a des jours ou je me dis qu’il doit lire mon blog… - est un bon exemple. Mais au lieu de saisir l’opportunité pour un vrai débat, la meute des candidats a préféré aboyer dessus, d’autant plus qu’étant d’accord sur l’essentiel, les candidats à la primaire sont forcés d’amplifier voire d’inventer des désaccords pour se différentier les uns des autres.
Tout ça ne peut que profiter au FN, seule organisation parmi les partis politiques de masse à présenter aujourd’hui un candidat devant sa désignation aux militants et à eux seuls, et qui porte un projet qui n’est pas purement personnel, mais qui résulte – au moins symboliquement – d’une délibération collective. Il est intéressant de noter par exemple que, consciente de la fracture qui traverse le FN sur la question de l’Euro, ce parti a organisé une réunion de son conseil national consacrée à cette question, réunion fermée où, si l’on croit les participants, le débat a eu lieu sur le fond. A contrario, on ne voit pas trace de ce genre de débat dans les instances dirigeantes des autres partis, et lors du dernier congrès du PCF en juin, la direction a même fait en sorte d’interdire tout débat sur une éventuelle sortie de l’Euro. Il est vrai que le congrès était retransmis en direct, et que cela fait mauvais genre de constater que la ligne du Chef est contestée par la base.
Ceux qui auront regardé dimanche 11 septembre le passage de Marine Le Pen sur TF1, puis le passage de Juppé sur France2, n’ont pu que constater combien le contraste était cruel entre la dirigeante sûre de ses arrières débitant un programme construit, et le dirigeant cherchant à plaire à tout le monde et ne pouvant même pas se réclamer du soutien de ses compagnons. D’un côté, le « nous », de l’autre, le « je »… Parti conservateur, le FN a « conservé » une conception à l’ancienne de ce qu’est un parti politique. Et ça paye, parce que les français sont un peuple politisé que la transformation du politique en spectacle avec ballons et paillettes à l’américaine rebute. Même Sarkozy a fini par s’en apercevoir, qui remplace de plus en plus le meeting-show par de véritables réunions politiques. A l’inverse, on voit Mélenchon faire une campagne fondée sur un logiciel importé d’outre atlantique, dont l’esprit est de remplacer la logique du militant engagé et discipliné par celle des « amis » et des « communautés » façon Facebook qui contribuent à la campagne comme ils veulent quand ils veulent. Si Mélenchon croit qu’il gagnera des voix en faisant appeler les électeurs indécis par ses « amis » pour leur lire au téléphone un argumentaire, comme cela se fait outre-atlantique, je pense qu’il se fout le doigt dans l’œil.
Il y a un autre facteur qui rend cette campagne étrange. C’est qu’en pratique, il n’y a qu’une seule alternative véritable. D’un côté, il y a le camp européiste. Peu importe qu’ils soient pour cette Europe, pour une « autre » Europe, pour « l’Europe libérale » ou « l’Europe sociale », pour un plan A, B, ou X. Leur choix est de penser que l’avenir de la France se trouve dans une structure supranationale, à qui les pouvoirs seront délégués et dont les choix mutualisés s’imposeront à tous, que cela leur plaise ou non. En attendant bien sur le jour radieux ou cette Europe aura la pleine souveraineté. Et de l’autre côte, il y a ceux qui pensent que l’avenir de la France se trouve dans l’exercice plein et entier de la souveraineté nationale, ce qui n’exclut pas bien entendu des accords entre états souverains pour s’engager sur des projets communs.
Aujourd’hui, c’est ce choix capital qui est déterminant dans pratiquement tous les domaines. Or, ce choix est fort mal posé. Si la question divise la plupart des organisations politiques, la quasi-totalité des candidats présents aux différentes « primaires » penchent pour le premier terme de l’alternative, alors qu’il ne faudrait pas grande chose pour que l’opinion publique bascule dans l’autre sens – et que les couches populaires y ont déjà très largement basculé. Dans ce contexte, Marine Le Pen risque d’être le seul et unique candidat en mesure de prendre la tête du camp eurosceptique, puisque personne à gauche n’est capable de prendre position clairement sur cette question, et que l’audience de Dupont-Aignan reste honorable mais confidentielle. Le FN sera dans une position idéale pour drainer le vote de ceux qui estiment qu’il y a là un choix fondamental et qui détermineront leur vote en fonction de cette question. Et ça peut faire beaucoup de monde. Quel résultat Marine Le Pen ferait-elle si elle promettait un référendum sur un « Frexit » ? Je n’ose faire des hypothèses…
Descartes
(1) Pour ceux qui ne l’auraient pas vu, je recommande le magnifique film « Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes ». Croyez-moi, le personnage joué par Josiane Balasko est à peine caricatural. J’en ai connu, des militants communistes qui ont donné littéralement « leur vie au Parti », sans jamais rien demander en échange. Et je sais que c’était similaire – même si c’était à un moindre degré – chez les gaullistes ou les socialistes.
(2) « Client » que Robert Hue et ses amis ont théorisé sous la forme du « parti outil », dont les militants trimeraient non pas pour soutenir un projet élaboré en commun, mais pour se mettre au service du « client » et lui permettre de faire avancer SES revendications, de réaliser SES projets. L’échec de la « mutation » à la sauce Hue vient du fait qu’il s’est révélé difficile de trouver des militants disposés à donner leur vie pour que d’autres fassent ce qu’ils veulent. La philantropie a ses limites, même chez les communistes.
(3) Selon le texte publié sur le site JLM2017, une première mouture du programme devait être disponible avant l’automne. L’automne commence aujourd’hui, et on ne voit rien venir… d’ailleurs, dans ses derniers discours Mélenchon, qui sur son site promettait une « révision en profondeur » de « L’Humain d’abord », semble maintenant dire que son projet reprendra pour l’essentiel ce document...
SOURCE: