Aujourd’hui MERCREDI 19 OCTOBRE 2016 TOUS à AMIENS avec les 8 de GOODYEAR !
Mickaël Wamen (CGT Goodyear) : « Se battre d’abord pour les emplois, seule garantie d’avenir pour nos gamins »
Jonathan Lefèvre
Juste avant de participer au meeting de solidarité avec les travailleurs de Caterpillar Gosselies à ManiFiesta, le syndicaliste français Mickaël Wamen est passé au stand de Solidaire. L’occasion de revenir avec lui sur la criminalisation des mouvements sociaux. Un sujet qu’il connait (trop) bien.
Du 6 au 7 janvier 2014, le DRH et le directeur de la production de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord (Picardie, Nord de la France) sont retenus dans les bureaux pendant 30 heures par des salariés qui veulent préserver leur outil de travail.
Deux ans plus tard, le verdict du tribunal correctionnel tombe. Et il est historiquement violent : huit anciens travailleurs (dont sept encartés à la CGT) sont condamnés à 24 mois de prison, dont 9 ferme. Explications du chef de file des « 8 de Goodyear ».
Mickaël Wamen. En 2007, Goodyear a décidé de fermer notre usine à Amiens. Faut rappeler que Goodyear est le leader mondial de pneumatiques. Il fait 2,5 milliards de profits après impôts et il verse 800 millions de dividendes aux actionnaires. Il décide donc de fermer notre entreprise et nous on décide de ne pas le laisser faire. Pendant sept ans, on a empêché de fermer. Et parce qu’on s’est battus pour empêcher la fermeture et qu’on a créé des liens avec d’autres syndicalistes en France, on a été condamnés le 12 janvier de cette année à 24 mois de prison, dont 9 mois ferme. On a donné des idées à d’autres : il ne faut pas se battre pour avoir du fric mais pour garder son emploi. Et ça, ça ne passe pas… Mais l’emploi, c’est la seule garantie d’avenir pour nos gamins.
N’est-ce pas une première dans l’histoire de la Ve République ?
Mickaël Wamen. Si. Jamais on a menacé des syndicalistes d’aller en prison. On a fait appel de la décision. L’appel est suspensif, c’est ce qui fait que je suis devant vous. On va partout en France pour créer des comités de soutien pour faire en sorte que les 19 et 20 octobre, à Amiens, il y ait un maximum de monde qui vienne nous soutenir lors du jugement de l’appel. Cet appel, il doit nous apporter la relaxe complète et définitive sur une affaire qui n’a pas lieu d’exister : les plaignants, les deux cadres et la direction de Goodyear initialement, ont retiré leur plainte. Il n’y a plus de plaignants ! Là aussi c’est une première, car normalement, quand il n’y a plus de plaignants, il n’y a plus de poursuites. Là, c’est le parquet qui nous poursuit. Le parquet, c’est l’État. C’est un jugement politique.
En quoi est-il politique ?
Mickaël Wamen. Il arrive dans le contexte de casse à laquelle on assiste tous les jours, les fermetures d’usine, des délocalisations… Et surtout cette loi Travail qui vient anéantir tout le Code du Travail, ce n’est pas une simple modification à la marge d’un article du Code. On éclate tout ce qu’on a connu et on repart sur des bases hallucinantes. Il n’y a plus rien pour protéger les salariés. Dans ce contexte, le gouvernement avait besoin de faire passer un message très fort dès le départ du mouvement contre la loi Travail. On a payé pour tout le monde. Depuis, en plus de la condamnation des 8 de Goodyear, il y a des travailleurs, simples partisans d’un parti politique ou d’une organisation syndicale, qui participent au mouvement social et qui se font embarquer par les flics. Certains sont en prison au moment où je vous parle. On a des camarades en France qui purgent des peines de prison ferme car ils étaient sur des piquets de grève ou dans des manifestations. On dit qu’ils ont eu un comportement violent face aux forces de l’ordre. Ce qui est complètement faux. On a des images qui prouvent le contraire. On est dans un contexte de criminalisation de l’action syndicale.
Malgré tout, participez-vous encore au mouvement contre la Loi Travail ?
Mickaël Wamen. Oui, j’étais le 15 septembre (jour d’action nationale, NdlR) à Paris. Il y avait beaucoup de monde. S’il y avait des manifs tous les jours, j’irais tous les jours. Le prochain mouvement en France, ce sera le 27 septembre (l’interview a été réalisée le 17 septembre, NdlR) au tribunal de Bobigny (banlieue parisienne, NdlR) car nos camarades d’Air France risquent du lourd aussi. Le gouvernement en fait une affaire d’État. La chemise arrachée occulte les 2 900 suppressions d’emploi.1 Il y a donc beaucoup à faire et il faut être à tous les rendez-vous car ils sont tous importants. Il faut arriver à gagner contre cette Loi Travail. Partout où elle est passée en Europe, elle fait des dégâts terribles. Elle crée plus de misère sociale, plus de dumping social et elle ne crée pas du tout d’emplois. Ceux qui disent ça se moquent de nous.
Comment lutter contre la Loi Travail, en France comme en Belgique ?
Mickaël Wamen. Il n’y a que la rue qui peut faire reculer un gouvernement. Malheureusement, aujourd’hui en France, la présidentielle est en train de prendre une place trop importante. Il ne faut pas qu’on fasse croire aux gens qu’on va tout changer avec un bulletin de vote. On nous laisse croire que c’est une démocratie mais, si on prend le quinquennat d’Hollande, par exemple, entre ce qu’il a promis et ce qu’il a fait, on voit qu’il y a une marge terrible. Il a fait l’inverse de ce qu’il avait promis. Du moins pour les salariés car, pour les patrons, c’est une autre histoire. Mais quand il disait que son ennemi c’était la finance, ou il s’est complètement trompé ou on comprend mal…
Mais la présidentielle ne va pas occuper toute la scène car il y a, socialement parlant, des choses très intéressantes. La Loi Travail a ouvert une nouvelle brèche sociale et on s’est vite rendu compte, le 14 juin, qu’on était capable de rassembler énormément de personnes dans la rue (ce jour-là, un million de personnes ont participé à la manifestation nationale contre la Loi Travail, NdlR). Ça donne envie de recommencer.
Comment voyez-vous la reprise du mouvement social cet automne ?
Mickaël Wamen. J’y crois à fond. Ce n’est pas facile d’aller convaincre les gens d’aller dans la rue évidemment, mais 70 % des Français sont contre la Loi Travail. Ils ne sont pas, encore, tous dans la rue, il faut prendre le temps d’expliquer, de mobiliser, etc. Mais il faut continuer à prendre la rue car à un moment, il y aura un facteur déclenchant, la petite étincelle qui fera qu’on va vraiment y arriver.
Et il y a des précédents : en 1995 (mouvement contre une réforme des retraites et de la Sécurité sociale, NdlR), en 2006 (contre le Contrat première embauche (CPE), une précarisation des emplois pour les jeunes, NdlR)… Des lois ont été votées, adoptées, mais n’ont jamais vu le jour. Parce qu’on était nombreux dans la rue. Faisons confiance à la rue.