La RAFLE du VEL’ d’HIV’ :« Un crime commis en France par la France » ? Par Jean Lévy


« Un crime commis en France par la France »
C’est par ces mots que François Hollande a qualifié la « rafle du Vel d’Hiv », menée par la police française, sur l’ordre du pouvoir installé à Vichy et à l’instigation des autorités allemandes, le 16 juillet 1942, à Paris. Cette opération visait la population d’origine ou de religion juive, qu’il s’agissait de rassembler en vue l’expédier vers les camps de la mort.
Ce crime d’Etat a-t-il été réellement « commis par la France » ?
Mais, à propos, « c’est QUI la France » ?
Les bourreaux comme les victimes ?
Il faut donc préciser comment identifier une nation face au pouvoir en place.
Rappelons donc les faits.
Le gouvernement du maréchal Pétain n’a jamais reçu l’onction du suffrage populaire.
Il est le fruit d’un complot ourdi par les classes dirigeantes, qui ont sciemment préparé la défaite militaire et ouvert le chemin à l’occupation allemande. (*)
LE CHEMIN DE LA TRAHISON
Dans les années 30, les « élites » de ce temps préfèrent « Hitler au Front populaire ». Il s’agit pour elles de laver l’affront de l’occupation des usines de juin 1936, une action attentatoire au droit sacré de propriété.
Ces « élites » dirigeantes, politiques et économiques, ont donc mis œuvre un plan, préparé de longue date, qui installe « un pouvoir fort », totalitaire, pour assurer à la grande bourgeoisie les moyens de lui assurer une exploitation sans borne de la population.
Les pratiques de la Troisième République, depuis 1938 avec le gouvernement Daladier altèrent déjà gravement les règles parlementaires et les libertés publiques.
Les « pleins pouvoirs » permettent au gouvernement de revenir sur les grandes lois sociales acquises par les luttes de 1936. La grève générale du 30 novembre 1938 est brisée, les militants licenciés par centaines de mille, des milliers de "meneurs" sont emprisonnés. Des camps de concentration, officiellement ouverts dès février 1939, sont destinés aux « étrangers indésirables », comme on disait alors. Ils visent, en premier lieu, les réfugiés israélites d’Europe centrale et d’Allemagne nazie, et plus largement les « Rouges » chassés d’Espagne par Franco.
Mais cette politique de régression généralisée et de répression ouverte ne suffit pas.
Ce qui reste encore du régime parlementaire paralyse la mise en œuvre complète de cette « révolution nationale » voulue par la bourgeoisie, et revendiquée à Vichy, en juillet 40, grâce à la débâcle et à la Wehrmacht.
Le 10 juillet de cette année-là en est l’acte fondateur.
Réunis au casino de Vichy, la grande majorité des députés issue de la Chambre, élue en mai 1936, livrent la République au maréchal Pétain en accordant à celui-ci les « pleins pouvoirs » pour instaurer un pouvoir ouvertement totalitaire. La très grande majorité des députés de droite, menés par Pierre Laval, mais aussi de l’essentiel du groupe socialiste (SFIO), prêtent la main à cette opération.
Seuls 80 députés et sénateurs osent dire NON à ce coup de force. Les élus communistes déchus de leurs mandats à l’automne 40 par ces mêmes députés, en prison pour nombre d'entre eux, ne sont évidemment pas présents à Vichy.
Ainsi est né l’Etat, dit « français ».
Peut-on dire, dans ces conditions, que cet « Etat », « c’est la France » ?
Les dizaines et les dizaines de milliers de Français fusillés, déportés et assassinés dans les camps, torturés dans nos prisons ne sont pas responsable de la rafle du Vel’ d’Hiv’. Et ils font partie de la France, avec tous ceux qui ont participé à la Résistance, ou combattu dans les « Français libres ».
Aussi, dénoncer les crimes de Vichy comme « commis par la France » relève d’une volonté de «noyer le poisson », en rendant responsables l’ensemble des citoyens de notre pays, solidaires de la trahison.
Cela conduit à en exonérer les véritables auteurs : les gens de Vichy, les politiciens d’extrême-droite, avec l’ensemble de l’appareil d’Etat de la Troisième République, ses juges, ses policiers, ses hauts fonctionnaires. Ensemble, ils ont donné une apparence de "légalité" au régime du maréchal, pour mener une politique de collaboration politique et économique avec l’ennemi pour des objectifs de classe.
Ce sont eux, et non « la France », qui ont « commis le crime » dénoncé par François Hollande.
Et cela il ne faut pas l’oublier !
Jean Lévy
(*) Lire à ce sujet les ouvrages de l'historienne Annie Lacroix-Riz :
"Industriels et banquiers sous l'Occupation"
"De Munich à Vichy"
"Le choix de la défaite"
et de Jean Lévy et Simon Piétri :
"De la République à l'Etat français - 1930-1940"
