À PROPOS DE L’AGRESSION CONTRE L’IRAN : les remarques de Philippe Arnaud
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Chers tous,
Cette date du 17 juin est celle où le chancelier allemand Friedrich Merz, en marge du G7 au Canada, a déclaré : "En Iran, Israël fait le sale boulot pour nous tous".
Remarque 1. Le mot qu'il convient de mettre en relief, dans cette phrase, est le pronom "nous". "Nous", c'est-à-dire le G7 (États-Unis, Canada, France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Japon, plus l'Union européenne). Autrement dit, des pays liés aux États-Unis ou à l'OTAN. Donc des pays ayant pris résolument parti, depuis le 7 octobre 2023, pour Israël et contre la Palestine, et, depuis le 13 juin 2025, pour Israël et contre l'Iran.
Remarque 2. Je ne sais si le chancelier Merz s'est rendu compte de l'effet de ses propos sur l'opinion des pays du Sud. Car les pays du G7 auquel se réfère son "nous" sont exactement les mêmes que ceux qui, en 1899-1901, allèrent à Pékin écraser la révolte des Boxers et lever le siège des légations (c'est-à-dire des ambassades occidentales et des quartiers occidentaux à Pékin). Je ne doute pas que les ambassades chinoises ne fassent, discrètement, connaître ce rapprochement, dans les pays africains, asiatiques et sud-américains où elles se trouvent. C'est-à-dire rappeler à ces pays les humiliations des répressions coloniales perpétrées par les pays européens et les États-Unis.
Remarque 3. Dans le cas plus précis de l'Allemagne, on pourrait rappeler au chancelier Merz, les massacres perpétrés en 1904-1908, dans cette colonie allemande qu'était le Sud-ouest africain allemand (aujourd'hui Namibie). A l'époque, les Héréros et les Namas (populations de la Namibie au début du XXe siècle) s'étaient révoltés contre les colons allemands et en avaient massacré plusieurs centaines. En représailles, l'armée allemande, commandée par le général Lothar von Trotha (qui s'était déjà illustré lors de la guerre des Boxers), avait tué 85 000 Héréros et Namas, soit 80 % de la population. Ce fut le premier génocide du XXe siècle. [Si l'on fait abstraction des massacres du roi Léopold II de Belgique dans le Congo, qu'il possédait à titre personnel et où, selon un historien américain, ses exactions causèrent la mort de 10 millions de Congolais].
Remarque 4. Dans l'entre-deux guerres, les enfants métis, issus d'union de colons ou de soldats allemands avec des femmes namibiennes, et qui se trouvaient en Allemagne, furent stérilisés par le régime nazi, pour ne pas "abâtardir" la "race germanique"...
Remarque 5. Depuis, l'Allemagne a reconnu sa responsabilité dans le massacre (sans toutefois accorder de réparation financière à la Namibie...). Mais l'AfD (Alternative für Deutschland, parti d'extrême-droite équivalent à Reconquête) s'est distinguée. Lors d'un voyage de parlementaires du Bundestag en Namibie, un député de l'AfD est allé se recueillir devant la tombe d'un officier massacreur de 1904-1908.
Après l'inopportune (ou cynique ?) remarque du chancelier Merz sur Israël "qui fait le sale boulot pour nous", je désire effectuer un rapprochement avec un épisode remontant à plus de 60 ans. Il s'agit de l'agression aérienne américaine (décidée par le président Lyndon Johnson) contre le Nord-Vietnam.
A l'époque, en effet, l'armée sud-vietnamienne, malgré ses "conseillers" américains, n'arrivait pas à venir à bout de la guérilla du FLN sud-vietnamien. Laquelle guérilla était en outre ravitaillée en armes, depuis le Nord-Vietnam, par la "piste Ho Chi Minh", qui traversait le Laos et le Cambodge, en disposant de l'appui bienveillant des mouvements de résistance locaux (le Pathet Lao au Laos). Les Américains inventèrent alors, en août 1964, une provocation, selon laquelle le destroyer USS Maddox aurait été attaqué par des vedettes nord-vietnamiennes dans le golfe du Tonkin. Ce qui "justifia", en février 1965, les premiers bombardements aériens du Nord-Vietnam par les Américains qui, jusque là, s'étaient "contentés" (si l'on peut dire...) de bombarder le Sud-Vietnam.
Cela ne rappelle-t-il pas des événements récents ?
Au Proche-Orient, la plupart des Etats arabes (Palestine de Cisjordanie et Palestine de Gaza), Liban, Syrie, Yémen... sont aux prises avec les attaques israéliennes, qui ont redoublé d'intensité depuis le 7 octobre 2023. Or, sur tous ces théâtres d'opérations, les Israéliens considèrent l'Iran comme le soutien, le "sponsor" et le manipulateur de leurs opposants. Soutien militaire, logistique, financier, politique et diplomatique du Hamas à Gaza, du Hezbollah au Liban, des Houthis au Yémen, et du régime de Bachar el-Assad en Syrie, jusqu'à la chute de celui-ci, en décembre 2024.
L'état d'esprit des Israéliens, en 2023-2025, reproduit donc celui des Américains en 1964-1965, qui accusaient le Nord-Vietnam de financer, d'armer et de ravitailler les guérillas communistes au Sud-Vietnam et au Laos, et de les manipuler, pour faire "tomber" la péninsule inochinoise dans l'orbite communiste. En six décennies, la mentalité des Occidentaux n'a donc pas changé : au communiste avec "le couteau entre les dents" a simplement succédé l'islamiste "avec le cimeterre entre les dents"...
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Depuis cette nuit [22 juin 2025], les États-Unis ont parachevé leur agression contre l'Iran (et, plus généralement, contre les peuples du Proche et du Moyen-Orient) en ne se contentant plus de livrer des armes à Israël, mais en en entrant directement en guerre aux côtés de cet État. Ils ont bombardé plusieurs sites nucléaires iraniens avec leurs fameux bombardiers B2 (qui coûtent quatre fois leur poids en or). Le prétexte invoqué est que par son (fantasmé) arsenal nucléaire, l'Iran menacerait la paix et la stabilité du Proche-Orient (comme si elles existaient !), voire, carrément, la paix du monde. Rien de moins...
Remarque 1. Ces accusations ne sont pas nouvelles. En 1991, pour justifier la première guerre du Golfe, la propagande occidentale disait que Saddam Hussein disposait de la 4e armée du monde. En 2003, pour justifier la seconde guerre du Golfe, on avançait que le même Saddam Hussein fabriquait des armes de destruction massive. Et, à l'appui de ses dires, le Secrétaire d’État Colin Powell brandissait, à la tribune des Nations Unies, un tube censé contenir des produits mortels issus des laboratoires irakiens. [En réalité empli de poudre de Perlimpinpin].
Remarque 2. Cette accusation, contre des États du Proche- et Moyen-Orient (Irak, puis Iran), n'est que la reprise, la déclinaison de la propagande qui eut cours, de 1947 à 1989, à propos de la "menace soviétique". [Ou menace "communiste" ou menace du "pacte de Varsovie"]. En réalité, comme l'ont montré plusieurs écrits, notamment Andrew Cockburn, ou l'amiral Antoine Sanguinetti (ce dernier dans des articles du Monde diplomatique d'octobre 1987), ou les attachés militaires français à Moscou dans les années 1945 à 1950, non seulement l'Armée rouge et le pacte de Varsovie ne furent jamais supérieurs aux armées de l'OTAN, mais ils leur furent toujours inférieurs dans tous les domaines !
Remarque 3. Inférieurs en effectifs, inférieurs dans l'armée de terre, inférieurs dans l'aviation, inférieurs dans la marine. Inférieurs dans les équipements, inférieurs dans l'armement, inférieurs dans l'entraînement, inférieurs dans la logistique, inférieurs dans les communications, inférieurs dans la cohésion interne du pacte de Varsovie, etc. D'après ces auteurs, si l'URSS (avec ses alliés) avait tenté une offensive contre l'Europe de l'Ouest, elle aurait promptement, "été ramenée dans ses 22 mètres". Il serait salutaire de se remémorer ces propagandes passées au moment où les rédactions des médias occidentaux embouchent le clairon...
Je vous saurais gré de vos remarques, précisions, rectifications et critiques.
Bien à vous
Philippe Arnaud,
Amis du Monde Diplomatique
Tours