LETTRE OUVERTE À PIERRE LAURENT (par Caroline ANDRÉANI, membre du CN du PCF]
Mon cher Pierre,
Je croyais que le succès phénoménal des « Lundis de la gauche » aurait refroidi tes ardeurs. Que nenni ! Tu persévères avec une pétition au titre provocateur : « Vivement la gauche ». Un tout petit appel de quelques lignes qui résume à lui seul les errements de notre ligne politique, et surtout la confusion dans laquelle nous nous sommes collectivement plongés.
Et si je dis « tu », c’est que cet appel semble avoir été décidé en très petit comité. Même si je ne suis plus très assidue au Conseil national, il me semble qu’au dernier CN (1), ni toi ni tes lieutenants ne l’aviez évoqué. Je n’ose pas croire qu’il serait né, miraculeusement, des suites de la « restitution » de la « grande consultation » du 8 octobre.
Tu connais la maxime : « Errare humanum est, perseverare diabolicum ». L’entêtement est diabolique… S’il y a une chose que nous, communistes, sommes encore capables de faire, c’est bien de persévérer dans l’erreur. Nos résultats électoraux en baisse constante depuis les années 80 en sont la preuve irréfutable.
Ah, la persévérance ! Je me rappelle encore, Pierre, de ton frère Michel, au moment des collectifs antilibéraux (2),qui expliquait qu’il fallait « jouer la gagne », que le grain de sable s’appelait Besancenot, et qu’une unique candidature de gauche (à l’époque, nous pensions que celle de Marie-Georges Buffet allait naturellement s’imposer…) pourrait faire un score à deux chiffres.
Aujourd’hui, dans une situation politique renouvelée, nous persévérons. Une candidature unique de la « gauche d’alternative » pourrait faire un score à deux chiffres. Sauf que le grain de sable s’appelle Mélenchon, et qu’il aurait plutôt la taille d’un caillou (oserais-je dire d’un pavé). Bien entendu, l’appel agite les épouvantails que sont la droite et l’extrême droite. Ce serait dommage de ne pas avancer l’argument de culpabilisation.
« Vivement la gauche ». Cela ne devrait pas me surprendre. Et pourtant, on peut toujours être surpris. Pierre, est-ce qu’il t’arrive de sortir de Fabien, de pousser la porte du bunker ? Toi et ta garde rapprochée, s’entend. Est-ce que vous mesurez la réalité de la situation politique ? Est-ce que vous croyez vraiment que les électeurs sont prêts à signer un tel appel alors qu’ils associent naturellement la « gauche » au Parti socialiste ?
A l’occasion de cet appel, vous avez inventé un concept d’une rare souplesse, la « gauche d’alternative ». Je croyais avoir entendu à Fabien qu’il n’y avait pas deux gauches, et qu’il fallait bien se garder de dire que les socialistes n’étaient plus à gauche pour ne pas se couper de leurs électeurs. N’y a-t-il pas là une contradiction ? Et crois-tu vraiment qu’il sera facile de vendre aux communistes une alliance avec les Verts, qui méprisent et écrasent les classes populaires quand ils sont au pouvoir dans les collectivités territoriales ou au gouvernement ? Ou avec Christian Paul et les « frondeurs » qui sont restés au Parti socialiste, avalisant sa politique antisociale ?
Cet appel dénonce la finance et le Medef, mais surtout pas l’Union européenne. J’ai entendu avec un certain étonnement mon secrétaire de section expliquer que ça ne servait en définitive à rien de s’attaquer à l’Union européenne, parce qu’elle n’était qu’un instrument du capital. Voilà un argument nouveau dans la bouche d’un communiste. Malheureusement, c’est une vieille lune venue de… Lutte ouvrière. Sommes-nous à ce point de déliquescence idéologique qu’il faille emprunter à nos camarades trotskistes une argumentation pour le moins sujette à caution ?
Mais je m’égare. Nous, communistes, avons des objectifs bien plus élevés : nous voulons bâtir l’Europe sociale. Et comme si ça ne suffisait pas, nous voulons réorienter la politique de la BCE. Avec de tels objectifs, ce serait du temps perdu que de remettre en cause la construction européenne !
Ma dernière réunion de section, dans un département qui a longtemps été communiste, la Seine-Saint-Denis, m’a profondément interrogée. La pédagogie du renoncement fonctionne à plein dans le parti. Sur une vingtaine de camarades, tous sauf moi se sont prononcés pour la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Avec des arguments qui n’ont rien de rassurant quant à l’état d’esprit des militants communistes. Sais-tu pourquoi, in fine, des camarades qui tous critiquent Mélenchon se rallient à sa candidature ? En désespoir de cause. Parce que:
1- ils sont aujourd’hui persuadés qu’un communiste ne peut pas être un candidat de rassemblement
et 2- que le Pcf n’a plus dans ses rangs les ressources suffisantes pour trouver un candidat qui tienne la route. Soit dit en passant, ce n’est pas très flatteur pour notre direction.
Félicitons-nous d’avoir des militants à ce point lucides qu’ils soient capables de choisir la peste plutôt que le choléra.
En définitive, l’opération « Vivement la gauche » vise avant tout à empêcher l’émergence d’une candidature communiste. Surtout si elle ne provient pas du cénacle, surtout si elle est issue de province, surtout si elle vient du monde du travail. Vous soutiendrez Mélenchon comme la corde le pendu, au nom de l’unité du Parti. Parce qu’évidemment, l’unité du Parti, la seule qui vaille, c’est avec les soutiens de Mélenchon.
Comme nous sommes de grands stratèges, nous privilégions les élections législatives aux élections présidentielles. Comment imaginer que des candidats communistes auront une quelconque visibilité alors que leur parti sera absent de l’élection présidentielle ? Et surtout, comment peut-on réussir le tour de force de faire gober ça aux camarades ? Le légitimisme, autant que le renoncement, tue notre parti. Mais nous avons la parade, celle que nous ressortons à chaque défaite électorale depuis 20 ans : « Les électeurs n’ont pas compris notre stratégie ». Ils ne l’ont pas comprise ou ils l’ont sanctionnée ? Il serait temps de se poser les bonnes questions.
Tout faire, absolument tout pour conserver des élus, nous renvoie à chaque élection dans le giron des socialistes. C’est une stratégie de court terme, et elle ne fera pas recette en 2017. Car le Parti socialiste aura bien d’autres chats à fouetter que sauver 15 députés communistes et apparentés, crois-moi ! Par contre, tous ceux qui depuis cinq ans subissent la politique de Hollande et Valls ne sont pas prêts de nous pardonner notre inféodation systématique au Parti socialiste.
Et nous revenons à notre problématique de départ : « Vivement la gauche ». Mon cher Pierre, si tu veux empêcher la disparition du parti, il va falloir faire autre chose que de rester en cercle fermé. Il va falloir sortir, rencontrer ces classes populaires qui n’en finissent pas de souffrir des politiques d’austérité imposées par l’Union européenne et ses amis de la finance. Il va falloir aussi tenir un autre discours que le salmigondis qui sert aujourd’hui de ligne politique au parti.
S’il y a une chose positive à retenir de l’aventure Mélenchon, c’est celle-ci : seul un discours clair et porteur de ruptures peut convaincre les classes populaires de renouer avec la politique. Je sais que certains dans nos rangs qualifient cela de populisme. Les manifestations contre la loi El Khomri, la résistance à l’état d’urgence (que, soit dit en passant, nos députés ont voté parce que « sinon, les gens n’auraient pas compris », véridique !), la solidarité active avec les migrants et avec les Rroms, les combats contre les fermetures d’usines ou les luttes pour la défense des services publics, montrent chaque jour qu’il faudrait une étincelle pour que le peuple redevienne un acteur de premier plan de la vie politique. N’est-ce pas le rôle d’un parti véritablement communiste que d’aider à cela ?
Si je peux te donner un seul conseil, Pierre, c’est celui-ci : renoue avec le communisme. Comme le capitalisme, il a de beaux jours devant lui.
Caroline ANDREANI
Section de Pantin, fédération de Seine-Saint-Denis
Membre du Conseil national
(1) Les 24 et 25 septembre.
(2) Élection présidentielle de 2007.
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