Secteur public et nationalisé : introduction au débat organisé par les « Rouges vifs » d’Ile-de-France
Samedi 31 janvier 2009
Introduction au débat
(extraits)
Le thème du débat d'aujourd'hui est le Secteur Public et Nationalisé, Un outil pour faire reculer la nocivité du Capital, Un levier pour changer la société !
Merci...de votre présence nombreuse qui témoigne d'un intérêt pour cette initiative de l'association "Rouges vifs" Ile-de-France.
Nous sommes partis de la constatation de notre impuissance à nous fédérer sur tout le territoire depuis plus de dix ans pour riposter efficacement à l'offensive du Capital.
Nous avons défini la cause essentielle de cette situation dans une question politique et idéologique lourde : l'absence d'un tronc commun, idéologique et politique, suffisamment partagé et explicite, base de départ que nous considérons désormais incontournable pour définir les orientations, la stratégie et les fondements de l'organisation politique qui fait tant défaut actuellement. Une organisation politique qu'il nous reste à construire, sans tomber dans les raccourcis sous prétexte d'urgence.
Ne pas faire de raccourcis, c'est considérer qu'il n'y a pas de vérités intangibles ou révélées et que, pour être authentiquement révolutionnaires (c'est-à-dire porteurs des bases d'un véritable changement de société), nos réflexions et axes d'action doivent être une œuvre collective en perpétuelle réactualisation.
La formidable mobilisation du 29 janvier, avec des manifestations historiques, est là aussi pour nous rappeler deux choses :
- Le mouvement populaire dispose de forces considérables et son expression porte en elle des exigences sociales qui peuvent modifier le cours des choses
- Le fait que le monde du travail soit orphelin de toute expression de classe sur leplan politique amoindrit l'efficacité des luttes en les cantonnant dans des positions défensives ou restrictives sur le plan des revendications.
Prenons par exemple l'exigence de revalorisation des salaires ...L'absence de revendication clairement exprimée quand au niveau d'augmentation ne tient-elle pas au manque de conviction qu'une conquête audacieuse (20 - 30%) est non seulement possible mais salutaire dans cette période de crise de l'accumulation capitaliste ?
Parmi celles et ceux qui se sont le plus engagés dans la réussite des grèves et manifestations, combien font le lien entre la crise actuelle et les politiques d'austérité salariales menées successivement depuis 1982 qui ont conduit à cette suraccumulation ?
Combien sont convaincus, en leur for intérieur, que la question des salaires est exclusivement du domaine des entreprises sans prendre en considération que c'est le pouvoir politique qui décide, en France, du salaire minimum et des garanties collectives de rémunération ? N'y a-t-il pas là un levier décisif pour gagner « tous ensemble » sur la question des salaires comme cela s'est produit en 1936 ou en 1968 ? Sans préjuger des suites que pourrons proposer les organisations syndicales ... la mise en évidence de cette question politique est une nécessité pour que le mouvement du 29 grandisse encore et soit fructueux sur les salaires....La question du service public et de ses enjeux doit aussi être abordée sous un angle politique dans la bataille des idées... Nous ne partons pas de rien. Dans notre pays, l'existence d'un secteur public et nationalisé est issu d'une tradition de luttes et de conquêtes sociales de notre peuple.
Malgré les attaques répétées, la casse et le sabotage organisés, les services publics font partie de la conscience collective et suscite toujours, même si cela est en recul, des réflexes de mobilisation pour leur défense dans la population.
Mais cela ne suffit pas, d'autant que certaines idées fondamentales sont en recul. Comme par exemple le fait que le secteur public et nationalisé est un formidable outil pour résister et faire reculer les prétentions idéologiques et économiques du Capital. Qu'il a permis à notre peuple de formuler un projet de développement propre à la Libération, qu'il est un point d'appui essentiel pour garantir l'indépendance du pays dans la guerre économique sans merci que se mènent les empires capitalistes.
Ce dernier point est d'ailleurs un premier élément sur lequel il nous faut pousser la réflexion : qui dit « nationalisé » dit nation comme cadre de souveraineté politique. La aussi, il s'agit d'aborder sans détours les questions de fond sans renoncer face aux pressions idéologiques venant de toute part. Sans cela, on voit fleurir des mots d'ordre sans contenu qui ne gène en rien le capital car n'ayant aucun fondement comme par exemple « service public européen ». On ne peut tenir deux positions contraires, quant au cadre politique exerçant la maîtrise des dits services publics :
-Ou nous revendiquons l'Europe (fut-elle sociale) comme socle politique, primant sur le cadre national. Et la forme de propriété publique qui s'est historiquement constituée dans notre pays n'a pu lieu d'être.
-Ou nous redonnons du contenu à la notion de nationalisation, en analysant ce qui n'a pas marché pour le perfectionner. Cela induit que nous revendiquons l'exercice de la souveraineté du peuple dans le cadre de la Nation même si cela n'exclut pas des coopérations avec d'autres pays.
Partant de ce postulat et après une analyse poussée des origines et du rôle de l'Union Européenne, « Rouges Vifs Ile-de-France » avait pris une position qui avait suscité quelques débats lors de la campagne référendaire de 2005. Nous avions lancé le mot d'ordre : « non à toute constitution européenne », exprimant en cela notre choix clair dans la question posée plus avant du cadre de décision politique.
Cette question de l'intégration européenne est d'ailleurs complètement liée à la moindre lutte concernant les services publics. Outil de la restructuration du capital à l'échelle du continent, l'union européenne porte aussi initialement des principes opposés à la conception française des services publics.
Ce n'est pas un hasard si les premières réflexions sur l'intégration européenne suivent de très peu la publication du programme du Conseil National de la Résistance, qui, par son application ...a marqué une étape décisive sur la question du service public. Rappelons pour mémoire l'un de ses objectifs revendiqué : « l'instauration d'une véritable démocratie économique et sociale impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l'économie (...), le retour à la Nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d'énergies, des richesses du sous-sol, des compagnies d'assurance et des grandes banques ». La constitution de 1946 déclarant que : « tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert le caractère d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ».
En France, le Secteur Public et Nationalisé est l'outil que notre peuple s'est donné pour s'assurer les moyens et la maîtrise de son développement à partir d'une conception d'égalité entre les citoyens. Cette raison d'être, hautement politique, a institué le service public français comme moteur de développement de la société, comme facteur de cohésion sociale, comme vecteur d'avancées technologiques et de démocratie sociale, comme élément structurant dans l'aménagement du territoire.
Par étapes, a été constitué dans notre pays un grand « secteur public » - notion qui recouvre une réalité diversifiée des différentes composantes-, comportant les services publics (dont l'activité ne se limite pas à des services), des activités de réseaux, des entreprises industrielles, des banques et assurances,...leurs statuts, leurs règles de fonctionnement diffèrent suivant leur histoire, leur domaine d'intervention ou le rapport de force de l'époque.
Ces dernières années, la situation a fortement évolué et pas en notre faveur. Pourtant, les idées que nous avancions lors d'une initiative similaire en juin 2001 sont-elles obsolètes ?
De fortes mobilisations dans ce domaine, cherchant à contre carrer les projets gouvernementaux et patronaux, ont lieu. Pourtant la tendance se renforce et le sentiment d'impuissance grandit. C'est un des objectifs de l'initiative d'aujourd'hui d'aborder ensemble les points qui font blocage.
Pour donner un exemple, le fait de ne plus revendiquer le monopole dans le cadre d'entreprises publiques, bien de la Nation, ne démontre-t-il pas une hésitation à employer ce terme ? Pourtant, l'acceptation de la mise en concurrence ouvre la porte à un gigantesque marchandage dont les populations font les frais.
Comble du cynisme, ce sont les entreprises publiques historiques des différents pays européens qui sont le fer de lance de ce dynamitage des fondements nationaux. Combien de nos collègues, voire de camarades, trouvent qu'après tout, le rachat de compagnies privées hors des frontières (SNCF, EDF, ...) n'est pas forcement néfaste car donnant une image de renforcement des entreprises publiques ? J'ai parlé de cynisme car ce sont les gains de productivité faits sur le dos des salariés et des usagers qui ont permis de dégager les liquidités pour les acquisitions externes. Une façon de financer nous-mêmes, à notre corps défendant, les munitions pour nous exécuter.
Autre cheval de Troie institué pour accélérer le dépeçage : Les PPP, partenariats publics/privés ; cela viendra sûrement dans le débat avec l'annonce hier de l'association de TOTAL et SUEZ à la construction de l'E.P.R. Comme ils le disent eux-mêmes, c'est pour être placés sur de futurs créneaux juteux. L'intérêt général, l'indépendance énergétique, ce n'est pas leur tasse de thé.
On en revient à la question de la propriété publique des grands moyens de production et d'échanges dans chaque cadre national (cela n'exclut pas les coopérations, cela renforce leurs potentialités).
Là où est la propriété, là est le pouvoir !
Entendons par là le pouvoir de décider des objectifs de l'entreprise, de sa capacité et de la finalité de sa production. Réponse aux besoins sociaux ou recherche de dividendes pour les actionnaires, nul besoin ici d'épiloguer sur l'incompatibilité entre ces deux objectifs.
Mais soyons réalistes, le fait que de nombreux services publics soient assurés par des entreprises privées ne choque pas plus que cela. Le service public ne doit pas être vu sous le seul angle du service rendu mais surtout comme une formidable opportunité d'appropriation sociale et collective anticapitaliste.
La propriété publique n'est pas, pour nous, une fin en soi mais un point d'appui et une condition indispensable.
La propriété publique des grands moyens de production et d'échange n'est évidemment pas la seule condition pour faire reculer la logique capitaliste mais comme disait Engels, « la propriété de l'Etat sur les forces productives n'est pas la solution au conflit, elle referme en elle le moyen formel, la façon d'accrocher la solution ». Là intervient la notion de planification démocratique pour que se réalise une appropriation effective par notre peuple. Une planification des objectifs de chaque entreprise publique, recensant les besoins sociaux, élaborée lors de débats avec la population et sanctionnée par elle, d'une manière ou d'une autre.
Cette planification, pour ne pas être confisquée par la bureaucratie ou les élites technocrates doit être dirigée et contrôlée par les salariés, les usagers, sachant que nous sommes alternativement l'un et l'autre. Nous voulons, nous luttons pour une société où l'auto-organisation (l'autogestion ?) l'emporte à tous les niveaux de la vie sociale et dans toutes les formes de rapports sociaux. Cela signifie une société où les travailleurs pourront décider souverainement et démocratiquement des grandes orientations de la production et de la consommation et de l'utilisation des ressources disponibles (richesses naturelles et celles créées par le seul travail). Est donc posée l'exigence de pouvoirs nouveaux pour les travailleurs dans leurs entreprises (pas seulement publiques), des pouvoirs d'élaboration, des pouvoirs de désignation, de contrôle, de révocation des dirigeants.
L'expérience de 1981 ne peut que nous encourager dans cette voie ; pour désarmer le mouvement populaire qui les avait porté au pouvoir, Mitterrand et le Parti Socialiste ont d'abord donné le sentiment de répondre aux aspirations en étendant juridiquement le domaine du secteur public et nationalisé. Mais, en encourageant dans toutes les entreprises publiques des pratiques de gestion privée, ils ont tué dans l'œuf les possibles effets bénéfiques pour la population. En quelque sorte, ils ont souhaité faire faire à notre peuple une expérience d'échec des nationalisations afin d'engager en grand la casse de ce qui existait auparavant.
A partir de l'histoire et des expériences, nous pouvons affirmer que l'appropriation sociale suppose au moins trois conditions indissociables :
- LA PROPRIETE PUBLIQUE comme bien appartenant à tous
- LA PLANIFICATION DEMOCRATIQUE comme moyen de maîtrise de la production par les travailleurs eux-mêmes
- DES POUVOIRS POLITIQUES pour les salariés et les usagers au niveau de l'entreprise, du secteur économique, de la Nation ;
Mais ces principes de base ne doivent se résumer à l'existant et nous devons pousser notre conception du changement de société en exigeant l'extension du Secteur Public et Nationalisé à des grandes entreprises :
- ayant des fonctions collectives d'intérêt général,
- vivant sur fonds publics au travers des marchés publics, des subventions, des crédits favorisés,
- constituant de tels monopoles industriels et financiers qu'elles peuvent menacer la souveraineté populaire par leur pouvoir de nuisance.
L'opposition entre secteur public et secteur privé ne relève ni d'une religion ni d'un dogme. Le débat porte sur l'efficacité et sa nature ; d'un côté économique et social car il n'existe pas, par nature d'accumulation de capitaux dans les entreprises publiques, de l'autre économique et financier. Eclairer ces enjeux et définir avec les intéressés les contours que cela doit recouvrir aujourd'hui, peut permettre de dynamiser les luttes, en leur donnant le caractère politique indispensable à leur succès.
Bien sûr, nombre d'éléments changent rapidement et des réalités différentes s'imposent à notre réflexion (statut des entreprises par exemple). Mais prendre le temps, comme nous allons le faire aujourd'hui, d'analyser sous l'angle politique de l'affrontement de classe la situation et les perspectives pour nos actions est incontournable...
Jeannot le Cheminot