La politique étrangère de la France, de Sarkozy à Hollande, quels changements?
Lu sur le blog REVEIL COMMUNISTE : http://reveilcommuniste.over-blog.fr/
Trame de l'intervention de G.Q. à la rencontre du 4 décembre 2013 , où il avait été invité à s'exprimer par Francis Arzalier et le collectif Polex
Le 8 décembre 2013
La politique étrangère de la France, de Sarkozy à Hollande, quelles différences ?
(Le 4 Décembre 2013)
1 Un malaise et des questions posées par le spectacle de la politique étrangère française
Il y a une certaine continuité, du discours de Dakar à l’intervention au Mali. On dirait que des barrières ont lâché. On dirait aussi que l’opinion critique a jeté l’éponge.
Que penser du discours de Fabius, en août 2012, « Bachar el Assad ne mérite pas d’être sur terre (appel au meurtre assumé dans un contexte d’émotion hystérisée) ?
Du discours de Hollande, sur la Syrie, de ce langage de « punir » les autorités syriennes ? Un recours à la morale qui est tout le contraire d’une moralisation.
De l’attitude générale de notre pays dans ce conflit, qui semble vouloir l’attiser ? Que penser de cette demande de livrer des armes aux rebelles, pour « rééquilibrer » le rapport de forces ? sinon qu’elle révèle comme par un lapsus le but de guerre de l’Occident en Syrie : saigner à blanc ce pays, comme déjà l’Irak, pour le plonger durablement dans la dépendance, un nouvelle version de la thérapie de choc.
Et que penser du sabotage des discussions sur le nucléaire avec l’Iran ?
Pour changer de continent : que penser de l'interdiction de survol de la France par l’avion du président de Bolivie, Evo Morales ? Simultanément aux protestations françaises dans l’affaire de la NSA et de Snowdon ? On proteste contre les États-Unis, contre leurs écoutes illégales, et on seconde au même moment avec un zèle précipité les mêmes EU en bafouant le droit international et en insultant les peuples latino américains, pour leur livrer celui là même qui a dénoncé ces écoutes ?
De l’absence de représentant de niveau convenable aux funérailles de Chavez ? Contre toute réalité on en fait un dictateur ?
De la rencontre ahurissante, du président Hollande avec le président congolais à Kinshasa, au sommet de la francophonie, et de l'attitude publique officielle ostensiblement insultante et naïvement raciste du français ?
2 Quelques réponses à puiser dans l’esprit du moment
Un président de premier degré ? Victime d’un feed back de la propagande qu’il contribue à lancer ? de son ignorance de tout ce qui dépasse les frontières du PS français ? En cela l’inculture au pouvoir est une continuité.
Plus largement, et comme le régime précédent, le hollandisme partage une hubris occidentale, une confiance démesurée et aveugle depuis l’affaire libyenne qui se formule ainsi : toutes les guerres seront gagnées, sans pertes, par les techniques, « les nouvelles armes » avec lesquelles déjà Hitler croyait renverser le cours des guerres, et elles seront gagnées qui sait même contre des puissances nucléaires. D’où l’impatience puérile à en réclamer davantage qui envahit les médias, les discours des intellectuels organiques, dans une ambiance de jeux vidéo …
A cela s’ajoute dans le pré carré africain, un néocolonialisme décomplexé, dont le discours de Dakar n’était que la face candide : une intervention suivant l’autre, dans un style de pacification qui enterre joyeusement la souveraineté du continent, toujours au prétexte de la lutte contre un mal ou un autre, la fraude électorale ou le terrorisme.
Une « guerre sans limite » au petit pied, dont les otages français font les frais, au titre de fausse priorité.
Et un investissement communicationnel (voir Florence Cassez contre le Mexique) en bulle médiatique qui fait fi des intérêts nationaux. la politique étrangère n'est qu'une course à l'audience où participe un personnel politique surrexcité et incroyablement médiocre.
Et par de là de ces gesticulations meurtrières, il y a une profonde communauté de pensée entre gauche et droite de gouvernement, ce qui se voit par exemple dans l’esprit du TSCG, pour lequel les deux équipes qui se sont succédées au pouvoir en France ont le même dévouement fanatique. Et il y a aussi la grande continuité de la pratique socialiste la plus veule, l’attitude Hollande en regard de ce traité étant exactement la même que celle de Jospin en 1997, envers le traité d’Amsterdam. On promet de renégocier avant les élections, puis trois semaines plus tard on accepte tout.
Et la volonté délibérée de saccager le droit international aux dépens de l’indépendance de petites nations, au nom d’un humanitaire d'audimat.
3 Mais la France en a-telle une ?
La politique étrangère française, dans son indépendance et ses principes est-elle autre chose qu’un fantasme du Tiers Monde, de désir d’une France porteuse de valeurs totalement rêvée ?
Quelques pistes de réponses :
Il y a eu deux stratégies de politique étrangère dans la longue durée, le paradigme gaullien, et le paradigme atlantiste, qui partagent le passé de l’action internationale d’une vieille puissance impérialiste, dont les moyens réels sont suppléés par le symbolique depuis 1940. Le second est bien plus réel et durable que le premier.
La politique étrangère et le réseau du quai d’Orsay, d’importance mondiale, signifie un grand investissement national, de longue durée. En fait depuis deux siècles, elle joue un rôle majeur dans le maintien de la France au rang de puissance.
La politique étrangère gaulliste avait revitalisé ce réseau, en positionnant la France comme un garant international au moins verbal des indépendances et du droit des peuples, et comme un vigoureux critique des ingérences, notamment américaine (Viet Nam)
Ce réseau est rongé par l’austérité budgétaire, et par l’évaporation du sentiment national dans la bourgeoisie française où il recrute.
Première tendance lourde à la disparition d’une politique étrangère indépendante :
Le choix atlantique, le retour dans l’OTAN, et poursuite de l’OTAN. Ce choix qui remonte au moins au positionnement de Mitterrand dans la crise des euromissiles, est continu, à travers Jospin, Sarkozy, Hollande. Il se mêle aussi dans ce zèle des considérations de politique intérieure, l’activisme militaire à l’extérieur devant servir à compenser l’impuissance sur la question économique ; aussi la sauvegarde d’un secteur des industries de défense (Dassault). Comme il n’y a plus les moyens matériels d'une grande puissance et d’une grande politique indépendante, il faut se placer comme supplétifs de la grande politique occidentale considérée comme un tout, comme « la communauté internationale » dont le chorus cohérent du « mainstream » médiatique représente bien les objectifs et les préjugés.
Ce choix est-il explicable par une analyse des intérêts nationaux ? Dans ce cas il consiste à revendiquer un second rôle auprès du vaisseau amiral américain ; mais il peut s’agir aussi d’une sorte de convergence idéologique, dans une élite qui pense que américanisme, libéralisme démocratie sont inséparables. Ce peut être aussi, si on déborde la politique états-unienne par la droite, en être réduit à refléter un secteur minoritaire des groupes dirigeants de l’Empire (voir l'ancien candidat à la Maison Blanche Mac Caïn et son « vive la France » ironique) ; pour cause, la pénétration idéologique graduelle d’un libéralisme pan-occidental, par la voie du « soft power », par la formation des élites, depuis une génération. Le nombre de dirigeants qui ont subi une formation, reçu une bourse d'étude conséquente aux États-Unis est de plus en plus important. On aboutit à une canichisation, une bannaniérisation et une baltisation de ce pays : à savoir une agitation servile au profit respectivement des projet bellicistes impériaux, au profit d'intérêts capitalistes privés, mis en œuvre par des agent d'influence directs de l'Empire duement rémunérés par lui.
En cause aussi la dévalorisation-ringardisation du patriotisme, par promotion d’un faux internationalisme d’origine gauchiste qui prône l’ingérence systématiquement à chaque crise intérieure d’un pays du Tiers Monde, lorsqu’il n’est pas étroitement contrôlé par des politiciens baltisé, bref une nouvelle génération d’acteurs de la politique étrangère (diplomates, universitaires, militaires, services secrets, cadres français de firmes transnationales) qui ne conçoivent pas la France autrement que comme une région culturelle surannée d’un ensemble cohérent euro-atlantique.
Deuxième tendance lourde : Le choix de l’intégration européenne, à n’importe quel prix :
Vers un choix supranational ? Ou une nouvelle question allemande se pose !
La canichisation atlantique peut être le fait d’une peur de l’Allemagne dont le poids se creuse dans le lit européen, quand le couple franco-allemand tourne au singleton.
Depuis le traité de Lisbonne, on ne peut faire semblant d’ignorer que la construction de l’UE fait fi de la volonté des peuples ; mais le non franco-hollandais en 2005 a ralenti l'évolution et douché l’enthousiasme de ceux qui voulaient faire du capitalisme la loi écrite de l’Europe. Cela dit, comme l’Europe réelle est celle du capital et des milieux qui le contrôlent, la seule perspective cohérente dont elle dispose est le retour d’un coup de force de type TCE, mais mieux préparé. Il faut examiner dans la durée l’efficacité du TSCG ; peut être suffira-t-il à lui seul pour créer « à petit pas » les conditions du fédéralisme.
Comment comprendre le choix de l’euro ? Il signifie une ruine consentie de la base industrielle du pays (à comparer aux choix industriels allemands marqués au coin du bon sens) aux conséquences différentes du cas anglais, car en France l’avantage comparatif n’est pas à la finance mais au tourisme culturel, qui est en voie de devenir sa principale spécialisation. Comme l’euro tel qu’il est, lié à la BCE souveraine, ne peut pas marcher, il pave la route à la solution fédérale. Les difficultés économiques liées à l’euro fort, et à l’absence d’état en Europe conduisent de manière inévitable à l'explosion, ou à une solution supranationale.
Simultanément, pour réunir les deux tendances dans une même évaporation nationale, progresse la zone de libre échange transatlantique, qui pourrait offrir une autre solution, avec ou sans fédéralisme, satellisation à l’empire.
Ce terme d'"empire" n’est pas polémique, l’empire des Etats-Unis est effectivement là, depuis la « guerre contre le terrorisme » et peut être nos diplomates, les pauvres, n’y peuvent plus rien.
Troisième tendance, un retour en force du néocolonialisme :
« France is back » mais pas en France, en Afrique. Le jeu de la France y est relatif à l’intérêt de ses multinationales (Areva, Total, Dassault, Bolloré), et à noter que c’est une certaine rivalité avec le grand frère américain qui se joue sur ce terrain (qu’à révélé le drame du Rwanda et son exploitation ultérieure par l'Occident des ayants droits politiques des victimes du génocide comme gendarmes des Grands Lacs et agents de déstabilisation du Congo). Mais surtout une hostilité croissante à la Chine dont la concurrence fait monter les enchères et donne une marge de manœuvre aux gouvernements africains, comme avant Kadhafi à juste titre fort regretté en Afrique.
Instrumentalisation pour ce « comeback » de la mission civilisatrice de la légion des bataillons charitables de l’humanitaire et des ONG basées en France. Depuis le Biafra et le grand mot de Bernard Kouchner, « j’avais l’impression que l’on me demandait si ces morts étaient de gauche », il y a eu le placement d’un interdit sur la question des causes des guerres d’Afrique, des responsabilités de l’impérialisme, sur le recul critique, sur le respect de la souveraineté des petites nations, stigmatisés comme des refus de porter secours aux victimes. Cette nébuleuse humanitaire internationale transporte comme son ombre les pratiques et concepts du libéralisme et de l’impérialisme, quand ce n'est pas directement la logistique de Total, ou de tout autre bailleur de fond.
Dans le cas du Moyen Orient, le retour français sur la scène de crime endosse un rôle de second couteau de l’impérialisme avec ici un changement de camp aussi radical que celui de De Gaulle vers 1965, en sens inverse. Et qui ne me semble motivé que par l’accès aux réserves financières du Golfe pour solder la dette, voire par la corruption la plus directe.
Sur la Palestine, la position française affiche un soutien de principe bien tiède à la constitution d’un État palestinien, mais multiplie les signes d’alignement avec Israël, ou plus exactement avec l’extrême droite israélienne au pouvoir, qui fleurte d’ailleurs avec nos amis des pétromonarchies, par haine partagée de l’Iran chiite.
Pourrait-il exister aussi une logique « nationale-masochiste » ?
La francophonie est une carte politique qui n’est plus jouée, et faute d’une politique généreuse d’accueil des étudiants, la France n’a guère de ce soft power si redoutable chez d'autres. Le mépris du patriotisme linguistique contribue aussi à cet effacement culturel.
Ce qui est frappant, c’est le refus obstiné de jouer des options multilatéralistes pour se ménager un espace pour déployer des politiques indépendantes : peu d’ouvertures vers la Chine, affrontement frontal de la Russie dans l’affaire syrienne, mépris de l’Amérique latine, et encore plus de l’Afrique. le tout avec un évident manque de moyen et de sérieux.
Ces évolutions peuvent être liées à une financiarisation relative du capital et surtout à une « compradorisation » de la bourgeoisie en France (le capitalisme de Carrefour l’emporte contre celui de Peugeot, et les bailleurs de fond du PS sur ceux de l’UMP).
On assiste à la reprise d’une longue tradition diplomatique de dépression nationale: Coblence, Congrès de Vienne, Versailles, Vichy, qui reflète sur la longue durée le faible enracinement national de la classe dirigeante de ce pays ; et de suivre la voie tracée par le grand Badinguet, dans le goût des guerres faciles et des colonies.
Conclusion :
La tendance à la normalisation, à la disparition de « l’exception française » dans le domaine de la politique étrangère est lourde, mais nullement irréversible. Il suffit que le peuple renoue avec sa tradition révolutionnaire de longue durée. Après tout, maintenant que les fastes culturels du Grand Siècle sont oubliés de tous, c’est là l’origine réelle du prestige international d’un pays dont les élites se sont toujours méfiées, et qui en perte de légitimité sont tentées par la fuite en avant dans le sillage de l’Empire, et par la dissolution de la france dans l'Europe libérale, blanche et chrétienne.
Guy Debord dans un moment de lucidité a dit que si les pierres parlaient, elles diraient que Paris n'existe plus. Trente-cinq ans ans plus tard, elles pourront bientôt ajouter que la France non plus. Mais on va voir d'abord ce qu'en dira le peuple.