Une ANALYSE communiste de la victoire de BOLSONARO au Brésil

DU PAS EN AVANT AU PAS EN ARRIÈRE VERS LE FASCISME
Par Diagne Fodé Roland
La crise politique au Brésil vient de déboucher sur l'élection du fasciste Bolsonaro, suite à l'emprisonnement politique arbitraire du populaire Lula et la destitution putschiste tout aussi arbitraire de Dilma.
Les ingrédients de la contre-révolution bourgeoisie et impérialiste
En octobre 2002, célébrant son élection à la présidence, nous écrivions que « Lula devra choisir de satisfaire la bourgeoisie ou les travailleurs » parce que « Le Parti des Travailleurs (PT) de Lula vient historiquement de la conjonction de deux forces sociales : à la fois le mouvement syndical - Lula a été dirigeant de la Centrale Unique des Travailleurs (CUT) du Brésil dans les années 70/80 - et le Mouvement des Paysans Sans Terre (MST) apparus dans les années 80. Mais, après trois échecs au présidentiel de 1989, 1994 et 1998, Lula s’est peu à peu éloigné des luttes et revendications radicales des ouvriers et des paysans sans terre. Lula a ainsi peu à peu troqué son alliance politique avec les forces sociales ouvrières et paysannes contre une alliance avec des sections nationalistes de la bourgeoisie brésilienne représentée par le parti libéral de José Alencar. Le projet de Lula est un « partenariat entre syndicats ouvriers, mouvements paysans et patrons », pacte social entre le capital et le travail qu’il a expérimenté dans la gestion municipale en utilisant « la transparence et la démocratie participative » (Une étape pour l'unité des résistances sociales et nationales à la re-mondialisation capitaliste?).
Mais nous mettions aussitôt en garde en signalant que « Dans un Brésil où le cancer de la corruption, de la gabegie, du népotisme gangrène toute la classe politique de la droite libérale à la social-démocratie officielle, la « démocratie participative » modélisée par le Forum social de Porto Alegre est en effet objectivement un progrès. L’alliance du PT de Lula et une fraction importante de la bourgeoisie brésilienne a conduit le PT et Lula à présenter « un programme dont la dominante est la consolidation du marché intérieur. Si davantage de gens voient leur salaire augmenter, ils pourront acheter mes produits…j’applaudis Lula lorsqu’il dit que le pays doit accomplir des progrès afin d’être en mesure de limiter les importations » commente un directeur d’une société d’informatique de l’Etat de Rio de Janeiro. En effet, des fractions plus ou moins importantes de la bourgeoisie nationale dans les pays opprimés sont confrontées au choix entre la soumission ou la résistance face aux exigences prédatrices de l’impérialisme en crise, mais aujourd’hui totalement libéré par la mise à mort temporaire du socialisme, de l’URSS ».
Cette mise en garde prenait déjà en compte le fait que « Dans le journal ouvrier et populaire Québécois l’Aut’Journal, on peut lire les déclarations suivantes d’Allan Greenspan, président de la Réserve Fédérale des USA : « Le problème du Brésil est à 100% politique ». L’un des patrons brésilien très lié aux milieux du FMI et de la BM devait ajouter : « Le capital a peur, les capitaux étrangers vont fuir ». Même si Lula a cessé de critiquer le FMI, la BM et l’ALCA (aire de libre commerce) imposé par les USA faisant du Brésil « un marché ouvert » aux capitaux US, le New York Times, journal des milliardaires américains, criait à « la menace d’effondrement de la 10éme économie du monde avec sa dette de 264 milliards de dollars (plus de 173 milles milliards de francs cfa) (le double de l’Argentine) » (Courrier International, 31 octobre au 06 novembre 02). C’est à un véritable délire que se livrent certains milieux impérialistes des USA face à la victoire de Lula. Un ex-conseiller de Ronald Reagan écrit dans le Washington Times : « Une nouvelle menace terroriste constituée d’armes nucléaires et de missiles balistiques peut provenir d’un axe qui comprend Cuba de Fidel Castro, le régime d’Hugo Chavez au Venezuela et le président gauchiste du Brésil, qui tous entretiennent des liens avec l’Iran, l’Irak et la Chine »(idem).
Les inconséquences de la social-démocratie trotskiste
L'élection du fasciste Bolsonaro résulte des menées contre-révolutionnaires de l'impérialisme US allié aux évangélistes, aux militaires gradés nostalgiques de la dictature militaire, à la bourgeoisie néocoloniale représentée par la droite.
Mais elle a été rendue possible en raison des compromissions du pouvoir social-démocrate trotskiste du PT au delà les mesures anti-libérales de Lula et Dilma Roussef qui ont sorti des millions de Brésiliens de la pauvreté.
Les mesures anti-pauvreté n'ont pas été généralisées et accompagnées de politiques faisant reculer le contrôle stratégique de l'économie brésilienne par la bourgeoisie. Le PT a choisi , non la mobilisation populaire, mais le compromis par le haut sans la pression à la base des masses populaires. Il n'y a pas eu de nationalisations des secteurs clefs de l'économie nationale à fortiori de socialisation des moyens de production des secteurs stratégiques.
Le PT a préféré soutenir les capitalistes privés nationaux pour en faire des multinationales concurrentes de celles des impérialistes US et de l'Union Européenne. . Ce choix stratégique a été fatal parce qu'il ouvrait la voie à l'extension de la corruption au PT lui même. Ainsi le processus de différenciation entre bourgeoisie nationale et bourgeoisie compradore s'est embourbé dans les compromissions sur fond de corruption généralisée.
Même si les accusations de « corruptions » visant Lula lui même ne sont nullement prouvées et que celle qui ont été utilisées pour opérer le putsch institutionnel (« dépassement de budget ») sont fausses, il est de notoriété publique que le PT et le gouvernement n'ont pas échappé au marais de la vénalité qui est largement répandu dans la classe politique brésilienne surtout au sein de la droite, de la social-démocratie officielle, membre de l'Internationale Socialiste, et de l'écologie politique.
En outre le PT n'a mené aucune politique énergique contre l'influence délétère des évangélistes qui sont non seulement une cinquième colonne de l'impérialisme US, mais qui, au contraire des « théologiens de la libération », instrumentalisent la religion pour détourner les pauvres de la lutte des classes contre la bourgeoisie compradore et l'impérialisme .
La question de la sécurité consécutive du chômage de masse et de la misère des masses est demeurée une épine dans le pied du gouvernement PT et alliés bourgeois sociaux démocrates. 50 millions de Brésiliens sont sortis de la misère, mais des millions continuent de vivre dans les favellas qui concentrent toutes les tares de la société capitaliste que sont la délinquance, le trafic de drogue, les agressions, les meurtres, etc que produisent la mafia bourgeoise.
Le PT n'a pas su ou/pu lutter contre le racisme endémique lié à la nature coloniale du capitalisme brésilien né de l'esclavage met au bas de l'échelle sociale, tout comme aux États-Unis, les noirs, les amérindiens et les migrants.
Enfin, l'enjeu de l'Amazonie, ce « poumon» de la biosphère mondiale et la protection des populations Amérindiennes a fait l'objet d'un compromis au profit de l'agro-business pollueur des firmes transnationales brésiliennes et impérialistes US et de l'Union Européenne.
Il est observable que sur toutes ces questions sociales et nationales l'anti-libéralisme et l'anti-impérialisme du PT social-démocrate trotskiste a connu des limites voire même des compromissions qui l'ont conduit à l'échec. L'inversion du rapport des forces qui avait permis l'élection de Lula puis de Dilma s'est opérée progressivement et a atteint un point culminant lors des grandes manifestations contre la construction des infrastructures coûteuses de la coupe du monde dans un pays où la misère était encore loin d'être éradiquée, malgré les progrès, montrant ainsi que le PT préférait relancer les profits privés des capitalistes nationaux et des impérialistes au lieu de satisfaire les revendications populaires. Coupe du monde dans laquelle ce pays de football a été de surcroît humilié.
Tirer toutes les leçons de ce recul temporaire pour résister et avancer
Plus que jamais nous sommes dans une phase où « l'ancien se meurt, mais le nouveau à des difficultés à naître » pour paraphraser Gramsci. L'enfantement douloureux du neuf sur les cendres de l'ancien est d'autant plus difficile que les forces communistes révolutionnaires conséquentes sont éparpillés et faibles et que les voies de passage obligé passent par l'hégémonie politique dans la résistance anti-libérale et anti-impérialiste des « classes moyennes », celles qui avaient relativement bénéficié du « compromis social historique » de l'après seconde guerre mondiale anti-fasciste dans les pays impérialiste (USA, UE, Japon) et celles qui en tant que couches sociales (opérateurs économiques, intelligentsia, etc) dans les pays dominés faisaient du libéralisme l'alpha et l'omega du « développement » et qui découvrent les affres du néocolonialisme libéral du mal-développement.
Oui, il était et est juste de soutenir tout pas en avant contre le libéralisme socialement destructeur des conquêtes sociales et démocratiques dans les pays impérialistes et le libéralisme néocolonial dans les pays opprimés. Ce pas en avant est représenté pour le moment, non par le prolétariat comme force politique indépendante, mais par la petite bourgeoisie révoltée contre le processus de paupérisation qui la menace et la frappe de plein fouet, contre la corruption et la mal-gouvernance des gouvernants libéraux de droite et de gauche socialiste.
Mais ce qu'enseigne l'expérience du pas en avant et du deux pas en arrière dans le fascisme au Brésil, c'est qu'il faut que parallèlement les communistes dotent le prolétariat de son avant-garde pour la reconstituer en force politique indépendante pour prendre la tête du mouvement des masses quand s'épuise le rôle dirigeant politique de la petite-bourgeoisie anti-libérale.
L'exemple brésilien confirme cette loi absolue vérifiée maintes fois dans l'histoire : les avancées dans la lutte des classes et dans les luttes de libération nationale ne peuvent être consolidées et développées que sous la direction conséquente du prolétariat représenté par son parti, le Parti Communiste.
Ce n'est pas pour rien que le fasciste Bolsonaro a dès la proclamation de sa victoire électorale déclaré qu'il allait « éradiquer le communisme du Brésil ». Le fasciste ennemi politique bourgeois le plus radical, le plus extrémiste, le plus terroriste contre le prolétariat, la paysannerie et le peuple sait que la prochaine avancée progressiste au Brésil naîtra d'une recomposition politique engendrée par l'expérience que les masses auront faites de l'ère PT social-démocrate et trotskiste, expérience qui éduque sur la nécessité de mener la lutte de classe et la lutte de libération nationale jusqu'au bout en s'appuyant sur les classes sociales qui n'y ont rien à perdre et tout à gagner.
Les expériences progressistes en cours des pays de l'ALBA (Venezuela, Bolivie, Nicaragua, etc et bien sûr Cuba héroïque) titreront les leçons du recul brésilien dans leurs résistances de « David contre Goliath » à l'alliance de la contre-révolution bourgeoise et impérialiste interne et externe.
Les nouvelles rébellions politiques anti-libérales, patriotiques et anti-impérialistes dans les pays d'Afrique doivent absolument être soutenues comme les pas en avant dons les peuples d'Afrique ont besoin. Et pour marcher sur nos deux jambes, les communistes qui ont rompu avec le marais de la « lutte des places au gouvernements néocoloniaux libéraux » doivent se rassembler pour aider à la montée alternative de la poussée patriotique de la jeunesse rebelle et forger le prolétariat en froce politique indépendante.
Le 30 octobre 2018
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