ITALIE : les « Forconi », des « bonnets rouges » transalpins ?
Beppe Grillo et Silvio Berlusconi
à cheval sur les « Forconi »
Ils s’appellent eux-mêmes les "Forconi" (les fourches). Depuis lundi 9 décembre, ce mouvement de protestation né de la rencontre d'agriculteurs, de camionneurs, d'étudiants, de chômeurs, de commerçants ambulants, de militants d'extrême gauche et d'extrême droite en colère contre le fisc et l'Euro, intrigue. Qui sont-ils, que veulent-ils ? Même si leur capacité de mobilisation semble limitée à quelques villes dont Turin, Milan et Gênes, les Forconi sont parvenus en quatre jours à occuper les gros titres des quotidiens et les unes des journaux télévisés de la Péninsule. Jeudi 12 décembre toutefois, la mobilisation semblait s'essouffler malgré le blocage spectaculaire de la frontière entre l'Italie et la France à Vintimille.
Né en Sicile en janvier 2012, à l'initiative d’agriculteurs et de camionneurs qui réclamaient une baisse des taxes sur le gazole, le mouvement des Forconi a disparu des écrans radar des médias pendant près d'un an. "Une fausse impression", raconte Mariano Ferro un des leaders du mouvement sur le site internet du quotidien La Stampa. Cet ancien partisan de Silvio Berlusconi, agriculteur de son état, explique qu'il a parcouru l'Italie en tout sens ("300 000 kilomètres", jure-t-il) pour convaincre d'autres catégories de le rejoindre dans sa lutte.
Mais les leaders autoproclamés de ce mouvement sont nombreux. Outre Mariano Ferro, on trouve également Andrea Zunino, agriculteur de Vénétie qui dénonce "une Italie esclave des banquiers comme Rotschild" et qui professe une admiration pour Viktor Orban qui "libère son pays" (entretien à La Repubblica du 13 décembre 2013). Vient ensuite Danilo Calvani, un agriculteur de l'agro-pontin, une région au sud de Rome bonifiée par Mussolini. Ce dernier s'est fait remarquer en quittant un meeting à Gênes à l'arrière de la Jaguar d'un ami. Ces trois hommes divergent sur la suite à donner au mouvement.
Tout a commencé lundi quand les Forconi décidaient de bloquer des axes routiers, des trains, des lignes de bus et de métro et l'accès à des supermarchés, incitant même, parfois sous la menace, les commerçants à baisser leur rideau. C'est à Turin que les manifestants ont été les plus virulents, conduisant à la paralysie de la ville. Après avoir occupé au premier jour de la protestation les gares principales, une petite centaine de manifestants s'est rendue au siège d'Equitalia, le centre de recouvrement des impôts.
Leurs mots d'ordre ? "Nous, paysans, sommes dans la rue pour dire 'Assez!' à l'Etat, au gouvernement, aux syndicats. On n'y arrive plus", a déclaré un porte-parole. "Ce que nous voulons, c'est dire 'Assez' à ce qui ne va pas, que le gouvernement s'en aille. Participer à une table-ronde ne nous intéresse pas, ils doivent partir, c'est tout", soutenait un autre."Avis aux citoyens. Le 9 décembre, les vrais Italiens - chômeurs, intérimaires, retraités, travailleurs de tous les secteurs, étudiants, mères et pères - arrêteront tout, pour chasser du pouvoir les criminels", pouvait-on lire sur un tract posté sur internet.
Poujadisme péninsulaire ? Bonnets rouges transalpins ? Cela y ressemble. Mais le diagnostic n'éloigne pas pour autant le danger. Après neuf trimestres de récession, la plus longue de l'après-guerre, la société italienne est à cran. Les plans de rigueur successifs (de Berlusconi, de Monti et, dans une moindre mesure, de Letta) associé à la répétition sans fin des scandales politico-financiers ont provoqué un ras-le-bol et une défiance accrue dans les institutions et les mécanismes de la démocratie participative qui s'est illustrée par la presque victoire du Mouvement 5 Etoiles aux élections de février. Jeudi, la protestation des Forconi a été relayée par celle des étudiants de Turin et de Rome.
Beppe Grillo est le premier à avoir vu tout le profit qu'il pouvait tirer de cette contestation. Mardi après les violences de la veille, il a invité les forces de l'ordre à rallier les Forconi. "Ce sera un signal extrême, révolutionnaire et pacifique, et l'Italie changera", a-t-il écrit sur son blog. Silvio Berlusconi le suit de près dans cette course à la récupération, qui a invité (avant de faire marche arrière) des représentants des Forconi à lui rendre visite dans sa villa milanaise. Pour Matteo Salvini, le nouveau leader de la Ligue du Nord, ces derniers devraient entrer au Parlement.
Ces trois hommes ont un objectif commun qui vaut bien qu'ils fassent un bout de chemin ensemble : les élections européennes de mai 2014. Ils se partageront la même thématique : tous contre l'Euro et l'austérité. Les Forconi, leurs mots d'ordre confus et leurs bataillons hétéroclites, ne seront pas de trop pour gagner cette bataille.
Philippe Ridet
source: http://italie.blog.lemonde.fr/