Mon ami et camarade Gaston Plissonnier [un article de Danielle Bleitrach]
de gauche à droite : Marie-Claude Vaillant-Couturier, Angela Davis, Gaston Plissonnier, Valentina Terechkova (cosmonaute soviétique), et Georges Marchais (Photo : Jean Texier/Mémoires d’Humanité - Archives départementales de la Seine-Saint-Denis)
Un article de Causeur met l’accent sur le fait que le cadre « déchemisé » d’Air France était pierre Plissonnier, fils de Gaston et Juliette. Je n’interviendrais pas sur le fond de l’article et sur Pierre Plissonnier lui-même, sa carrière et ses prises de position personnelles, je n’ai aucune compétence sur le sujet. En revanche j’ai bien connu et eu beaucoup d’amitié pour Gaston Plissonnier et il y a des choses que je ne laisserai pas dire de lui. Il s’avère que j’ai été la plume de ses mémoires- une vie pour lutter- et que par amitié il tenait à ce que cela soit noté. Je garde un souvenir attendri du travail avec lui, de sa volonté de ne laisser transparaître aucun secret de l’internationale. Nous discutions des heures, il ne me cachait rien, mais m’interdisait de rapporter ce qu’il m’avait confié. Il m’arrivait d’opérer des montages qui étaient révélateurs, mais il les débusquait et me disait « Danielle, ce n’est pas à moi à trahir des gens qui méritent notre respect ! ». Ainsi en a-t-il été de son refus de raconter la part qu’il avait pris au transfert d’Alvaro Cunhal de la région parisienne au Portugal pour qu’il arrive de paris dans les troupes révolutionnaires victorieuses. Mais également dans son refus obstiné de dire ce que tout le monde savait : la demande de Duclos de laisser paraître l’Huma aux autorités allemandes. Notre travail en commun fut amical mais parfois je protestais, je voulais qu’il raconte ce qu’il me disait. Il protestait : « Non Danielle, ces gens ont accompli une erreur mais toute leur vie a été digne, je ne les trahirai pas. » Et je ferai comme lui, parce que dans le fond ce parti là où on était capable de se taire par respect de soi et des autres, a été l’honneur de ma vie.
Il me racontait aussi comme il lui fut difficile d’aller porter les critiques du parti communiste français au Congrès du PCUS, lui qui éprouvait pour l’URSS quelque chose de l’ordre de la vénération. Je l’accompagnais en Grèce et je pourrais raconter nos discussions dans lesquelles il me faisait une totale confiance, de mes irritations mais aussi du respect et de l’amour filial qu’il m’inspirait par son attention aux militants, le parti était un village et il aidait chacun devant les aléas de la vie. Donc il y a des choses et des phrases qui me sont intolérables.
L’article revient sur les événements où l’on a vu des cadres d’Air France poursuivi par des syndicalistes, leur chemise déchirée, le procès récent et révèle que l’un des « déchemisé » était le fils d’un « cacique » du PCF, Gaston Plissonnier. IL fait un parallèle indigne entre la carrière du fils et la manière dont le père a toujours été un fidèle exécutant et il a cette phrase ignoble sur l’engagement « tardif » de Gaston, qui aurait eu lieu en 1941, parce que celui-ci aurait respecté le pacte germano-soviétique. Quelle stupidité et mépris de la vérité par goût minable des ragots, bien digne de l’époque.
L’Histoire de Gaston est exactement le contraire de celle rapportée par l’auteur de l’article : Gaston m’expliquait que, comme beaucoup de militants, il a vécu d’abord l’opposition à la trahison de Munich en affirmant « Munich c’est la guerre », et le pacte est signé le 23 août, la France déclare la guerre à l’Allemagne à la suite de l’invasion de la Pologne. Tous les témoignages, celui de mon mari qui agit en Provence, lui Gaston qui agit en Bourgogne vont dans le même sens. Ils y voient un acte tactique face à Munich. Au plus haut niveau la direction du PCF envoie alors à Moscou des délégués. En attendant les explications, ils votent à l’Assemblée les crédits de guerre le 2 septembre et Maurice Thorez rejoint son unité. Mais ceux qui ne vont pas préparer la guerre et rester plus d’un an l’arme au pied, qui déjà pensent « il vaut mieux Hitler que le Front Populaire, vont utiliser ce pacte pour en finir avec le PCF. Le président du Conseil de l’époque, Édouard Daladier avait interdit la presse communiste dès le 26 août. Il dissoudra le Parti le 26 septembre.
Gaston et mon mari m’ont expliqué la même chose, le parti était dissous, la presse interdite, ils ne recevaient plus d’ordres, ils ont agi à leur manière et pour eux l’antifascisme était une évidence. Ils ont fait le tour des militants, prudemment, en ne sachant pas qui ils trouveraient et individu par individu ils ont reconstitué un système de résistance essentiellement cloisonné et un autre qui déjà envisageait le maquis. Il fallait un immense courage et beaucoup de prudence à ce petit bonhomme, timide et résolu, pour aller le plus souvent à pied, faisant des kilomètres de ferme en ferme, ne disant pas un mot de trop, pour avoir sous la présence allemande recréer le parti, le faire grandir. Ceux qui crachent sur de tels hommes ne méritent que mon mépris.
J’affirme que, comme Henri Krasucki, ces hommes-là partout dans toute la France sans attendre des ordres ont recréé le parti sans attendre l’entrée des soviétiques en guerre.
Alors voilà comme il est à la mode d’inventer une sorte de droit du sang dans l’ignominie, attribuant aux ministres les errances de leurs enfants, de Fabius à Marisol Touraine en passant par Pécresse, ce contre quoi je me suis élevé comme une indignité, Je n’éprouve qu’hostilité envers la politique de ces gens mais je n’admets que l’on attribue au parents les actes de leur descendance, c’est une pratique digne de l’extrême droite. Alors a fortiori quand il s’agit d’un homme aussi respectable que Gaston Plissonnier à qui nous devons pour une part notre liberté, nos acquis sociaux. Je considère cet article comme à vomir. Une manière de relativiser les turpitudes des dirigeants actuels du PS et du gouvernement qui ont appuyé une répression syndicale infâme contre des CGétistes défendant leur emploi, en vulgarisant le tous pourri cher aux fachos.
Il y a vraiment des limites à ne pas franchir.
Danielle Bleitrach
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